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Les dangereux amalgames de Philippe Couillard

On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Le premier ministre Philippe Couillard répète ad nauseam qu’il faut éviter les amalgames au sujet de ce qu’il est incapable de nommer, l’islam radical ou islamisme. Ces mots lui causent de tels ulcères d’estomac qu’il n’ose même pas les prononcer. Même chose pour le mot laïcité.

Pourtant, Philippe Couillard se rend lui-même coupable de dangereux amalgames.  Dans une valse-hésitation dont on n’a pas encore vu la fin, il annonçait récemment que le dossier de la lutte contre l’intégrisme et celui de la laïcité allaient être scindés: l’organisme de surveillance de l’intégrisme et du radicalisme religieux relèvera du ministère de l’Immigration et le dossier de la laïcité relèvera du ministère de la Justice.

Philippe Couillard établit donc le plus dangereux des amalgames qu’il faut justement éviter:  associer l’intégrisme religieux à l’immigration. Un rapprochement porteur de racisme qui laisse croire que les immigrants sont collectivement des intégristes.

Pourtant, le tueur de Saint-Jean et celui d’Ottawa n’étaient pas des immigrants. L’un était un Québécois pure laine et l’autre un Canadien pure laine. Tous deux s’étaient convertis à l’islam puis tombés dans l’islamisme — que Couillard se refuse à identifier — pour devenir ensuite djihadistes.

Autre amalgame: en annonçant son intention de créer cet organisme interministériel de lutte contre l’intégrisme, Couillard n’a consulté et ne s’est entouré que de représentants des milieux musulmans. Le message envoyé est donc que ce milieu, et seulement celui-là, est corrompu par l’intégrisme. Curieuse façon de procéder pour qui veut éviter les amalgames. Aucun représentant d’autres religions et encore moins de la mouvance humaniste laïque n’a été approché.

Qu’en sera-t-il de la surveillance de l’intégrisme juif tel celui enseigné dans des écoles comme l’Académie Yeshiva Toras Moshe avec qui le ministre de l’Éducation Yves Bolduc a conclu un accord? Qu’en sera-t-il de l’intégrisme catholique qui ressurgit ici et là? Alors qu’il était encore en poste à Québec il y a moins de deux ans, le cardinal Marc Ouellette n’affirmait-il pas qu’il fallait interdire l’avortement même en cas de viol? Que dire du maire de Saguenay, Jean Tremblay, qui cherche par tous les moyens, allant jusqu’en Cour suprême, de faire primer ses convictions religieuses sur le caractère laïque de la municipalité?

Pour Philippe Couillard, ces intégrismes ne représentent sans doute pas de danger pour la sécurité. Dans ce cas, pourquoi ne dit-il pas clairement qu’il veut lutter contre l’intégrisme musulman et l’islamisme? Monsieur Couillard, mettez de l’ordre dans votre approche et dans votre pensée. Même si l’intégrisme chrétien n’est pas une menace à la sécurité, il n’en représente pas moins, à plus ou moins long terme, une menace à nos droits fondamentaux arrachés de longues et dures luttes.

Laïcité contre intégrisme

Philippe Couillard a même affirmé, en Angleterre et en Belgique, qu’il est « ridicule » de lier la laïcité à la lutte contre l’intégrisme. Il s’est ainsi ridiculisé sur la scène internationale. La laïcité n’empêchera pas le terrorisme — islamique ou autre — mais elle indique aux intégristes de toutes obédiences où est la ligne à ne pas franchir. Elle affirme l’indépendance de l’État face aux religions et indique que l’État est gouverné par l’humanisme laïque. En refusant de reconnaître que la laïcité est un rempart nécessaire (bien qu’insuffisant) pour contrer les avancées de l’intégrisme, le premier ministre exprime un total manque de vision et de compréhension des choses.

En refusant de procéder rapidement et de façon cohérente, Philippe Couillard montre en outre qu’il se fait dicter son agenda politique par ses alliés communautaristes et multiculturalistes de la mouvance confessionnaliste musulmane dont il s’est entouré. En automne dernier, ce n’était pas le temps d’agir à cause des attentats de St-Jean et d’Ottawa, soutenait-il. Présentement, ce n’est pas le temps non plus à cause des attentats de Paris. Au printemps ou à l’automne prochain, ce ne sera pas le temps parce que Boko Haram aura immanquablement commis de nouveaux massacres.

Il est toutefois une chose avec laquelle je suis d’accord dans les propos du premier ministre: parlant de prévention contre le radicalisme religieux, il affirme vouloir agir en amont des interventions policières. Il n’est pas allé jusqu’à dire que l’école devait être investie d’un mandat de former l’esprit critique face aux religions, mais c’est bien à ce niveau qu’il faut agir. L’école devrait en fait déconstruire de façon active la pensée religieuse, déconstruire ce qui se dit dans les mosquées, les synagogues, les églises et les sectes. On ne peut former la pensée critique tout en laissant les religions la défaire.

En France, où l’école laïque et républicaine est déjà mieux outillée que celle d’ici pour transmettre des valeurs citoyennes communes, le président François Hollande veut renforcer ce rôle de l’école et annonce la création de sessions de formation sur la laïcité destinées aux enseignants. L’école québécoise quant à elle n’a rien d’autre à offrir qu’un cours de « culture religieuse » qui glorifie l’identité religieuse et qui incite tout jeune n’ayant aucune religion à s’en trouver une pour entrer dans le moule.  Ce moule tout grand ouvert à l’intégrisme que l’école devrait combattre.