La religion est-elle en elle-même un facteur de violence ou n’est-elle qu’instrumentalisée pour mener des combats purement terrestres? C’est la question hautement controversée à laquelle s’attaque une équipe d’étudiants de deuxième et troisième cycles de l’Université Concordia sous la direction du professeur André Gagné, historien des religions au Département d’études théologiques. Et leur réponse est oui à la première partie de la question.
Leurs réflexions font l’objet d’un volume collectif qui vient tout juste de paraître: The Global Impact of Religious Violence. L’ensemble des travaux gravite autours de la thèse d’Hector Avalos, professeur d’études religieuses à la Iowa State University, et fondée sur la théorie de la rareté des ressources.
Le concept est emprunté à l’économiste anglais Thomas Malthus (1766-1864) qui considérait que les ressources matérielles locales sont insuffisantes pour répondre aux besoins d’une population sans cesse grandissante et que cette rareté conduit aux guerres dont l’objectif est d’accroître les ressources. L’originalité d’Avalos est d’avoir développé ce modèle en l’appliquant au domaine religieux.
Rareté des « ressources surnaturelles »
« La pensée religieuse, qui présuppose l’existence non vérifiable empiriquement d’êtres ou de forces surnaturels, produit des ‘’ressources’’ qui sont perçues comme rares et qui doivent être jalousement gardées », explique André Gagné dans une entrevue qu’il m’accordait. Le terme ressource est à prendre ici au sens figuré et réfère à des croyances. Leur « rareté » est due au fait que toutes les religions prétendent détenir la Vérité qui, par définition, est unique.
Pour Avalos, les religions et plus particulièrement les monothéismes juif, chrétien et musulman, produisent quatre types de « ressources surnaturelles rares ». La première est la croyance en la révélation par les écritures. Le concept de révélation suppose que la Vérité est révélée par Dieu à un prophète qui transcrit le message dans des textes qui deviennent ainsi sacrés. Le texte « révélé » est considéré, par chaque religion, comme étant le seul chemin menant à la ressource ultime qui est le Paradis, ce qui en fait un produit extrêmement rare.
Vient ensuite le lieu considéré comme sacré parce qu’un évènement divin est censé s’y être produit ou que Dieu l’a attribué à un groupe en particulier. Il peut s’agir d’un lieu de culte ou d’un pays tout entier. Le cas de Jérusalem pour lequel les trois religions abrahamiques ont des prétentions de propriété entraînant les conflits séculaires que l’on connaît en est le meilleur exemple.
Les religions confèrent également des privilèges réservés exclusivement à leurs fidèles et dont les croyants d’autres religions ne bénéficient pas. C’est le « nous et les autres » exacerbé par l’appartenance à ce qui est perçu comme le seul bon groupe.
La quatrième ressource rare est le salut lui-même. Par définition, le salut n’est pas accessible à tous mais seulement à ceux qui font partie du bon groupe et qui en ont payé le prix, généralement à coup (ou à coût..) de sacrifices.
La croyance en l’idée que le salut et les voies pour l’atteindre ne peut appartenir qu’à la seule « bonne religion » est un facteur d’incitation à l’élimination des autres voies qui, bien que considérées comme hérétiques, n’en présentent pas moins une menace pour l’obtention de la ressource. Les hérétiques ne sont pas que les croyants des autres religions mais peuvent se trouver au sein d’une même grande famille religieuse, comme les protestants face aux catholiques ou les sunnites face aux chiites.
Les textes « sacrés » regorgent d’incitation à une telle violence envers l’infidèle, y compris les évangiles chrétiens où la violence est différée par la menace de l’enfer. Cette dernière caractéristique n’a d’ailleurs pas empêché les Croisades, l’Inquisition et les guerres de religion en Europe.
Il y aurait donc une violence attribuable spécifiquement à la pensée religieuse. Pour André Gagné, « l’idéologie religieuse confère une légitimité plus grande aux conflits politiques en leur attribuant un caractère sacré conduisant jusqu’à l’idéalisation de la mort par le martyre. La violence religieuse diffère aussi de la violence strictement politique par le type de ressources convoitées : contrairement aux ressources économiques, l’existence des ressources surnaturelles n’est pas empiriquement vérifiable. La violence qu’elles entraînent en est d’autant moins justifiable sur le plan éthique », affirme-t-il.
Rectitude médiatique
Dans le chapitre qu’il signe dans cet ouvrage collectif, André Gagné déplore le silence des médias sur le lien qui, dans certains cas, lui semble évident entre religion et violence. Des spécialistes en histoire des religions pourraient à son avis donner l’heure juste sur cette question plutôt que de présenter la réalité avec des lunettes roses comme le font la plupart des intervenants.
Le professeur qualifie cette attitude médiatique de rectitude politique. « On peut parler de rectitude politique lorsque des organes supposément neutres comme les médias font de la censure sur les questions religieuses », affirme-t-il.
