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Livres: science, paranormal et religion

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Paranormal et religion partagent un terreau commun.

L’automne dernier, deux volumes paraissaient simultanément au Québec et en France traitant chacun à leur façon du rapport entre science et pseudoscience. Chez nous, Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, publiait Quand le paranormal manipule la science (MultiMondes, 2014). En France, un collectif dirigé par le sociologue Valéry Rasplus faisait paraître l’ouvrage Sciences et pseudo-sciences; regards des sciences humaines (Éditions Matériologiques, 2014).

Ces deux volumes sont complémentaires et on ne peut que se réjouir de cette saine réaction des milieux scientifiques qui cherchent à séparer le bon grain de l’ivraie (oui, je sais, c’est une image tirée des Évangiles…). La concomitance de ces publications est peut-être symptomatique de la persistance de la pensée magique qui nous rappelle que la méthode scientifique n’est pas intuitive.  Je ne traiterai ici que du volume de Serge Larivée. Celui de Valéry Rasplus est présenté dans cet autre texte.

Paranormal et religion

LarivéeL’essai de Serge Larivée tombe pile sur ma table puisqu’il m’offre ample matière pour compléter mon propos récent sur le cours ECR qui m’a valu bien des critiques. Si la pensée intégriste prend racine sur la pensée religieuse, on peut également dire que la pensée religieuse et les croyances paranormales sont la face et le dos de la même médaille.

Même si ce n’est pas là l’objet principal du volume de Larivée, son point de vue est très clair sur le sujet. « Les croyances religieuses sont de même nature que les croyances paranormales, me confiait-il en entrevue. Une vierge qui enfante, c’est contraire aux lois de la nature; un Dieu unique qui en comporte trois comme dans la Trinité, c’est contraire aux mathématiques. »

À son avis, les croyances religieuses « jouent un rôle fondamental dans l’explication des croyances aux pseudosciences« , écrit-il dans son essai. Il cite à ce sujet le directeur de recherche du Centre de recherches politiques de Sciences Po de Paris, Daniel Boy, qui a montré que la croyance ou non en la survie après la mort est la meilleure variable explicative de la croyance aux pseudosciences: plus on croit en la vie après la mort (ou à la réincarnation), plus on est porté à adhérer aux croyances paranormales comme l’astrologie et les perceptions extrasensorielles. (p, 24-25)

En fait, il n’y a pas de religion sans paranormal. La religion ne fait qu’appeler ce type de croyances autrement en les désignant par mystères, miracles ou intercessions divines. Paul de Tharse ne disait-il pas que « si le Christ n’est pas ressuscité, ma foi est vaine »? Croire que des morts ressuscitent, c’est croire aux fantômes et aux revenants, une croyance paranormale.

Chez les universitaires

Le plus inquiétant, c’est que le niveau d’instruction et le QI élevé ne sont pas des garanties prémunissant la personne contre ces dérives. Bien qu’il y ait une corrélation habituellement inverse entre niveau d’éducation et croyance au paranormal, les études universitaires ne constituent pas un « facteur de protection à sécurité maximale » c0ntre ces croyances, écrit le professeur.

Ainsi, près de 50% des étudiants en biologie à l’Université de Montréal croient en la clairvoyance et près de 60% croient en la télépathie. Et 53% des professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières croient aux sourciers! Aux État-Unis, 69% des étudiants universitaires croient aux fantômes. Du côté des membres de Mensa, 51% croient en la divination et 73% croient à la télépathie. Une étude de Daniel Boy montre même une augmentation de la croyance aux pseudosciences lorsque le niveau de connaissances scientifiques passe de très faible à assez bon.

Une science mal comprise peut donc alimenter les pseudosciences. On le voit couramment avec le recours à la physique quantique pour appuyer des croyances paranormales comme la télépathie, la clairvoyance ou la réincarnation.

Les fondements naturels du surnaturel

Comment expliquer ce paradoxe entre formation scientifique et croyances paranormales? Serge Larivée avance plusieurs facteurs explicatifs, entre autres celui voulant que le cerveau humain soit « une machine à générer des croyances de toutes sortes » et qu’il soit « davantage programmé pour faire confiance que pour douter ».

