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Les croyances apocalyptiques au coeur de l’action des djihadistes

Qu’ont en commun George W. Bush et Abou Bakr al-Baghdadi, allias Ibrahim, chef de l’État islamique autoproclamé calife? Leur croyance en la fin du monde prochaine, précédée de la bataille de l’Armageddon, le tout annonçant la venue ou le retour de leur Messie. Et dans les deux cas, cette croyance millénariste catastrophiste légitime les guerres qu’ils mènent ainsi que les atrocités commises au nom de cette croyance.

Les croyances évangéliques de George Bush ont en effet été apportées comme justification à sa guerre en Iraq. Il fallait éliminer le grand Satan incarné en Sadam Hussein et entrainer la chute de Babylone (Bagdad), un évènement annonciateur de l’Apocalypse. Il ne s’agit pas là d’une diabolisation de la politique guerrière de Bush. Nul besoin de le faire… La chose est documentée, notamment dans cet article de 2007 de la revue Allez savoir (Université de Lausanne) qui relate une discussion entre George Bush et le président français Jacques Chirac:

«Après avoir expliqué qu’il voyait Gog et Magog à l’œuvre [en Iraq], George W. Bush a ajouté que les prophéties bibliques étaient en train de s’accomplir.»

Préparer le retour du Christ n’était évidemment pas le premier motif de la guerre en Iraq, mais la croyance religieuse de Bush a contribué, à ses yeux et à ceux de millions d’Américains, à en légitimer l’exercice. Bush affirmait lui-même recevoir ses ordres de Dieu (lire aussi cet article de Rodrigue Tremblay: Bush, la droite religieuse et la fin des temps; ces fous qui préparent l’Armageddon.)

Cette croyance apocalyptique est également au coeur de l’action de l’État islamique. Dans un ouvrage paru en septembre dernier (The ISIS Apocalypse), l’analyste politique et spécialiste de l’islamisme Will McCants met en évidence le recours à la croyance apocalyptique pour fouetter l’ardeur des combattants de l’État islamique. Dans une entrevue accordée au Huffington Post USA (traduite ici) il souligne que:

«[la guerre en Irak] et la violence qui s’est ensuivie se prêtaient à un mode de pensée apocalyptique, notamment parce que ces prophéties évoquent d’énormes bouleversements et violences en Irak et en Syrie. Daech et son prédécesseur, Al-Qaïda en Irak, ont vraiment joué la carte de l’apocalypse. Cela leur servait à la fois à appréhender ces bouleversements et à rallier des combattants étrangers à leur cause. […] Quand Daech est née, en 2006, le juge suprême du groupe à l’époque a déclaré qu’ils avaient la conviction que l’arrivée du sauveur musulman, le Mahdi, était imminente, et qu’il était nécessaire de créer un Etat islamique afin de l’aider à combattre les infidèles. […] Plus tard, [Daech ] s’est mise à évoquer l’apparition du califat et sa refondation comme un accomplissement des prophéties.»

Il y a plus de un an, le politologue français Jean-Pierre Filiu mettait le doigt sur le même élément de l’idéologie djihadiste:

«A la différence d’Al Qaeda, la base de l’EI, à défaut de sa hiérarchie, est portée par des croyances millénaristes à l’impact dévastateur. On a désormais des dizaines de témoignages de «volontaires» étrangers de l’EI qui révèlent leur angoisse, mais aussi leur exaltation à l’approche de la fin des temps. […] C’est même un argument martelé pour inciter à rejoindre sans tarder les troupes du «calife» Baghdadi, car la participation à cette Bataille vaudra mille combats moins auréolés de gloire eschatologique.» (L’Etat islamique ou les chevaliers de l’apocalypse djihadiste)

Même analyse présentée par le chroniqueur de France24, Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes (L’Etat islamique est dans une logique apocalyptique).

