Pourquoi les Juifs québécois ne s’identifient-ils pas spontanément à la nation québécoise? Pourquoi ne parlent-ils pas français avec l’accent québécois? Pourquoi, contrairement à la France ou aux États-Unis, les Juifs du Québec constituent-ils un groupe différent de la société dans laquelle ils résident? Qui est responsable de la non-identification à la nation québécoise, les Juifs ou les Québécois?
Voilà les questions «rarement soulevées» sur lesquelles Victor Teboul réfléchit dans son dernier essai, Les Juifs du Québec; In Canada We Trust. Réflexion sur l’identité québécoise (L’ABC de l’édition, 2016)[1].
Originaire d’Égypte et arrivé au Québec en 1963 via la France, Victor Teboul est lui-même juif et a choisi de s’identifier sans réserve à la nation québécoise et d’en épouser les aspirations souverainistes. Avec Zabi Enâyat-Zâda dont je soulignais récemment le parcours migratoire, Victor Teboul est un exemple d’intégration et d’adaptation réussies à la société québécoise. Ses réflexions apportent un regard inédit sur l’éternel débat identitaire qui anime le Québec et qui prend, actuellement, un goût acerbe face à la montée des courants multiculturalistes et d’une nouvelle vague d’immigration qui chamboule les forces en présence.
De Durham à Michaud
Si Victor Teboul se considère inclus dans le «nous» québécois, il n’en va pas de même de ses coreligionnaires et il le déplore vivement. Il faut dire qu’aux ambiguïtés que recouvre l’identité québécoise s’ajoutent les ambiguïtés de l’identité juive selon que l’on se considère juif, Juif, Québécois, Canadien ou de toute combinaison des quatre.
On connaît les raisons historiques qui ont contribué à drainer l’immigration juive du côté anglo-québécois et l’auteur nous les rappelle. À l’époque de la colonie française, il était interdit aux Juifs et aux huguenots de France d’aller s’y établir, ce qui était aussi le cas des autres colonies françaises. Les premiers Juifs sont donc arrivés après la conquête britannique alors que l’immigration visait, en accord avec un certain Durham, à surpasser les francophones en nombre. Plus tard, dans les années 1960, une forte immigration sépharade francophone a été prise en charge par l’establishment de la communauté anglophone ashkénaze déjà bien implantée. Le système scolaire confessionnel, qui a prévalu jusqu’en 2000, a également conduit à l’anglicisation de toute immigration non-catholique.
Victor Teboul reproche par ailleurs aux auteurs, historiens et sociologues nationalistes québécois leur réticence à reconnaître cette exclusion des Juifs de la société francophone, exclusion notamment alimentée par les idées racistes et antisémites de Lionel Groulx qui fut un temps le penseur de la nation. Il s’en est suivi, au sein de l’élite francophone, une certaine culpabilité silencieuse qui s’est notamment manifestée par la condamnation unanime, par l’Assemblée nationale (sous le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard), des propos d’Yves Michaud accusant, en 1995, le Congrès juif du Canada et le B’nai Brith d’être anti-québécois.
Aux yeux de Teboul, ce fut une intervention politique disproportionnée motivée par le désir d’effacer maladroitement toute trace d’antisémitisme. L’affaire illustre également le réflexe des milieux nationalistes à tendre la main à l’«establishment juif» opposé au projet souverainiste plutôt qu’aux Juifs favorables à l’indépendance. Il faut dire que ceux qu’il nomme se comptaient à l’époque sur les doigts d’une main et ne sont toujours pas, à l’heure actuelle, réunis en association contrairement aux Juifs anglophones.
Ce réflexe est aussi celui des médias qui donnent la parole aux groupes de pression et ignorent la variété des opinions au sein d’une communauté. La même chose pourrait être dite à l’égard des musulmans…
L’anglicisation des Juifs a conduit la communauté à adopter le schème de pensée du multiculturalisme qui, tel un cercle vicieux, est lui-même un facteur d’anglicisation du Québec en général et de Montréal en particulier. Les Juifs, même francophones, sont ainsi absents des milieux artistiques québécois, contrairement à ce qui s’observe en France et aux États-Unis. Cette adhésion au multiculturalisme s’observe notamment dans la répulsion que les Juifs d’ici expriment à l’endroit de laïcité alors qu’en France ils en sont de fervents défenseurs. Lors du débat sur le projet de loi 60 («charte de la laïcité») appuyé par plus de 60% de la population, le Congrès juif du Québec a même affirmé que la laïcité menaçait la «spécificité juive»!
