Hier, je me suis fendu d’une montée de lait, j’ai encore une veine qui pompe sur le front. Laissez-moi vous en expliquer l’origine.
D’abord, un peu d’histoire. Après la Deuxième Guerre mondiale, l’Occident a fait à divers degrés l’expérience de l’État-providence. Appuyé entre autres sur les théories de John Meynard Keynes, qui établissent que l’État peut et doit jouer un rôle dans l’économie, l’Ouest a connu une ère de prospérité sans précédent, les Trente Glorieuses. Une nouvelle catégorie sociale est née: la classe moyenne — oui les jeunes, elle n’a même pas 100 ans! Les blessures infligées par les fléaux du début du siècle ont suscité une solidarité généralisée. La création d’un filet social pour les plus démunis tombait sous le sens.
Mais voilà: comme toute expérience humaine, elle a eu ses arrogances. L’État s’est montré gourmand, siphonnant jusqu’à 90% des revenus des plus nantis (voir la chanson Taxman des Beatles). La guerre était déclarée.
La victoire s’est profilé pour les ennemis de Keynes lorsqu’une autre école économique, dite École de Chicago, a prédit avec succès l’épisode de stagflation des années 70. Le monétarisme postulait que l’intervention de l’État dans l’économie était nuisible. Il a eu raison cette fois. Le néolibéralisme était parti pour la gloire.
Les changements de paradigmes entraînent souvent un rejet de l’Histoire. Le keynésianisme, qui avait fait ses preuves 30 ans durant, a été conspué. L’État est devenu un paria. Dans les mots même de Ronald Reagan: «Ne demandez pas à l’État de résoudre votre problème, car votre problème c’est l’État».
Résultat: nous voici maintenant dans l’ère de la religion du Marché. La Main Invisible a beau s’être fourré le doigt dans l’oeil jusqu’aux couilles, provoquant la plus sévère récession depuis la Grande Dépression — celle-là même qui avait permis à Keynes de forger ses théories! — rien à faire: le démantèlement de l’État doit suivre son cours.
Oui, l’État est en général boursouflé, dysfonctionnel, kafkaïen. Mais il est le seul contre-pouvoir connu à opposer à la puissance chaotique du Marché. Il faut donc le rénover.
Et c’est ici que le bât blesse, et c’est ici l’origine de ma colère. Les prétendus réformateurs de l’État qui détiennent en ce moment le pouvoir sont au service du Marché. Ils ont été placés sur leurs trônes grâce aux intérêts privés et ils servent ces intérêts privés. Réingénérie de l’État? Bullshit! On le vend en pièces détachées aux plus offrants! On se débarrasse des irritants — le filet social — et on en fait une courroie de transmission entre gens d’affaires, une immense Chambre de commerce au service de ses bâilleurs de fonds.
Quoi faire? Surtout ne pas attendre que l’Histoire nous rappelle à l’ordre; l’expérience le démontre, elle est sans pitié, même pour les puissants qui en perdent parfois la tête. Il faut redonner à l’État son rôle de rempart contre les abus du libéralisme économique. Et puisque, de tout temps, l’État a servi ceux qui le dirigent, il faut se l’approprier.
N’en déplaise à Louis XIV et aux potentats patentés, l’État, ce n’est pas Toi. L’État, c’est Nous.
Commentez sur Twitter, toujours, sous le hashtag #LÉtatCestNous