Manifestement, le président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), Jacques Frémont, a changé de discours au sujet des propos haineux. En commission parlementaire, il a tenu à se dissocier du projet de loi 59 sur la lutte contre les discours haineux en soutenant qu’il n’en avait pas demandé tant.
Après avoir brandi sur plusieurs tribunes l’épouvantail de l’islamophobie pour dire à mots couverts qu’il fallait museler les propos hostiles aux religions et particulièrement ceux visant l’islam, voici qu’il soutient que le blasphème est protégé par la loi.
Pourtant, le blasphème est interdit par l’article 296 du Code Criminel : «Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans quiconque publie un libelle blasphématoire.»
Discours haineux et blasphème : deux poids deux mesures
Jacques Frémont et la CDPDJ ne proposent absolument rien pour protéger la liberté d’expression face aux religions qui, elles, peuvent tenir des propos haineux s’ils sont fondés sur des croyances religieuses. L’article 319.3.b du Code criminel stipule en effet que «nul ne peut être déclaré coupable [d’un discours haineux si] il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument».
Le discours haineux est donc traité différemment selon les convictions religieuses ou philosophiques de celui qui l’émet : ce discours est permis s’il est fondé sur des croyances religieuses mais interdit s’il est considéré (par qui?) comme blasphématoire à l’endroit d’une religion. Deux poids deux mesures.
Il faut dire que le jugement Whatcott de la Cour suprême limite la portée de ces deux articles. Mais d’autres juges dans un autre contexte pourraient les interpréter de façon plus limitative pour la liberté d’expression. Leur abrogation éviterait ce risque et rendrait la loi plus conforme à la jurisprudence et aux valeurs démocratiques actuelles.
Le projet de loi 59 ne contribue aucunement à corriger cette iniquité et la Commission des droits de la personne ne propose rien pour nous sortir de l’âge des ténèbres. Tout au plus, Jacques Frémont propose d’ajouter, au projet de loi 59, un «article pédagogique» réaffirmant le droit à la liberté d’expression. Un tel article n’ajouterait absolument rien puisque cela est déjà dit dans la Charte des droits et libertés. De plus, un tel amendement ne clarifie aucunement ce qu’est ou ce que n’est pas un discours haineux. Actuellement, rien n’empêcherait un juge de considérer que la critique radicale contre une religion constitue des propos haineux. Il faudra donc plus que l’amendement cosmétique proposé par la CDPDJ.
Un nouveau membre au «club des mal cités»
Même s’il s’est refusé à commenter les pouvoirs que lui accorde le projet de loi 59, Jacques Frémont a soutenu que les dispositions de cette loi sont nécessaires pour mieux protéger les groupes les plus vulnérables.
La députée péquiste Agnès Maltais lui a alors fait remarquer que tous les représentants de ces groupes, que ce soit les Noirs, les juifs, les LBGT, les milieux scolaires et même la Direction de la protection de la jeunesse, sont venus dire en commission parlementaire que le projet de loi 59 faisait fausse route : ce n’est pas par la répression qu’ils se sentiront mieux protégés mais par la conscientisation.
Les athées, les féministes et autres militants laïques iront dire la même chose la semaine prochaine. Bref, il n’y a guère que l’imam intégriste Salam Elmenyawi et le groupe AMAL qui soient d’accord avec ce projet de loi liberticide d’inspiration inquisitoriale.
Le député caquiste Simon Jolin-Barrette a demandé pour sa part à Jacques Frémont de donner des exemples où cette loi lui serait utile. Il a en substance répondu qu’il serait «mal à l’aise d’en donner» parce que le projet de loi sera probablement amendé. Même réponse à la députée de Québec solidaire, Manon Massé.
Pourtant, en décembre dernier, Jacques Frémont était tout à fait à l’aise d’en donner et tous ses exemples portaient sur la critique contre l’islam. Il voulait même faire taire ceux qui «déblatèrent sur l’islam». Selon le Larousse, déblatérer signifie «parler longuement et avec hostilité contre quelqu’un, quelque chose. Synonymes : dénigrer, éreinter, esquinter, fulminer contre, invectiver contre, pester, tempêter, vitupérer contre.» Jacques Frémont voulait une loi contre l’impolitesse!
