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Je crois que j’ai compris…

À force de débattre à propos de la charte, et je le fais abondamment sur les réseaux sociaux, je crois avoir compris la position de ceux qui la défendent bec et ongles. Cette charte — aussi imparfaite soit elle m’accorde-t-on souvent — s’attaque à un problème important : l’envahissement grandissant de la sphère publique par le fondamentalisme religieux. Ça n’a rien à voir avec la laïcité, qui est la neutralité de l’état face à la religion. Mais convenons pour le moment qu’un débat sur la sémantique du mot laïcité est à côté du sujet. Cette charte veut brider l’expression de l’intégrisme religieux. Comment, dit comme ça, peut-on s’y opposer?

La montée du fondamentalisme religieux n’a rien de rassurant, en effet. Ce qui l’exprime par-dessus tout, c’est évidemment le voile musulman, du full face au plus coquet des hijabs. J’ai en mémoire une observation de Marie-Josée Turcotte qui remarquait au défilé des Jeux olympiques de Londres que le voile, désormais omniprésent, était pratiquement absent 20 ans plus tôt. Clairement, la religion musulmane a durci ses pratiques. Si on imposait un tel code vestimentaire à une minorité ethnique, il serait vu pour ce qu’il est : une forme de discrimination. Mais quand les femmes écopent, ça ébranle rarement la communauté internationale.

C’est désespérant parce que la religion, c’est ce que c’est : un système de croyances irrationnelles auquel on peut opposer tous les arguments du monde sans pouvoir ébranler une infinitésimale parcelle de convictions. En fait, le sentiment religieux, ça se fissure, mais sur la durée. L’arme ultime, c’est l’éducation: quand on comprend que le tonnerre, c’est l’expansion brutale d’une colonne d’air chauffée, la nécessité d’un dieu est moins criante. Bref, le processus est long. Mais quand le problème est immédiat, et l’inconfort si prononcé, on fait quoi pour tenter de trouver un début de solution pour le régler?

Je n’en sais sincèrement rien. Depuis la récupération de la question des accommodements raisonnables par l’ADQ en 2007, cette question me hante et m’indispose à la fois. Car cette dénonciation tous azimuts des manifestations les plus patentes de l’intolérance religieuse a provoqué une déconcertante vague de xénophobie. «S’ils sont pas contents, qu’il retourne chez eux» est passé dans le langage courant plus rapidement que «steak-blé-d’inde-patate». Le point culminant de ce triste épisode a été atteint à Hérouxville, où l’on s’est imaginé que nos filles étaient en danger imminent d’excision, rien de moins. Est-ce que le populisme de Mario Dumont pouvait être tenu responsable de cette dérive? Probablement. À tout le moins, il fallait retenir une leçon de l’affaire: cette question est explosive et doit être abordée avec d’infinies précautions. Dénoncer l’intolérance religieuse sans attiser l’intolérance, point, c’est un sacré défi.

Arrive le PQ. Sa première initiative pour s’attaquer à la question : nommer son projet de loi «charte des valeurs québécoises». C’était exactement, précisément ce qu’il ne fallait pas faire. Tenir ce débat sur des bases identitaires, c’était s’assurer d’opposer le «nous» au «eux», ferment de la xénophobie. Pour en rajouter une couche, le PQ a découvert le mot ostentatoire et promis de protéger le crucifix, renforçant ainsi l’impression que le problème, c’est les autres! De façon prévisible, les excès de langage ont fusé : «criss de folles»; «j’ai peur de me faire soigner par une femme voilée»; et la variante savante du fameux slogan : «s’ils ne sont pas content, qu’ils plient bagages». Après les 270 heures de commission parlementaire, qu’aurons-nous encore entendu?

Mais que fallait-il faire, s’il ne fallait pas faire comme le PQ? Je n’ai pas de certitudes. J’oserais proposer comme certains l’ont fait : favoriser l’intégration, partager nos valeurs plutôt que les imposer, ne pas accommoder si ce n’est pas raisonnable. Surtout, éduquer. Mais tout ça est bien long. Peut-être qu’à terme, ce sera plus efficace, car l’expérience française semble démontrer que l’interdiction pure et simple provoque davantage un repli sur soi qu’un changement de moeurs. Peut-être que ça ne donnera rien, que le fondamentalisme prendra du galon, nourrissant le malaise. On me dira — on me le dit déjà — que j’étais naïf.

Mais le fait demeure : c’est une question complexe qu’il faut aborder avec doigté. Tout ce que ne fait pas cette charte. Tout ce que ne fait pas le PQ qui l’agite comme un hochet électoral.

Faut-il risquer de soigner l’intolérance par l’intolérance? Là est la question.