Vous connaissez Heidi Taillefer, cette artiste extraordinaire, maniant le plomb et l’acrylique de façon surréaliste, alliant splendidement mystique et biomécanique? Chance est que vous avez déjà aperçu l’une de ses œuvres les plus commerciales, que ce soit sur une bagnole de luxe (Infiniti), pour illustrer un article dans un magazine réputé (Forbes), une pochette de disque d’un groupe de métal progressif (The Afterman : Descension de Coheed and Cambria) ou ailleurs : trois de ses fascinantes œuvres se sont d’ailleurs retrouvées sur les affiches et les couvertures du programme officiel du Festival International de Film Fantasia (en 2006, 2009 et 2010).
Depuis près de 20 ans, son art ― qui se situe quelque part entre ceux de Dalì et Giger ― est aimé tant au niveau local qu’à l’international, ses œuvres ayant voyagé un peu partout dans le monde et en particulier chez nos voisins ‘ricains (de LA et SF à NY), jusque dans le salon de personnalités comme Morgan ‘Supersize Me’ Spurlock ou, plus près de nous, Guy Laliberté. D’ailleurs, elle collabore depuis un moment – déjà quinze ans – avec l’illustre et respectée compagnie de ce dernier, le Cirque du Soleil. À l’aube de la première de Kurios : Cabinet des Curiosités, le plus récent show de la troupe (son 35e en 30 ans de carrière!) débutant le 24 avril prochain, VOIR a clavardé avec l’inspirante bohème urbaine qui connait très bien le Cirque de l’interne.
VOIR : Entre toi et le Cirque du Soleil, ça a commencé comment?
Heidi Taillefer : J’ai déjà été membre de l’Association des Illustrateurs et Illustratrices du Québec. Dans le temps, l’AIIQ avaient une publication annuelle pour promouvoir les illustrateurs, qu’ils distribuaient aux agences de publicité d’ici et d’ailleurs. Cossette Marketing avait été mandaté par le Cirque pour trouver trois illustrateurs, qui devaient leur soumettre des sketches (pitchs) pour [l’affiche du] prochain spectacle du Cirque, Dralion [1999]. Après que Guy Laliberté eut choisi mon croquis, je me suis mise à la production de l’œuvre finale. Laquelle l’a fait freaker, car selon lui, elle n’avait plus rien à voir avec le show, et ce, même si j’avais suivi les instructions de trois de ses directeurs artistiques, qui ont approuvé chaque étape; le croquis avait même été approuvé par Guy lui-même. Il a ensuite dit à ses DA qu’il reprenait le dossier, avant de me donner un briefing seul à seul sur le concept du show et que je ne réalise la meilleure affiche de spectacle de toute la civilisation occidentale. 😉
VOIR : Ta collaboration avec le Cirque ne s’est pas arrêté là, n’est-ce pas?
HT: En effet, j’ai continué à travailler avec Guy Laliberté et le Cirque sur différents projets. J’ai ensuite reçu une commande privée de Guy pour un projet personnel (en 2003), sur lequel je n’ai pas vraiment le droit de commenter, ayant promis de ne pas en parler aux médias, même si c’est quelque chose de connu [Laliberté aurait semble-t-il le dos encré d’une œuvre inédite de Taillefer]. En 2003, Guy s’est pointé à une petite expo solo que j’ai faite au O Patro Vys et a fait l’acquisition de quelques unes de mes œuvres. Par la suite, j’ai tenu une exposition d’œuvres expérimentales [intitulée Vicissitudes; 2005] à leur siège social montréalais, mettant en vedette des photos de moi ayant le bras cassé [l’avant-bras encadré de longues vis d’acier chirurgical — voir photo au début de l’article].
C’était après que je fus rodéo-ée en bas du dos d’un chameau dans le grand désert Indien. Aussi drôle que ça puisse sonner, c’était assez dramatique merci!!! Tout comme les efforts intensifs pour sauver ma main droite, dont la mobilité était effectivement compromise; en plus, c’était juste après une exposition MAJEURE à la Galerie Yves Laroche. Comme Bono était justement en visite au Cirque à ce moment-là, Guy m’a demandé de lui expliquer le concept et l’idée derrière l’exposition [Vicissitudes]. (…)
Par la suite, Guy m’a mandatée pour produire 25 illustrations symbolisant les premiers 25 spectacles du Cirque, pour leur 25e anniversaire (2009). Originalement, ces œuvres devaient être utilisées pour la création d’une ligne de montres de luxe de marque Richard Mille, avant que le projet ne tombe entre les craques.
Quelques mois plus tard, en compagnie de 2 autres artistes, on m’a demandé de soumettre un pitch pour un projet que le Cirque montait conjointement avec l’un de leurs partenaires, Infiniti Canada. Le projet était une œuvre automobile [art car], commémorant les anniversaires du Cirque et d’Infiniti (20e); Infiniti a choisi mon design. L’années suivante, Infiniti Taiwan m’a demandé de produire une art car similaire, en conjonction avec l’inauguration du show Varekai à Taipei (en 2010), où j’ai rasé d’obtenir un contrat (en 2013) afin de produire un concept de scène…
VOIR : As-tu travaillé sur leur petit dernier, Kurios, cabinet des curiosités ? D’après ce qu’on a pu voir, ça pourrait sembler inspiré par le côté biomécanique de ton œuvre…
HT: Guy est un immense fan de mon œuvre et en assistant à tous ces shows du Cirque au fil des ans, en particulier dans les plus récents, j’y ai vu également des éléments qui étaient étrangement similaires. Donc, je crois qu’il doit y avoir un lien, évidemment, bien que ça ne prouve rien. Même si je sais comment ils travaillent, voyant dans l’univers une grande source d’inspiration, ils regardent tout. En voyant ce genre de similitudes, j’aurais simplement aimé été incorporé un peu plus en collaborant sur les shows eux-mêmes. Je ne vis pas dans une bulle et ils sont incontestablement TRÈS familiers avec mon œuvre donc… avec un peu de chance, sur un prochain (show), on me demandera d’être directrice artistique ou conceptrice créative.
VOIR : Comment décrirais-tu ta relation artistique avec les gens du Cirque? Liberté totale, très impliqués ou quelque part entre les deux?
HT : Liberté totale; je crois que c’est leur qualité la plus forte lorsqu’ils engagent des artistes pour travailler avec eux (…) évidemment, il y a toujours quelques petits ajustements, comme sur l’affiche de Dralion, alors que Guy m’a expliqué qu’elle devait être plus enjouée et familiale, alors que le concept original était plus sérieux et intense. Sinon, notre relation a toujours été 100% liberté. Je suis certaine que si je devais collaborer à de la conception de scène, par exemple, ou encore faire partie d’une équipe créative, je n’aurais naturellement pas une liberté totale, alors que je ferais partie d’un collectif et j’aurais à faire à différentes contraintes techniques. L’an dernier, on m’a offert de participer pendant quelques jours à un brainstorm avec eux (…) je dois d’ailleurs les relancer à ce sujet.
On te souhaite la meilleure des chances, Heidi. En attendant, on te surveille de près :
http://www.heiditaillefer.com
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KURIOS, Cabinet des Curiosités : présenté sur le Vieux Port de Montréal (Quai Jacques-Cartier) à compter du 24 avril au 29 juin. Infos : www.cirquedusoleil.com/Kurios
Très intéressante comme entrevue, excellente idée que de parler de ce « trésor national » de l’illustration. La relation professionnelle Taillefer-Laliberté m’apparaît tout autant prolifique que volatile. Fascinant.
Merci. Bien dit bergZ.