Devant ce rappel, le président de la CDPDJ se réclame maintenant du «club des mal cités». Chacun peut écouter ses propos d’alors pour se faire une idée (émission 15/18, Première chaîne de Radio Canada, 2 décembre 2014).
Comme le précise André Comte-Sponville dans son Dictionnaire philosophique, «le blasphème fait partie des droits de l’homme, pas des bonnes manières».
Si le premier ministre Couillard était sincère lorsqu’il a récemment déclaré que l’on avait le droit de «se moquer des religions», son projet de loi doit explicitement protéger ce droit. Le projet de loi 59 nous paraît irréformable, mais toute loi visant à lutter contre les discours haineux devra préciser que la critique même radicale à l’égard des religions ne tombe pas sous le coup de cette loi. Le refus d’amender le projet de loi en ce sens signifiera que les craintes les plus vives face au danger de bâillonner la liberté d’expression à l’égard des religions étaient bel et bien fondées.
Merci d’être revenu Mr. Baril, ça fait toujours du bien de vous lire. 🙂
Merci pour cette importante chronique, si riche d’informations et de précisions importantes. J’ignorais que la loi interdit le blasphème et qu’elle autorise un « religieux » à écrire, à justifier les pires horreurs s’il est un croyant « sincère ». Cela monde à quel point, les sociétés modernes doivent recommencer à réfléchir sur les « religions » et leur assigner des limites précises. Il est clair que la liberté de religion ne peut pas être absolue (tout comme n’importe quelles autres libertés accordées par les Chartes). L’islam va d’ailleurs nous y obliger parce que son ambition normative est considérable (l’ensemble de ses interdits, tabous, obligations, blocages). Les prescriptions de la sharia vont entrer inévitablement en conflit avec les systèmes normatifs des sociétés modernes qui ne sont plus fondées sur l’arbitraire de « révélations » mais sur la Raison. Je pense notamment à l’abatage halal (inacceptable pour de nombreuses raisons) et l’enterrement des musulmans. Dans les deux cas, de nombreuses sociétés modernes ont décidé de tenir compte de « la sharia », ce qui est totalement aberrant car ce faisant non seulement, elles reconnaissent une autre source de légitimité, de fondement à la loi que la Raison mais ce qui est plus grave, elles reconnaissent implicitement que cette autre source l’emporte!!!! En d’autres mots, elles acceptent une subversion totale de leur fondement!!!! Il faut le dire clairement: le Coran ne peut pas faire loi dans une société moderne, pas plus d’ailleurs que d’autres textes « religieux ». L’un des corollaires importants est que les politiciens ou les tribunaux ne doivent pas tenir compte des croyances avant d’adopter des lois ou rendre jugements qui ne peuvent être justifiées que par des arguments, des études ou à la suite de débats. Cessons de tergiverser, de faire des compromis boiteux qui dissimulent des contradictions de principes fondamentaux et assumons pleinement le fait d’être moderne. Comme le dit Marcel Gauchet, il faut être clair avec les musulmans et n’importe quel autres « croyants ». Leurs croyances ne peuvent normer les activités ou comportement des membres des sociétés modernes. Dans tous les cas, ils doivent se soumettre à la loi commune qui ne peut accepter d’exceptions sans renier ou attaquer son fondement. Il faut être très ferme à ce sujet.
Quand à Jacques Frémont, il faudrait réclamer sa démission. Que l’homme chargé de faire respecter des droits ou des libertés fondamentale s’attaque à l’une des libertés les plus nécessaires à une société moderne, montre à quel point son jugement est faussé par le multiculturalisme idéologique, leg empoisonné de P.E. Trudeau. Il ne mérite plus d’occuper son poste.
Un avocat du diable est celui qui est capable de défendre des positions périlleuses, même les siennes. Jacques Frémont peut être habile, il n’échappe pas à la clairvoyance du peuple.
Pour être bien clair, les implications du paragraphe 319.3b du Code criminel sont les suivantes.