À partir des exemples du député communiste Fred Rose, de l’éditorialiste pro ouvrier Jules Heilbronner allias Jean-Baptiste Gagnepetit, de la syndicaliste Léa Roback, du militant pour la cause francophone Stan Gray (Opération McGill français), de l’avocat Bernard Mergler (avocat de felquistes), du Dr Henry Morgentaler et de quelques autres, Victor Teboul souligne par ailleurs que des Juifs ont aussi été du côté des luttes progressistes menées par les Québécois.
Pour une mémoire inclusive
Après avoir navigué quelque peu en zigzag et s’être arrêté sur les ambiguïtés de l’«identité québécois blessée» et qui n’ose pas s’affirmer, Teboul en arrive à plaider pour une «mémoire inclusive» (qui n’a rien à voir avec la cause des «inclusifs» de la «laïcité ouverte»). C’est là, je crois, le véritable propos de cet essai. Les Juifs font partie de l’histoire du Québec mais ne font pas partie de la mémoire collective, déplore-t-il.
L’un des obstacles à cette inclusion est «la manière surprotectrice d’aborder l’histoire» sans tenir compte de la perspective des communautés immigrantes. Ce regard des «Québécois de souche» où l’on préfère discuter «entre nous autres» en ressassant la Conquête lui apparait victimaire. Autant il invite ses coreligionnaires à s’approprier les moments forts qui ont constitué l’identité québécoise et à s’identifier à cette nation, autant il invite les milieux souverainistes à incorporer dans leur vision de la nation la contribution des immigrants de toutes origines.
Bien que le Québec lui apparaisse exemplaire sur le plan de l’ouverture au monde, il importe, dit-il, «de nous assurer que les résidents du Québec s’identifient désormais à la mémoire collective québécoise. […] Je propose, conclut-il, qu’on délaisse la dimension victimaire de la défaite et qu’on valorise les combats des Québécois de toutes allégeances et de toutes origines, qui se sont battus contre les injustices de leur époque […] en faisant connaître au grand public leurs luttes et leurs réussites dans l’histoire du Québec.»
Les propos de Victor Teboul s’adressent tout autant à ses coreligionnaires qu’aux Québécois «pure laine». Une version anglaise serait donc souhaitée!
[1] Tout au long de l’ouvrage l’auteur écrit le mot Juif avec une majuscule, ce qui désigne les descendants du peuple juif et non les adeptes du judaisme. J’ai respecté cette graphie, bien qu’il soit impossible dans les cas cités ici de faire la distinction.
La communauté juive vit essentiellement dans un ghetto (surtout mental) et, sauf de rares exceptions, sont des libéraux forcenés (dans l’équation Québec – Canada- USA- Mondialisation) dont ils sont commanditaires. Les rapports avec les québécois « souchés » se résument aux affaires, en particulier l’immobilier. Ils sont d’ardents défenseurs et promoteurs d’Israel et de la Terre Promise (leur allégeance est là-bas, pas ici), et pour eux le génocide palestinien n’est que propagande de « l’occupé ».
En France et aux USA, le lobby juif est différend et plus important parce qu’il participe directement au pouvoir (Hollande, Sarkozy, Macron, Walls, Rockefeller, Soros, Bloomberg, etc…); ici, il se contente d’entretenir le concept d’antisémitisme et la promotion de la Shoah qui ajoute une couche au sentiment de victimisation des québécois, ces derniers n’étant pas du tout certains de ses acquis (y compris la laïcité) tels que mentionnés par l’auteur.
Cette communauté, en général, se comporte comme une multinationale qui est venue brasser des affaires, et négocie des conditions de travail et d’existence (école, synagogue, lobbying) pour ses ressortissants.
Je pense que tant que la nation québécoise ne se déclarera pas « nation », il n’y a aucune raison pour eux d’y changer quoi que ce soit.