Le jugement de la juge Christiane Alary sur une requête en annulation des obligations légales d’un mariage dont le célébrant était un prêtre catholique et qui a été réalisé lors d’une cérémonie religieuse catholique, a fait couler beaucoup d’encre et a révélé une extrême confusion même chez plusieurs juristes et journalistes.
La polémique porte sur l’obligation, pour le célébrant religieux, de transmettre ou non la déclaration de mariage au Directeur de l’état civil. Selon la juge Alary, le célébrant religieux n’a pas cette obligation si la cérémonie de mariage n’est que religieuse. Elle établit donc une distinction entre le sacrement et le statut civil de conjoints mariés dévolu par l’État.
Examinons ce premier élément. Le sacrement et le statut civil sont bel et bien deux choses différentes. La preuve en est que l’Église catholique, pour ne parler que d’elle, ne reconnait aucune valeur au mariage civil. Pour l’Église, l’union célébrée devant Dieu est indissoluble (sauf en de rares exceptions) alors que pour l’État le mariage peut être rompu à la demande des époux. Sur le site internet du diocèse de Montréal, on peut lire :
« Pour l’Église, le mariage demeure indissoluble. […] Un mariage uniquement civil entre deux catholiques n’est pas un sacrement, et n’est pas reconnu par l’Église. Lorsqu’un mariage est dissous par le divorce, c’est le lien civil qui est rompu. Le lien religieux demeure si l’on s’est marié à l’Église. Lorsque le mariage à l’Église est reconnu invalide ou nul, le lien civil demeure tant qu’il n’y a pas eu divorce. »
Pour une fois, je suis d’accord avec le théologien protestant Olivier Bauer lorsqu’il écrit :
« dans une perspective protestante, cette chose [le « mariage religieux »] n’existe pas! Les Églises protestantes ne marient personne. Elles proposent des cérémonies où deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, témoignent de leur amour devant leurs familles et leurs ami.e.s, se font mutuellement des promesses, signifient leur alliance en échangeant des anneaux et demandent à Dieu, publiquement et «cérémonieusement», de les bénir, chacun individuellement et ensemble dans leur couple. »
Cela vaut pour toutes les religions et ce que décrit Bauer est ce que les religions appellent « sacrement de mariage » et que la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a appelé « union spirituelle », un néologisme apparemment de son cru. Dans nos sociétés, le mariage proprement dit n’existe qu’en vertu de la loi et n’a donc de sens qu’aux yeux de l’État, c’est-à-dire l’autorité représentant le groupe social des conjoints. C’est comme ça depuis que l’union des conjoints a été institutionnalisée dans l’Antiquité afin de réguler les rapports sociaux de parenté. Le mariage a d’abord été un contrat social avant de devenir une obligation religieuse.
Le mariage peut être accompagné d’une cérémonie religieuse, mais cela n’en fait pas un « mariage religieux » qui serait distinct du «mariage civil». Contrairement à ce que plusieurs croient, on ne trouve nulle part dans le Code civil l’expression «mariage religieux»; le mariage est par définition un contrat civil, habituellement défini comme « l’union légitime de deux conjoints», expression où le terme légitime réfère à l’autorité légale. Aux yeux de l’État, la bénédiction sacramentelle d’une union n’a aucune valeur et seule la partie civile de la cérémonie, c’est-à-dire la signature du registre civil, est reconnue.
La juge Alary a donc raison de faire la distinction qu’elle fait mais son jugement sème la confusion du fait qu’il reconnait aussi l’existence d’un « mariage religieux ». Si elle a raison du point de vue anthropologique, elle semble se tromper du point de vue juridique comme l’ont fait valoir certains juristes. Le premier ministre, Philippe Couillard, a eu lui aussi raison lorsqu’il a déclaré, en ramenant la ministre Vallée à l’ordre, que « le mariage est d’abord et avant tout un acte prévu par le Code civil » et comporte donc nécessairement « une contrepartie civile ».
Considérant ce qui précède, la juge Alary fait donc erreur en avançant qu’un ministre du culte n’a pas à transmettre la « déclaration de mariage » au Directeur de l’état civil puisque le mariage à proprement parler relève de la sanction de l’État.
Laïciser la procédure de mariage
Cette confusion vient du code civil lui-même où la laïcisation des registres de mariage n’a pas suivi la même logique que celle des registres de naissance. Avec la réforme du Code civil dans les années 90, seuls les médecins accoucheurs sont désormais habilités à déclarer les naissances à l’État alors qu’auparavant les ministres du culte pouvaient le faire avec le registre de baptême qui tenait lieu de registre civil. Le retrait de ce rôle de fonctionnaire civil attribué aux ministres religieux pour les naissances n’a aucunement empêché qui que ce soit de faire baptiser ses enfants
Pour le registre de mariage, l’État a maintenu le rôle de fonctionnaire civil attribué par la tradition aux ministres de culte alors qu’il aurait dû séparer cette tâche des fonctions remplies par le célébrant religieux. Comme dans le cas du baptême, cela n’aurait pas empêché qui que ce soit de faire bénir leur union par un célébrant religieux si tel était leur vœu. Les deux cérémonies pourraient d’ailleurs se tenir de façon concomitante, la déclaration de mariage étant assumée par un célébrant civil, suivie de la cérémonie religieuse.