Si vous appelez publiquement à tuer les homosexuels au motif que, personnellement, vous les jugez haïssables, vous êtes alors passible de poursuites judiciaires. En revanche, la justice vous laissera tranquille si vous tenez le même discours mais, cette fois, en invoquant l’autorité de textes religieux comme ceux-ci:
– «Si un homme couche avec un homme comme on fait avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable, ils seront mis à mort.» (Lévitique 20:13);
– «Si vous trouvez quiconque en train de pratiquer les pratiques du peuple de Loth, tuez-les, que ce soit celui qui commet l’acte ou celui qui le subit.» (sentence de Mahomet rapportée par Abou Dawoud, Al-Tirmidhî et Ibn Maja, auteurs de trois des six recueils de hadîths considérés comme références chez les sunnites).
De même, si vous prônez la lapidation ou la décapitation pour les adeptes du mouvement néopaïen de la Wicca, ces sorciers et sorcières des temps modernes, vous serez passible d’emprisonnement, sauf si vous appuyez vos dires sur la Bible ou sur la tradition musulmane, par exemple:
– «Tu ne laisseras pas vivre la sorcière» (Exode 22:18);
– Tout homme ou femme qui évoque les esprits ou s’adonne à la divination sera mis à mort, on les lapidera» (Lévitique 20:27);
– «Selon Jundub, le Prophète (paix et bénédiction d’Allah sur lui) a dit: La punition du sorcier est un coup d’épée.» (hadîth rapporté par Al-Tirmidhî);
– «Omar Ben Al-Khattab (qu’Allah l’agrée) a écrit: Tuez tout magicien et toute magicienne; nous en avons tué trois.» (Sahih al-Boukhârî, autre recueil de hadîths faisant autorité chez les sunnites).
Enfin, si vous incitez vos concitoyens à exterminer tous les juifs, vous ne courez aucun risque d’être reconnu coupable d’incitation à la haine, à condition toutefois de justifier vos pulsions génocidaires par cette parole de Mahomet:
«Le Prophète (qu’Allah le bénisse) a dit: Le Jour du Jugement dernier ne viendra pas avant que les musulmans n’aient combattu les juifs (c’est à dire que les musulmans ne les aient tués), quand les juifs se cacheront derrière les rochers et les arbres. Les rochers et les arbres diront: Ô musulman, serviteur de Dieu! Un juif se cache derrière moi, viens et tue-le.» (hadîth rapporté par al-Boukhârî et par Muslim, auteurs des deux recueils de hadîths les plus respectés dans l’islam sunnite).
Il est donc permis de juger que le Code criminel surpasse de loin la Charte en dangerosité puisqu’il protège et légitime, voire encourage la haine homicide à motivation religieuse, à l’exclusion de toute autre forme de haine, pourvu que celle-ci soit exprimée «de bonne foi» sur la base d’un texte religieux auquel vous «croyez». Ceci, au nom de la liberté de religion…
Quant à l’article 296 (paragr. 1) cité par M. Baril, il signifie que Charlie Hebdo pourrait faire l’objet de poursuites criminelles en vertu de notre Code criminel. Alors non, décidément, le législateur canadien n’est pas Charlie.
Qu’on me permette de citer en conclusion deux auteurs aux antipodes de Jacques Frémont.
(1) L’anarchiste belge Raoul Vaneigem: «Nous voulons en finir avec le sacré. (…) La fin du sacré postule une absolue tolérance de toutes les croyances et de toutes les idées, même les plus aberrantes, les plus stupides, les plus odieuses, les plus ignobles, à la condition expresse que, demeurant en l’état d’opinions singulières, elles ne prétendent s’imposer ni aux enfants ni à ceux qui ne souhaitent pas les recevoir. La fin du sacré implique aussi le droit de critiquer, railler, ridiculiser toutes les croyances, toutes les religions, toutes les idéologies, tous les systèmes conceptuels, toutes les pensées. Le droit de conchier tous les Dieux, tous les messies, prophètes, papes, popes, rabbins, bonzes, pasteurs et autres gourous. (…) Nous voulons apprendre à rire de tout parce qu’au rictus de l’être déshumanisé nous préférons un rire qui soit enfin le propre de l’homme découvrant son humanité. Tolérance pour toutes les opinions, intolérance pour tout acte inhumain.» («De l’inhumanité de la religion: essai», Paris: Denoël, 2000, p. 174-178).
