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Le burkini, la dignité humaine et Philippe Couillard

On croyait que tout avait été dit sur le burkini, mais Philippe Couillard vient d’entrer dans la valse au nom de la défense de la dignité humaine. Mais ne vous méprenez pas : ce n’est pas le burkini, ou ses grands frères burka et tchador, que le premier ministre du Québec considère comme indigne mais son interdiction.

Répliquant à François Legault, Philippe Couillard a en effet déclaré à Radio-Canada qu’interdire le burkini dans les piscines serait « une attaque contre la dignité humaine ».

Un silence complice

Ne cherchez pas de condamnation de ce vêtement répressif et propagandiste dans les propos du premier ministre; il n’y en a pas.

Ce refus de condamnation est le ver dans la pomme de tous ceux et celles qui s’élèvent contre l’idée d’interdire le burkini. Tout le discours anti-prohibitionniste pèche par un manque criant de recul historique et politique et un manque tout aussi criant de vision des choses. Pourtant, on peut très bien être contre l’interdiction tout en dénonçant le message porté par ce vêtement et lutter contre sa propagation.

C’est ce que fait la philosophe Élisabeth Badinter qui déclarait, en entrevue radiophonique, que « revêtir une tenue islamique sur une plage de Nice est aujourd’hui une provocation dégoûtante », « le comble de l’impolitesse » et « le mépris absolu du chagrin éprouvé ». Mais une loi qui interdirait le port du burkini serait pour elle « absolument ridicule ». Voilà le discernement qui manque aux défenseurs du burkini.

Le fameux cas d’intervention policière sur une plage de Nice a fait beaucoup de bruit et a été monté en épingle par les anti-prohibitionnistes qui n’y voient que l’aspect répressif. Mais regardez bien les photos de cette intervention : que faisait cette femme en burkini seule au milieu d’autres femmes en bikini au lendemain de la tuerie? Par qui les photos ont-elles été prises? Ça sent la provocation dont parle Badinter, voire le coup monté.

burkini-nice

Intégrer… par l’auto exclusion!

Le silence sur le caractère ridicule, voire odieux, répressif et antiféministe du burkini, est généralement accompagné de l’argument suivant : ce vêtement permet aux musulmanes de se baigner, donc de s’intégrer. C’est aussi dans la déclaration de Philippe Couillard.

Cet argument omet bien entendu de poser la bonne question: pourquoi ces musulmanes ne pourraient-elles pas se baigner sans un tel vêtement inapproprié pour la cause? Comme le rappelle Djemila Benhabib dans une entrevue à Châtelaine, « il y a 20 ans, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, la majorité des femmes se baignaient en maillot. Pendant que d’autres, couvertes de la tête aux pieds, restaient sous le parasol et nous regardaient, probablement avec envie. Aujourd’hui, celles qui portent un maillot normal se sentent menacées. »

On peut même trouver des photos de femmes en minijupes à Kaboul dans les années 70. Que s’est-il donc passé entre ces années et aujourd’hui? La réponse n’est pas dans les aléas de la mode mais dans la montée de l’islamisme politique. Fermer les yeux sur cette réalité conduit à de l’aplaventrisme devant la montée du fascisme religieux.

Le burkini n’est pas un vêtement comme les autres et ce n’est pas une pudique tenue de plage ou de piscine. C’est un vêtement politico-religieux qui doit être évalué en tant que tel.

Le silence pro-burkini camoufle le message de la porteuse de cet étendard de l’islamisme. L’analyse du problème soulevé par cette innovation des intégristes doit se faire à la lumière de tout ce qui a été dit sur le port du hidjab qui, dans les années 90, était identifié comme l’étendard de l’islam intégriste. Après le hidjab est venu le tchador, puis la burka et aujourd’hui le burkini. Les femmes qui portent ces vêtements sont-elles mieux intégrées du fait qu’elles s’isolent ainsi du reste de la société?

Un excellent exemple de silence complaisant sur la portée politique du burkini est donné dans un article de Francine Pelletier qui y voit un accommodement raisonnable pour les écolières musulmanes. « Mieux vaut encourager les étudiantes musulmanes à se baigner emmitouflées, croit la Commission scolaire de Montréal, que de les reléguer à la marge et à l’isolement », reprend-t-elle à son compte en ajoutant : «  Applaudissons à sa sagesse et à son courage ».