Si vous en voulez d’autres, écoutez les propos du journaliste allemand Jürgen Todenhöfer, le seul journaliste occidental à être revenu vivant d’un séjour dans les zones contrôlées par l’ÉI. L’apocalypse n’est pas une figure de style. Les djihadistes sont même prêts à recourir selon lui à l‘holocauste nucléaire pour éliminer, si nécessaire, 500 millions d’«infidèles» (ici une entrevue télévisée en français accordée à France24). Ça donne froid dans le dos quand on sait que le Pakistan sunnite dispose d’armes nucléaires, un arsenal appelé là-bas «bombe islamique».

Baghdadi réussira-t-il à réaliser la «prophétie» là où Bush a échoué?

Le groupe armé État islamique est un pur produit de la guerre de George W. Bush contre l’Iraq, une guerre menée sous des prétextes honteusement mensongers.  Tout comme les Talibans doivent leur réussite au soutien américain pour déloger les Russes de l’Afghanistan et que le régime des ayatollahs en Iran doit son avènement au soutien des Russes pour renverser le Chah, allié des États-Unis. Malgré ces désastres, l’Europe et les É.U. ont poursuivi sur la même lancée en voulant renverser Bachar Al Assad, encore sous de faux prétextes. Cette fois, on invoque la violation des droits humains en Syrie pour mettre la main sur ce pays riche en pétrole et allié de la Russie.

Le millénarisme comme biais de l’intellect humain

Dans leurs récents volumes, Stéphane Berthomet (La fabrique du djihad) et Fabrice de Pierrebourg (Djihad.ca), qui traitent chacun à leur façon de la radicalisation de jeunes Québécois et du recrutement de djihadistes, n’accordent étonnamment que quelques lignes à la dimension millénariste de cette guerre apocalyptique. Pourtant, la pensée millénariste est bien présente chez la plupart des croyants et est centrale chez les croyants intégristes et fanatisés.

Il semble même s’agir d’un biais de l’intellect humain «formaté» par les cycles saisonniers, la conscience de sa propre mort et le fait que toute chose a un commencement et une fin. De dizaines de milliers de personnes attendent en effet la fin du monde dès que deux planètes sont dans la même région du ciel ou que survient un cataclysme. Le millénarisme était bien présent dans «la grande peur de l’an 2000» suscitée par le bogue informatique, sans parler de la fin du monde annoncée par les Mayas pour le 21 décembre 2012. Dans sa version soft, on retrouve cette pensée chez les raëliens qui préparent le retour des Élohims, sans quoi l’humanité courra à sa perte.

Mais c’est dans les religions autoproclamées «révélées» (judaïsme, christianisme, islam) que cette croyance est la plus marquée. Le dogme central de ces religions est fondé sur une doctrine censée avoir été révélée par Dieu lui-même et qui annonce sa venue ou son retour, à la fin des temps, pour juger les vivants et les morts.

Si certaines Églises millénaristes comme les Évangéliques, les Témoins de Jéhovah et  celle des Mormons se contentent d’attendre la fin des temps sans la provoquer, il n’en va pas de même pour tous.  On se souvient des suicides collectifs de Jonestown, des Davidiens de Waco et, chez nous, de l’Ordre du temple solaire, trois sectes millénaristes dont les gourous ont entrainé leurs disciples dans la mort, précédant ainsi l’imminente fin du monde… qui n’est pas arrivée. Si la fin du monde est censée survenir bientôt, aussi bien mourir tout de suite en évitant des souffrances inutiles et en devançant les autres dans l’au-delà. Peut-être ainsi aurons-nous une place assise au paradis.

Le suicide religieux marque également pour le croyant une rupture d’avec un monde gouverné par le mal. En quittant volontairement ce monde, il exprime à son dieu qu’il n’en partage pas les valeurs et qu’il n’est pas responsable de ses dérives. Agrémentez le tout de 72 vierges qui satisferont tous vos désirs pour l’éternité au paradis et il devient difficile d’y résister pour un jeune crédule et désabusé.

À ce virus de l’esprit, un seule antidote: la pensée rationnelle.