(2) Marc Angenot, professeur émérite à l’Université McGill: «Une sorte de tolérantisme obligatoire figure comme un article de foi et un commandement moral dans la religion civique qui se bricole de nos jours sur les ruines des religions du Progrès. Le bavardage déprimant et pharisaïque, le style bénisseur qui a cours aujourd’hui sur l’Ouverture à L’Autre, avec les majuscules de rigueur, fait de la tolérance aux Autres, à la Culture de l’Autre, à son ineffable Différence une vertu, la vertu par excellence qui sera enseignée aux générations nouvelles – dès la garderie. C’est à dire qu’il fait de la tolérance inconditionnelle un axiome qu’il est téméraire de questionner. Les conceptions juridiques actuelles qui réclament un ‘accommodement raisonnable’ avec tous les fanatiques tandis qu’elles ne reconnaissent aucun droit, sinon celui de se taire, aux esprits libres et rationnels qui n’appartiennent pas à une confession déterminée, découlent de cette idée tordue du tolérantisme qui n’a rien à voir avec la tolérance telle que je la décris.» («La tolérance est-elle une vertu civique? Notes sur la conjoncture actuelle et sur l’idée de tolérance», 2006 – http://marcangenot.com/wp-content/uploads/2012/01/tol%C3%A9rance.pdf).
Vous avez, M.Baril déjà accueilli les réponses censurées du blogue de Dalila Awada…
J’ose espérer que vous ferez la même chose pour contourner la censure appliquée par Simon Jodoin dans son propre blogue.
Ma réponse au récent billet de S. Jodoin « Moi si j’étais dans leur pays… ». Merci de m’héberger, le temps de quelques mots :
@ Pierrick.
Êtes-vous certain que cette caricature d’argumentaire (celle que vous énoncez) est le discours prédominant sur la question du voile islamique dans toutes ses déclinaisons?
J’entends autour de moi, beaucoup de femmes et d’hommes qui sont de gauche, antiracistes, plutôt ouverts au métissage des cultures et qui vomissent le voile intégral.. en ayant une tout autre approche que celle de l’intolérance.
Le rédacteur du billet , Simon Jodoin, choisit lui aussi de caricaturer le haut-le-cœur ressenti par bien des gens devant ces prisons de tissu, imposées ou auto-infligées, quand il parle des « ponchos »….
Comme si être révulsé, révolté, écœuré de voir un costume idéologique rétrograde et avilissant prétendre à la liberté en tout temps et en tous lieux, exprimait forcément une pensée débile, intolérante, front-nationaliste et autres reductio ad hitlerum.
On peut très bien estimer que ces uniformes portés uniquement par les femmes et de plus en plus jeunes (en tout cas, à Cartierville, on voit des gamines de 4 ans emprisonnées à côté de leur petit frère en short et bedaine) doivent être dénoncés … sans pour cela passer pour des fascistes!
Je ne suis pas gêné d’exprimer mon profond dégoût pour cette vêture barbare (lorsqu’uniforme et obligatoirisé), dans ma famille, y a des musulmans, des cathos et des juifs.
Le racisme, on m’a vacciné contre à un très jeune âge, et mes ancêtres berbères, juifs et espagnols se retourneraient dans leurs trous si je leur faisais le coup de l’intolérance !
Mais pour toutes les filles, jeunes filles et femmes à qui on impose des diktats machos et à qui on fait croire que Dieu n’a rien d’autre à faire que de se préoccuper des cheveux de la moitié de l’humanité, je vais continuer à me prononcer contre la même idéologie derrière le hijab, niqab et autres que celle qui enferme et menace Raïf Badawi.
Bonne journée!
« L’article 319.3.b du Code criminel stipule en effet que «nul ne peut être déclaré coupable [d’un discours haineux si] il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument». »
Le droit civil étant parallèle et indépendant au droit criminel, il n’y a rien dans le projet de loi 59 qui protège le discours haineux basé sur des textes religieux.
Toute la question est de savoir si la Commission des droits de la personne saura demeurer impartiale et personnellement, j’ai de gros doute à ce sujet. Je lui ai déjà écris pour connaître sa position sur l’exception prévue à l’article 319 du Code criminel et personne n’a daigné me répondre.