Extraits de l’introduction du volume collectif La face cachée du cours Éthique et culture religieuse, récemment publié chez Leméac sous la direction de Daniel Baril et de Normand Baillargeon.
Le cours Éthique et culture religieuse (ÉCR), qui a remplacé en 2008 l’enseignement religieux confessionnel et l’enseignement moral, en est à sa huitième année. L’âge de raison étant ainsi atteint, le moment est venu de soumettre cet enseignement au crible de la raison. Alors que l’école québécoise offrait jusque là une option entre enseignement religieux et formation morale, le cours ÉCR est un cours unique et obligatoire pour tous. C’est ce qu’avait proposé le « rapport Proulx » en 1999 et que le gouvernement a retenu. Le rapport prévoyait toutefois qu’une place importante soit accordée aux « courants de pensée séculière ». Cet élément a été la première victime du programme ÉCR implanté dix ans plus tard. […]
Ce cours soulève de nombreux problèmes philosophiques, éthiques, pédagogiques et juridiques. S’agit-il vraiment d’un cours de « culture religieuse » et qu’est-ce que la « culture religieuse »? Comment enseigner cette culture sans transmettre les croyances d’où elle est issue? Comment prétendre à la neutralité si les éléments conflictuels des religions sont ignorés? Comment développer le « vivre ensemble » si le cours mise sur la promotion et le renforcement des différences? Comment la formation de l’esprit critique, qui est l’un des objectifs généraux de l’école, peut-elle être servie si les croyances religieuses sont mises à l’abri de la critique? Comment ce cours sert-il ou dessert-il la prévention de la radicalisation religieuse? Les préceptes religieux enseignés dans le volet culture religieuse sont-ils conciliables avec l’humanisme des droits fondamentaux, dont le droit à la liberté de conscience et l’égalité des sexes, enseigné dans le volet éthique? Pourquoi la Cour suprême a-t-elle refusé d’en accorder le droit à l’exemption? […]
Pour aller au-delà de la critique, il nous apparaissait important de montrer que des alternatives à ce cours existent et pourraient rapidement être mis en œuvre. Notre volume comporte donc deux parties : la première porte sur les lacunes du cours et identifie des impasses, des tensions et des difficultés auxquelles a conduit son implantation. La deuxième propose des solutions à ces problèmes et avance diverses façons de repenser ce qui mérite d’être maintenu ou de remplacer totalement le volet religieux par quelque chose de plus approprié.
État des lieux : une critique sans appel
Marie-Michelle Poisson ouvre l’ouvrage en brossant un survol historique de la genèse du cours ÉCR afin de montrer que ce cours visait principalement à maintenir les privilèges confessionnels et répondait aux efforts soutenus d’un lobby religieux qui a su, sous de nouvelles appellations, maintenir sa présence au sein du ministère de l’Éducation. […] Marie-Michelle Poisson décèle par ailleurs dans les fondements du programme ÉCR l’influence d’un courant philosophique appelé les anti-Lumières. Ce mouvement réactionnaire a un illustre représentant au Québec en la personne de Charles Taylor, philosophe auquel se réfèrent la plupart des défenseurs du cours.
Joëlle Quérin s’intéresse pour sa part à toute la dimension idéologique et politique qui fait que le cours ÉCR, mis en place alors que le Québec était traversé par ce qu’on appellera la « crise des accommodements raisonnables », s’inscrit dans une logique multiculturaliste explicitement revendiquée. Plusieurs modèles de multiculturalisme existent dans le monde et l’auteure soutient que sous le nom d’interculturalisme, qu’on emploie parfois au Québec, c’est bien à du multiculturalisme que nous avons affaire. Le cours ÉCR apparaît ainsi comme un projet pédagogique à haute teneur idéologique et politique qui est en outre marqué par un recul des connaissances. […]
Professeur de philosophie au collégial, François Doyon aborde certaines des présuppositions du cours ÉCR et en déplore les effets. Il insiste d’abord sur le relativisme épistémologique qui l’imprègne fortement et qui débouche sur une conception du respect et de la tolérance conduisant, dans les faits, à un refus de débattre et de critiquer certaines idées qui devraient pourtant l’être, tout particulièrement à l’école. L’ignorance est ainsi « déguisée en tolérance», on apprend à «croire sans preuve» et à «agir sans discernement». […] Doyon constate les déplorables effets de ce cours sur les étudiants qu’il reçoit au Cégep et il propose notamment qu’une formation en science pourrait s’avérer un correctif important.