Par ailleurs, si les religions ne reconnaissent pas le mariage civil, comment peut-on continuer de leur demander d’assumer ce rôle? Le jugement Alary met en évidence la nécessité de procéder à une véritable laïcisation des registres de mariage. L’attribution aux ministres de culte de cette responsabilité civile est d’ailleurs porteuse de discrimination puisque le Code civil n’accorde pas ce même privilège aux représentants d’organismes à philosophie non religieuse. Une plainte de l’Association humaniste du Québec qui réclame le même privilège que celui concédé aux religions est présentement à l’étape de l’enquête à la Commission des droits de la personne.
Le gouvernement n’a pas le choix et devra procéder à une réforme de la procédure de mariage et en compléter la laïcisation.
Cher Monsieur,
Je suis heureux que nous puissions être d’accord. Il me semble que ce pourrait être plus que « pour une fois ». Les théologien.ne.s protestant.e.s ont souvent remercié les critiques humanistes ou athéistes de la religion. Car elles nous aident à avancer.
Avec mes remerciements.
Olivier Bauer
Merci Daniel Baril de clarifier cet embrouillamini sur cette cause du mariage qui a amené de la confusion parmi la classe politique et la société québécoise.
Votre exemple de la déclaration de naissance illustre bien que cela existe déjà et que ce serait très facile à concrétiser pour le mariage civil.
J’avais spontanément exactement la même perspective que vous. Votre argumentation donne du tonus à une nouvelle mal élaborée. Ce jugement a des faiblesses et beaucoup de mérite et il force, effectivement, la clarification. On en a vu partir en panique et dénoncer le fait que les femmes de certaines religions n’auraient plus aucune protection. Ces problèmes sont réels mais ne se régleront pas par la niveleuse du mariage et sa « protection » pour les femmes. Les femmes et les enfants seront mieux protégés quand l’État admettra que le mariage (y compris son volet civil) est une institution en voie de disparition progressive et qu’il faut y substituer des disposition efficaces et qui ne relèvent pas de simili-mariages et autres gadgets juridiques qui, au niveau pratique, ne sont pas non plus adoptés par la population.
Moi qui suis une militante pour la laïcité, mon opinion est un peu différente. Maintenant, n’importe qui, vraiment n’importe qui, peut célébrer un mariage. Moi par exemple,, pourrais célébrer le mariage d’un de mes enfants . Et je serais obligée de transmettre les documents au directeur de l’état civil pour enregistrer officiellement ce mariage. C’est la loi actuelle. C’est quoi un mariage? C’est un contrat public dont la signature entraîne des engagements et des droits pour les deux parties Si je peux être célébrante, je ne vois pas pourquoi un prêtre ne pourrait pas le faire, si les gens désirent un mariage à l’église. L’avantage de la loi actuelle, c’est qu’elle fait de n’importe quel mariage , un acte civil et laïc. La position de la juge et celle de la Procureure générale, sensée faire respecter la loi, fragilisent les femmes et vont à l’encontre de tout ce qui s’est fait dans les dernières décennies pour protéger les femmes qui deviennent vulnérables économiquement, encore de nos jours, en particulier lorsque elles ont des enfants.
Quand 40% des gens ne se marient plus et que ça augmente d’année en année, quand 2 enfants sur 3 et plus naissent hors mariage, il faut cesser de voir le mariage civil et ses succédanés comme quelque chose d’efficace pour protéger les droits des femmes et des enfants.En fait les droits de toutes les parties. Essayer de rafistoler, de poser des rustines à l’institution, de compenser par ceci ou cela ne règle et ne réglera encore moins les problèmes dans les prochaines années. Il faut sortir de ce paradigme et voir les choses par une autre lunette.
Bonjour,
En Belgique nous connaissons aussi cette confusion. L’Officiant du mariage religieux (catholique!) va jusqu’à apposer son sceau et sa signature dans le carnet de mariage, émanant de la commune, lui civil ! En ce qui me concerne lors de la cérémonie religieuse ,j’ai refusé de communier : : ce qui éteint pratiquement tout recours de la part du religieux à l’encontre d’un non- événement au niveau théologique !En vertu de quel « Pouvoir traditionnel « tiré du Passé chrétien et catholique de ce foutu Pays l’on devrait plier devant de injonctions rituelles tirées de mythes invérifiables de par leur nature même !