Au lieu d’interdire le burkini, estime Francine Pelletier, il faut plutôt combattre le wahhabisme qui, en Arabie, est le frère jumeau de DAESH. Ce faisant, elle ferme les yeux ou ne voit pas que ce qu’elle considère comme un accommodement raisonnable est justement un produit du wahhabisme. Peut-on combattre le wahhabisme et applaudir ses succès? En acceptant le burkini dans les piscines scolaires, il devient par ailleurs impossible d’interdire le hidjab au nom d’un costume scolaire.

Pas de burkinis au Québec???

Gérard Bouchard fait preuve d’un aveuglement encore plus grand. Dans un billet sur le sujet, il affirme qu’« ici, on n’en a jamais vu la trace [du burkini] » et que « la controverse nous vient d’ailleurs ». Le Québec n’est pas un pays de plages et ce n’est sans doute pas demain que l’on verra des burkinis chez les nudistes d’Oka. Mais Gérard Bouchard ignore que si la plupart des piscines publiques ou privées ont comme politique d’accepter les burkinis, c’est parce que ça se porte même ici.

Dans une réponse à Bouchard, Sophie Durocher dit en avoir aperçu six en trois heures au Super Aqua Club de Pointe-Calumet.

Encore plus gênant, les YMCA du Québec font leur publicité de bain libre avec une femme en burkini.

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Et pourquoi réclamer à la fois le burkini et des heures réservées aux femmes?

En tapant « burkini Montréal » sur Google, j’ai obtenu pas moins de 110 annonces de burkinis sur Kijiji provenant de vendeurs de la grande région montréalaise. À qui sont destinées ces annonces sinon aux musulmanes d’ici?

Et au moins deux écoles de la Commission scolaire de Montréal acceptent ce vêtement pour les élèves. Alors, pas de burkinis au Québec, M. Bouchard?

La même ignorance aveugle a été affichée par Pierre-Luc Brisson, l’un des chroniqueurs multiculturalistes de l’émission de Radio-Canada « Plus on est de fous plus on lit » (animée par Marie-Louise Arseneault). Émule de Gérard Bouchard, il déclarait, le 30 août dernier, que « personne n’a jamais vu de burkinis au Québec » et qu’il s’agit d’un « débat importé ». Misère!

Son blogue sur le sujet est un excellent exemple d’arguments à courte vue délaissant l’histoire récente des voiles islamiques et de leur portée. Pourtant, Pierre-Luc Brisson est lui-même doctorant en histoire. Il situe bien malhabilement le débat sur le birkini dans une opposition entre la gauche et la droite alors que sa position, bien qu’il se dise de gauche, le range du côté de l’extrême droite religio-fasciste. Dans une affirmation on ne peut plus relativiste, il soutient « qu’aucune société ne peut prétendre, en regard de l’histoire, à une quelconque supériorité ». Re-misère!

Ainsi, les sociétés démocratiques ne valent pas mieux que les sociétés esclavagistes ou théocratiques! Le Siècle des Lumières ne vaut pas mieux que l’obscurantisme du Moyen-âge! Tout se vaut aux yeux des relativistes-multiculturalistes.

D’autres ont même comparé le burkini à un wetsuit. Re-re-misère! Même la députée de Québec Solidaire Manon Massé nous a servi cet exemple ahurissant! Un wetsuit, faut-il le dire, est un vêtement adapté aux sports nautiques en eau froide. Vous ne verrez personne porter de wetsuit dans une piscine ou pour relaxer sur une plage.

Dans une autre entrevue, la députée met le burkini et le string sur le même pied en tant que « systèmes d’exploitation ». Du grand n’importe quoi! Quelqu’un a-t-il déjà vu une femme se faire défigurer au vitriole parce qu’elle refusait de porter un string?

Il y aurait encore beaucoup à dire mais j’emprunte le mot de la fin à Gérard Biard, de Charlie Hebdo : « le burkini n’est pas une affaire de baignade, mais de lente noyade intellectuelle ».