Daniel Baril poursuit ce travail d’examen de la mise en œuvre du cours en se penchant sur les contenus d’une vingtaine de manuels et cahiers destinés aux élèves du primaire et du secondaire. Il souligne que l’incroyance, l’athéisme, l’humanisme et l’absence de pratique religieuse sont totalement absents des modes de vie présentés et valorisés dans ces manuels. Le programme qui vise le «vivre ensemble», la «reconnaissance de l’autre» et le «respect des différences» exclut ainsi quelque 80% de la population. Cette approche dite « culturelle des religions » n’a rien de bien différent de l’enseignement confessionnel et ouvre une brèche dans laquelle s’engouffrent les pseudosciences, l‘ésotérisme, le créationnisme et les mythes de toute sorte présentés comme des faits historiques avérés. Les aspects conflictuels des religions sont soigneusement gommés au profit d’un prosélytisme manifeste.
Le cinquième texte de cette première partie, signé de Nadia El-Mabrouk et Michèle Sirois, traite de la place des femmes dans le cours ÉCR. Elles font notamment ressortir la contradiction entre le volet éthique, qui valorise l’égalité entre hommes et femmes, et le volet religieux qui «stigmatis[e] les enfants en les obligeant à s’identifier à une religion précise et à des pratiques religieuses stéréotypées, sexistes et souvent fondamentalistes». Ce constat est tiré de l’analyse d’illustrations et de photos tirées de manuels utilisés en classe et présentant les femmes dans des rôles traditionnels, soumises à des contraintes religieuses, ne partageant pas les mêmes espaces que les hommes. […]
Père de deux filles ayant connu, pour l’une, le système confessionnel avec exemption de l’enseignement religieux, et, pour l’autre, le système linguistique avec cours ÉCR obligatoire, Daniel Dulude est bien placé pour observer les conséquences de ces deux régimes d’enseignement religieux. Il a ainsi pu constater les méfaits du cours ÉCR sur le raisonnement et la pensée critique de sa cadette. Son témoignage de parent engagé donne raison aux critiques plus théoriques formulées précédemment. […]
Ce qu’on appelle ici « culture religieuse » est appelé en France « enseignement du fait religieux » et ce contenu est intégré de façon plus ou moins formelle à divers autres cours. Sylvie Midavaine, une institutrice française, nous explique que cette « transversalité » est en fait un cheval de Troy amenant les religieux à réclamer et obtenir toujours plus de place dans l’école laïque. Rappelant les diverse étapes de l’évolution de cet enseignement, elle conclut qu’il s’agit « d’un emballage dans lequel la véritable marchandise est bien l’enseignement des religions», ce qui constitue «une violation de la laïcité ». On constate que les arguments à l’appui de l’enseignement du fait religieux, notamment ceux de Régis Debray, sont identiques au discours tenu au Québec par les défenseurs du cours ÉCR.
Prospective développer la pensée critique
Dans le premier texte de cette seconde partie, Daniel Baril analyse les deux jugements rendus par la Cour suprême du Canada sur le cours ÉCR. Combiné à un troisième jugement interdisant les prières municipales au nom de la neutralité de l’État, l’ensemble des conclusions permet de penser qu’une requête visant le retrait du volet religieux de ce cours au nom de la liberté de conscience et de l’égalité des religions aurait toutes les chances d’être remportée, avance l’auteur. Le cours ne respecte par ailleurs pas les balises établies par la Commission des droits de la personne pour assurer sa conformité avec la Charte des droits et libertés. […]
André Gagné, religiologue à l’Université Concordia, plaide pour un véritable cours d’histoire des religions qui serait offert au deuxième cycle du secondaire et pose les conditions pour éviter que ce cours ne devienne une opération de promotion de la religion. «L’approche à privilégier doit être historique et le tout doit être examiné d’un point de vue comparatif, anthropologique, social et cognitif, écrit-il. Le cours doit faire en sorte que les élèves «comprennent bien la différence entre ce qui tient de la légende et ce qu’on peut savoir historiquement. Ce n’est qu’en s’interrogeant sur la vraisemblance des récits sacrés qu’il devient possible pour des jeunes de se prémunir contre des lectures fondamentalistes. C’est précisément le manque de pensée critique qui peut conduire à la radicalisation.»
