Ce Festival d'été en est un d'anachronismes, de nombreux voyages dans le temps.
Pas toujours des bonds de géant, reculant à l'époque de Yes, ou de Scorpions, mais parfois de simples retours en arrière d'une décennie.
Ainsi, ils étaient des milliers a couvrir le territoire des Plaines pour entendre la pénible plainte du chanteur du groupe américain Live -dont la plupart des hits remontent à un peu plus d'une dizaine d'années, tandis que nous nous extasions, beaucoup moins nombreux, devant le rock inventif de l'un des plus beaux groupes de l'Amérique d'aujourd'hui: Wilco.
Couvert au tiers, l'espace du Pigeonnier était cependant composé de gens conquis, dont plusieurs néophytes séduits par le rock aux accents country-folk du groupe d'un Jeff Tweedy certes peu loquace, mais néanmoins charismatique. Parmi eux, le plus fini de tous les fans finis : moi.
Dès les premières notes de Late Greats (tirée de l'album A ghost is Born), on devine déjà la complicité, la cohésion, la marque d'un band soudé où tout le monde se connaît par coeur, comme dans une sorte de vieux mariage polygame.
I'm Trying to break your heart (Yankee Hotel Foxtrot) nous fait déjà passer à un autre registre, plus intimiste, et je suis là, sautillant, malgré la langueur du morceau, comme un ado à un spectacle de Simple plan, tentant furieusement de prendre des notes dans mon carnet en bougeant de la sorte. Résultat: sur près de 20 pages, j'arrive à peine à en relire le tiers.
Je déchiffre cependant que suivent Handshake Drugs (Ghost), Tweedy faisant glisser la mélodie sur une guitare acoustique plutôt discrète, des nappes sonores s'ajoutant au fil des mesures, faisant monter la tension d'un cran, puis deux…
Ils sont six en scène, dont deux multiinstrumentistes capables de prendre la guitare, le piano, les synthés, des percussions, ou encore d'activer on ne sait quel machin électronique dont les échos infectent le folk impur du groupe qui flirte avec le génie tout en faisant preuve d'une humilité absolument attachante.
A shot in the arm et At least that's what you said suivent, si j'en crois mes notes involontairement cryptées, puis vient Jesus Etc (YHF). Et là, je fonds. Je n'ai jamais pleuré pendant un spectacle, mais si j'avais cette propension pour les effusions lacrymales, j'aurais voulu que cela se produise à ce moment précis, juste quand Tweedy entonne le premier couplet: " Jesus dont cry, you can rely on me honey (…) you were right about the stars, every one is a setting sun", puis le refrain: "Tall buildings shake, voices escape singing sad sad songs…" Et dire que cet album est paru le 11 septembre 2001. Prophétique, dites-vous?
Nous sortent de notre torpeur les War on war (YHF), Forget the Flowers (Being There), Theologians (Ghost), I'm the man who loves you (YHF), Hummingbird (Ghost), puis vient déjà le premier rappel: Spiders (Ghost).
Wilco y use des meilleurs trucs du rock, dont cette feinte de fade out pour revenir en force avec le thème principal une fois le silence installé, thème qui nous hante encore le lendemain matin: des accords plaqués sur le manche et dans nos mémoires comme des moments de pur bonheur rock.
La foule est mince, mais elle s'active, les têtes dodelinent, les bras se lèvent vers une lune jaune de canicule. La sueur perle sur les fronts, l'air est lourd, tout le monde communie à l'autel du rock, et je me sens privilégié de pouvoir partager ce moment avec les gens autour de moi.
Histoire de ne pas nous renvoyer chez nous dans cet état d'hébétude mysitique, Wilco revient sur scène, Tweedy balançant une vanne pour annoncer la toute dernière pièce d'un lot de luxe: "Nous avons écrit cette chanson à propos de Neil Pert", annonce-t-il. Aucune réaction. Seuls les connaisseurs auront reconnu le nom du légendaire batteur du groupe Rush, et c'est ainsi que se termine le spectacle sur cet ovni pop comico-nostalgique dans le répertoire de Wilco: Heavy Metal Drummer (YHF).
Les techniciens dévissent les cymbales, remballent les guitares, la messe est finie.
God Bless Wilco.