Larivée s’en remet ici aux explications évolutionnistes avancées par divers chercheurs. Notre capacité d’inférer et d’établir des liens de cause à effet nous dispense, d’une part, de procéder constamment par tâtonnement et recommencement. D’autre part, il nous faut aussi comprendre pourquoi nous agissons de telle ou telle façon et nous assurer d’agir en harmonie avec nos émotions afin de prévenir la dissonance cognitive. Nous avons donc besoin d’interpréter le tout de façon cohérente et c’est le rôle que remplissent les croyances que nous élaborons pour nous faciliter la vie et être plus performants:

« Un système de croyances qui ne s’écarte pas trop de la réalité quotidienne peut constituer une façon de faire relativement bien adaptée, dans la mesure où il favorise l’efficacité comportementale avec un minimum d’efforts cognitifs et adaptatifs ». (p. 41)

« Le fait de croire en quelque chose donne du sens à l’existence et, ce faisant, influence nos comportements même quand la dite croyance se révèle non fondée. » (p. 37)

« À la limite, peu importe que les explications soient vraies ou fausses, l’important, c’est qu’elles soient satisfaisantes pour l’individu aux plans émotif et cognitif. […] Les croyances tiennent leur valeur de survie en ce qu’elles persistent même confrontées à des données contradictoires. » (p. 43-44)

Croyance et savoir ne sont donc pas du même registre, sollicitent des habiletés cognitives différentes et peuvent évoluer indépendamment l’un de l’autre.

Mais je dois dire qu’il manque une pièce au puzzle présenté par le professeur Larivée et qui tient à la sémantique du mot croyance. Si notre cerveau est contraint d’élaborer des récits afin de donner du sens à ce que fait l’individu, pourquoi ces récits font-ils appel à du surnaturel? Croire ce que nos parents nous disent pour nous protéger d’un danger, croire qu’il vaut mieux dans telle ou telle circonstance s’en remettre aux conseils des vieux sages, croire que si j’ai mal au dos c’est parce que je suis gémeaux,  toutes ces « croyances » partagent des caractéristiques communes avec la croyance en Dieu, mais cette dernière possède aussi des aspects qui lui sont spécifiques. L’aspect surnaturel des croyances religieuses repose sur un ensemble d’habiletés cognitives sélectionnées pour la vie en groupe et qui nous conduit à anthropomorphiser la nature (voir Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu). Cette démonstration nécessite un volume en soit, mais il faut ajouter cette pièce au scénario.

Et le cours ECR dans tout ça?

Ce qui précède doit nous faire comprendre qu’il est illusoire de penser que la seule information sur la diversité des croyances religieuses enseignées dans le cours Éthique et culture religieuse conduira à forger une pensée critique face au fait religieux et combattra même l’intégrisme religieux.

Serge Larivée estime que l’école a un rôle prépondérant à jouer pour former la pensée analytique et contrer les croyances au paranormal qui vont de pair avec les croyances religieuses. Il présente différents exemples d’exercices scolaires montrant tantôt que de fausses croyances face un jeu vidéo de course persistent même après qu’elles se soient révélées erronées, tantôt qu’un travail sur l’astronomie réduit à néant les croyances en l’astrologie. Tout dépend donc de l’approche pédagogique.

De ce côté, ECR nourrit la pensée magique. Bien qu’il n’aborde pas le sujet dans son volume, Serge Larivée en convient. « ECR est un cours inutile qui non seulement n’ouvre pas aux autres cultures mais amène l’athée à penser qu’il n’est pas normal. Dans ce cours, la religion n’est jamais présentée comme une hypothèse inutile« , concluait-il notre entrevue.

Le mécanisme sous-jacent à la construction des croyances qu’il expose dans son livre montre à sa façon que le paranormal nécessite une déconstruction active pour être neutralisé. La même opération est nécessaire face à la pensée religieuse si l’on veut prévenir ses dérives.

Le volume Quand le paranormal manipule la science est paru simultanément en France aux Presses universitaires de Grenoble.