Christopher DiCarlo, philosophe des sciences à l’Université de Toronto, développe longuement un modèle d’apprentissage de la pensée critique expérimenté actuellement dans des écoles secondaires en Ontario et fait valoir les avantages intrinsèques et extrinsèques de cette formation. Il suggère qu’en « initiant les élèves aux principes universels de la pensée critique, nous leur donnons la capacité de raisonner et de penser par eux-mêmes et de manière responsable. […] Il ne s’agit pas d’enseigner aux élèves quoi penser, mais comment penser.
Normand Baillargeon rappelle pour sa part les raisons théoriques, certaines bien connues depuis longtemps, qui font qu’il est bien hasardeux de penser pouvoir enseigner la morale. Les piètres résultats des tentatives dans ce domaine le démontrent. À partir d’une distinction entre éthique du juste et éthique du bien, il propose un enseignement civique centré sur «le savoir politique du citoyen en faisant connaître les valeurs sur lesquelles repose notre conception de la citoyenneté». L’école, à son avis, « devrait promouvoir ce que l’on appelle les vertus épistémiques, celles relatives à la recherche désintéressée de la vérité, à l’écoute respectueuse des arguments d’autrui, à la capacité à réagir comme il convient à des bons arguments. De telles vertus sont possiblement bien servies par la pratique de la philosophie pour enfants», estime-t-il.
La philosophie pour enfants, c’est aussi ce que mettent de l’avant Mathieu Gagnon, Stéphane Marie et Sébastien Yergeau, tous de l’Université de Sherbrooke. Sans qu’il soit nécessaire à leurs yeux d’abolir le volet culture religieuse, ils déplorent néanmoins l’absence d’approche critique dans ce volet et s’inquiètent du clivage entre éthique et culture religieuse. Expliquant en quoi constitue la « pratique du dialogue philosophique », ils proposent l’intégration de cette pédagogie au programme ÉCR en la connectant sur les contenus du volet éthique pour l’enrichir tout en mesurant les difficultés d’une telle implantation.
Au-delà des différentes avenues proposées par les auteurs, il est frappant de constater à quel point les propositions convergent vers l’importance de développer la pensée critique. Même si les perspectives à partir desquelles cette conclusion est atteinte et les argumentaires qui y conduisent diffèrent, quelque chose de rassembleur se dessine ici.
Cet examen critique était nécessaire et si je me souviens bien des discussions qui ont mené à la mise sur pied du cours d’ECR, d’emblée il était clair qu’il fallait revenir sur ses pratiques, suite à quelques années de mise en vigueur. Dans cet article de Daniel Baril sur l’ouvrage collectif »La face cachée du cours Éthique et culture religieuse », l’on y résume l’apport de chacun des participants (es), face auxquels j’aimerais proposer quelques remarques. Dans l’introduction, Baril énonce une série de questions ultra pertinentes en lien avec l’expérience du cours d’ECR. D’emblée, Marie-Michèle Poisson affirmerait que ce cours repose sur » l’Influence d’un courant philosophique appelé les anti-Lumières. Ce mouvement réactionnaire a un illustre représentant au Québec en la personne de Charles Taylor… » Les lecteurs du philosophe Taylor savent que cette accusation n’a aucun sens. Il est légitime de rapprocher ce dernier du multiculturalisme, d’une critique de l’individualisme et partisan de la tolérance face aux différentes idéologies et religions, mais en faire un réactionnaire anti-lumière m’apparait aberrant. Doyon, ensuite, a raison de déplorer les lacunes des étudiants (es) qui arrivent au cégep, nantis de cette formation d’ECR. Mais, pour y remédier, l’enseignement des sciences est-il une panacée quand on sait qu’une bonne partie des étudiants (es) ont de la difficulté à s’arrimer à cette démarche intellectuelle? Daniel Baril avance que ce programme, adopté depuis huit années, ne représente pas 80% de la population qui serait composé d’incroyants, d’athées, d’humanistes et de non pratiquants religieux. Hélas, ces chiffres ne correspondent pas à moult donnés disponibles sur la croyance:http://www.cdpdj.qc.ca/Publications/religion-Quebec-statistiques.pdf. Dans ces tableaux, le nombre déclaré de non-croyants rôde autour de 5.9%! Également, je ne savais pas qu’en France, on ferait référence à un cheval de Troy, plutôt que de Troie. À ces quelques réserves près, je remercie les auteurs pour leur contribution car il est actuellement nécessaire de revoir ce cours, sa pratique, ses outils et références et ses effets sur les futurs diplômés.