Soutenir, comme on l’entend souvent, que la religion n’est qu’instrumentalisée par des individus « égarés » et qu’elle n’a rien à voir dans les attentats relève du « colonialisme intellectuel » : « Qui sommes-nous pour dire que cela n’a rien à voir avec la religion quand ceux et celles qui commettent des actes violents nous disent qu’au contraire, cela a tout à voir ? N’est-ce pas là une sorte de colonialisme intellectuel que d’attribuer à d’autres des motivations différentes de celles qu’ils disent avoir ? », confiait-il au journal de Concordia.
« Il n’y a pas de ‘’vrai’’ islam ou de ‘’vrai’’ christianisme que l’on pourrait opposer à de ‘’fausses’’ versions de ces religions. Opposer orthodoxie et hérésie est un faux dilemme qui essentialise la religion », me précisait-il.
André Gagné trouve par ailleurs regrettable que les spécialistes de la religion, pour des raisons qui leur appartiennent, soient eux-mêmes réticents à aborder le côté sombre du religieux. À la conférence internationale de l’UNESCO sur la radicalisation tenue à Québec récemment et à laquelle il a assisté, très peu d’intervenants, autres que les ex-radicalisés, ont abordé la dimension religieuse en lien avec leur engagement violent, rapporte-t-il.
The Global Impact of Religious Violence est en quelque sorte l’antithèse du volume de Karen Armstrong paru l’an dernier, Fields of Blood, et dont l’objet est de disculper la religion dans l’avènement des conflits violents. Ce denier ouvrage, faut-il s’en étonner, a reçu un certain écho à l’émission très « rectitude politique » de Radio-Canada Plus on est de fous, plus on lit.
André Gagné est également du groupe dont je faisais aussi parti et qui a critiqué le récent rapport du SHERPA concluant notamment que la religion peut présenter un facteur de protection contre la radicalisation violente. L’Université Concordia lui décernait, en septembre dernier, le prix Opinion Leader pour son expertise sur les questions entourant la radicalisation et la violence religieuses.
L’histoire a davantage démontré, que c’est plutôt l’athéisme systémique qui génère davantage de violence qu’une religion d’État.
L’usage, de plus en plus abusif – c’est la mode!, du qualificatif « systémique » est tellement révélateur d’une certaine idéologie islamo-gauchiste à la mode!
Par contre, il est vrai qu’il y a eu des religions/idéologies se disant athées qui ont été particulièrement criminelles, comme le marxisme-léninisme avec ses prolongements staliniens et maoïstes, de même que le nazisme.
Mais comme l’athéisme est d’origine plutôt récente, on ne peut lui imputer tous les crimes commis, au nom d’une doctrine quelconque, depuis des millénaires.
Le problème n’est pas la religion, mais la tendance humaine à croire détenir la vérité et que ses « valeurs » excusent tout. La tendance à classer le monde entre « bons » (nous) et « méchants » (les autres) qui ne méritent pas de vivre ou, à tout le moins, d’être considérés comme des « humains ».
Doit-on rappeler les crimes atroces commis depuis des décennies au nom de la « démocratie »: sanguinaires dictatures installées et soutenus pour sauver « le monde libre », torture institutionnalisée, massacre des « communistes » ou autres « ennemis de la démocratie », … En 1999, l’OTAN, pour fêter ses 50 ans a même inventé la notion de « bombardements humanitaires », promise à un grand avenir.
L’athéisme a aussi eu ses « fidèles croyants » prêts à tout pour imposer leurs vues. Pendant la Révolution française, des curés et des croyants ont été massacrés (quelques fois après avoir été torturés ou battus); des églises et des cimetières profanés; des religieuses sorties de force des monastères, forcées de se dévoiler, placées sur la place du marché où les « bons patriotes » pouvaient venir se choisir leur épouse, les laissées pour compte devenant les servantes des dits « bons patriotes », … Le tout acclamé comme, et je cite, « le recul du fanatisme ».
La religion n’est qu’une des « bonnes causes » qui peut être dévoyées pour justifier les pires horreurs.
Si la religion peut justifier certaines guerres, le patriotisme et la démocratie n’ont pas donner leur place depuis plus de deux siècles.
Monsieur Baril, les sceptiques ne risquent-ils pas d’être confondus ? Vous concluez en nous parlant du groupe qui a critiqué le récent rapport du SHERPA. Alors pourquoi mettez-vous en hyperlien la critique de ce groupe tout en omettant d’y mettre celui de ce rapport ?
http://www.sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/2016/10/Rapport-de-recherche-CEGEP-FINAL-24.10.2016.pdf
Lien pour le rapport du SHERPA est dans l’encadré accompagnant notre article du Devoir. J’aurais en effet pu l’ajouter, ou faire comme la plupart des blogueurs et ne mettre aucun lien du tout dans mes textes.