Depuis deux semaines, comme à peu près 4 567 385 internautes, je blogue.
J’ai honte.
J’ai honte d’avoir succombé à l’effet de meute. Tout le monde et son frère a une opinion à partager. Tout est dit sur tous les sujets tout le temps. Comme si la sphère publique n’était pas déjà assez saturée d’avis pontifiés avec autorité. Sérieusement, puisque Richard Martineau a toutes les opinions, qu’est-ce qu’il reste aux autres?
Je pose la question sérieusement : comment est-ce possible de se faire une tête sur TOUS les sujets? Ça va quand on est autour d’une couple de bières; on traite Jean Charest de pourriture humaine entre deux rotes et DSK d’obsédé sexuel en reluquant les fesses de la serveuse; on ne s’en rappelle plus le lendemain de toute façon. Mais se commettre publiquement? Laisser des traces de nos coups de gueule? C’est un comme un sex tape intellectuel : ça va revenir nous hanter plus tard, c’est certain.
Soyons francs : il y a de l’ego derrière tout ça. Regardez comme je sais penser, voyez le bretteur hors pair de la langue que je suis. C’est moi le prochain Patrick Lagacé. C’est moi le prochain Jean-François Lisée. Ou, si t’as moins d’ambition, c’est moi, le prochain Mathieu Bock-Côté.
Le blogue, c’est comme le salon en France au XIXe. On va là pour briller en société. Le désir de partager ses connaissances vient loin derrière le plaisir d’être lu. Avouez : combien de blogueurs évaluent la qualité de leurs billets à la quantité de commentaires reçus? Mon envolée lyrique sur le socialisme libertaire de Proudhon était peut-être un peu aride dans mon dernier billet. Je vais chier sur PKP dans le prochain : à moi le lectorat du Devoir!
Le blogue spécialisé n’échappe pas à la dérive. Je suis un amateur de bières. La bière artisanale a le vent dans les voiles, les blogues sur le sujet pleuvent. Mais précisément parce que je m’y connais un tantinet, si vous saviez le nombre d’énormités que je lis! C’est pas parce que tu fais la différence à l’œil entre une 50 et une Guiness que t’es un expert! On me demandera : si tu t’y connais, pourquoi ne blogues-tu pas sur la chose plutôt que de nous emmerder avec tes opinions à 5 cennes sur le mouvement étudiant? Parce que j’en sais assez pour savoir que je ne sais pas grand-chose. On dirait que la connaissance réelle invite au scrupule intellectuel.
Sur Twitter, même s’il s’agit littéralement d’un microblogue, j’éprouve moins de honte. Je peux bien prétendre que je sais de quoi je parle quand je cause politique; lorsque j’éructe, c’est un coup de vent; il disparaît presque aussitôt qu’il a été émis. Mais le blogue? Très difficile de ne pas succomber à la vanité de l’écriture.
Bien écrire et bien penser sont deux choses différentes. Je donne un exemple quitte à me faire botter le cul : Pierre Foglia. C’est, de loin, la meilleure plume du commentariat québécois. Un jour, il se commet, je ne me souviens plus trop pourquoi, sur le mont Mégantic où il y a un observatoire astronomique. Il trouve stupide qu’on construise un télescope sur une montagne. C’est comme la fourmi qui monte sur un téton pour mieux voir les étoiles. Je m’intéresse à l’astronomie, je sais que les observatoires sont construits sur les montagnes pour s’affranchir de la turbulence atmosphérique; je comprends donc qu’il a erré. Combien de fois l’ai-je admiré pendant qu’il dissertait sur un sujet que je ne connaissais pas, alors qu’il proférait des âneries? Allez donc savoir. Le style est souvent l’ennemi de la pertinence.
Cela dit, Foglia a la bonne idée de ne pas tenir de blogue. C’est plus fort que moi.
Oui, il y a des blogues informatifs, intéressants. Oui, il y a des blogues esthétiques tissés comme des œuvres d’art. Mais c’est l’exception. Le reste, c’est du concentré d’ego.
Alors quoi? Quitter la blogosphère? Pfff, je suis bien trop vaniteux pour ça. Non. Je vais au moins m’efforcer d’épiloguer sur ce que je connais.
Bienvenue sur mon blogue pour auteur télé amateur de bières et d’astronomie père de famille nombreuse ayant chanté dans un band heavy metal. Les autres, allez voir ailleurs.
(Partagez vous aussi votre exaspération sur Twitter sous le hashtag #MarreDesBlogues)