Mon chiffre de 80% de concerne pas que les athées mais tous les croyants non pratiquants. Je cite les données à l’appui dans le volume.
Le lien entre Charles Taylor et la mouvance anti-Lumières est également étayé par des citations fort révélatrices dans l’article de Marie-Michelle Poisson.
Qui sont les gens qui ont mis au point le ‘cours’ Éthique et culture religieuse?
Merci
Ce cours provient d’une recommandation du rapport Proulx qui visait à mettre un terme à l’enseignement religieux confessionnel afin de faciliter l’établissement d’écoles et de commissions scolaires linguistiques plutôt que confessionnelle. Marie-Michelle Poisson et Joëlle Quérin reviennent sur la genèse de ce cours.
Il était temps que des intellectuels québécois secouent de leurs tripes les vestiges de la culture catholique dans laquelle ils trempent depuis leur enfance. Oui, l’Église est encore active au Ministère de l’Éducation, où elle réussit encore à neutraliser les contenus d’enseignement qui la dérange. Il en est ainsi depuis que les libéraux de Lesage ont créé cet outil apparemment républicain d’assurer une éducation non religieuse des enfants du Québec. D’abord par le Comité catholique et son droit de regard sur les programmes d’études puis, par ses faux prêtres, frères et soeurs, dans l’ombre.
Bravo et merci mille fois aux auteurs !
J’espérais depuis des années la parution d’un tel livre concluant à la carence d’esprit critique des jeunes Québécois à cause du cours d’ÉCR !
J’en ferai l’acquisition dès qu’il sera disponible en Belgique.
Roger BERGER écrit : « Il était temps que des intellectuels québécois secouent de leurs tripes les vestiges de la culture catholique dans laquelle ils trempent depuis leur enfance ».
Mais certains intellectuels croyants, par ailleurs éminents, Charles TAYLOR par exemple, persistent à camper sur leurs positions conservatrices, alors que l’incroyance progresse pourtant dans quasi tous les pays intellectualisés. Comment le comprendre autrement que par l’éducation et la culture religieuse, unilatérales et communautaristes, dans laquelle ils ont baigné depuis leur enfance, au détriment de leur sens critique, du moins dans ce domaine ?
Certains psychologues (paradoxalement religieux) se sont pourtant intéressés à l’origine éducative et culturelle de la foi, mais rares sont les neurophysiologistes qui osent proposer une explication à sa fréquente persistance neuronale …
P.S. Ancien croyant (protestant « libéral » jusqu’à 21 ans, je suis athée depuis 56 ans). http://originedelafoi.eklablog.com
@ Daniel BARIL,
Les libraires belges me répondent que votre ouvrage est déjà « manquant », = épuisé ?, chez l’éditeur.
Est-ce le cas ?
Lorsque l’accusateur écrit dans cet article: « État des lieux : une critique sans appel » se peut-il qu’on se situe non pas dans le domaine de la raison et de l’argumentation, mais au mieux dans celui de la maladresse émotive journalistique ?
Il y a bien-sûr dans le livre un certain nombre de références et quelques idées défendables qui leurs sont associées, mais il y a surtout un trop grand nombre d’allégations dirigées, non démontrées et non référées ou les auteurs nous invitent non à réfléchir, mais à croire.
En reprenant en partie la boutade de Normand Baillargeon du début de son chapitre je me permets d’écrire: « si vous pensez comprendre à la fois l’éthique, la culture et la religion, c’est que vous n’y avez pas suffisamment réfléchi ! »