J’ouvre La Presse ce matin : deux pleines pages sur le meurtre d’une montréalaise de 17 ans dont on a retrouvé le corps derrière une remise, quelques heures après que son beau-père, la dernière personne à l’avoir vue vivante, l’ait fait monter dans sa voiture pour la ramener chez elle.
Le beau-père en question est le suspect numéro un dans l’affaire. Et ce matin, Le Presse nous propose une entrevue avec le fils. Le chum de la p’tite fille assassinée. Il a 19 ans.
Malaise.
Il s’agit d’une enquête en cours, d’un cadavre qu’on vient tout juste de trouver. Le suspect numéro un n’a pas encore comparu au moment d'écrire l'article. Son fils, lui, est invité à raconter sa version de l’histoire, assez sordide merci. « Il voulait l’avoir pour lui, ben il l’a eue », dit-il.
Re-malaise.
C’est juste moi, ou publier ce genre de commentaire a quelque chose d’absolument répugnant? Je veux dire, on est dans la colère, la stupeur, l’incompréhension, l'horreur, et on ne semble même pas avoir encore assez de donnée pour faire le portrait de l’affaire, mais on parle à un ti-gars de 19 ans complètement mêlé, flabbergasté, qui dit un truc aussi étrange et brutal que cela, et on le publie. Est-ce vraiment nécessaire? Où se situe la limite entre le droit à l'information et la décence?
Mieux encore, j’apprends chez Rappaz qu'une journaliste (qui ne signait pas l'entrevue avec le jeune homme) aurait créé un groupe Facebook pour trouver des amis de la jeune fille assassinée, histoire de témoigner de sa vie, de son passé, de raconter son histoire.
Si tout cela est authentique (le groupe existe bel et bien sur Facebook, mais j'ignore jusqu'ici s'il s'agit bien d'un groupe lancé par la journaliste ou d'une mauvaise blague ), re-re-malaise. Limite nausée.
Enfin, tout cela pour dire que je ne pourrai jamais couvrir les faits divers. Faut croire que j’ai le cœur trop sensible.
La malbouffe n’est pas que l’apanage des restaurants. L’information est un aliment de base primordial pour tous.
TOUS ! Permettez-moi de le désigner en bouc émissaire.
Le TOUS, c’est l’ersatz du prolétariat du 19iem siècle. Ceux qui rêvaient de l’instruction gratuite et universelle, ceux que les toubibs soignaient contre d’éventuelles indulgences post-mortem. Ceux qui vouvoyaient leurs congénères, ceux qui, dans la ligne de pensée de Louis XIV, respectaient une certaine étiquette.
Le TOUS, c’est la majorité d’un silence assourdissant du grincement de plaques atoniques qui glissent vers la déshumanisation. Nous y voilà, le TOUS est le déclin de l’empire humain. Homo homini lupus, citerait vous savez qui.
Parlant de loup, revenons à nos moutons. « synonyme de TOUS». Ils ont maintenant goûté la mal-info, ou malin faux, les deux seront bientôt dans le Robert. Rapidement ingérée sans trop mastiquer, pleine de calories vides, full vides. Soit saignante servie sur lit de victimes ou bien cuite encore dans un pain de geôle mais sans graine de ces âmes.
Péladeau père l’a inventée, il est le Colonel Sans Mœurs de notre menu médiatique. Tout ça pour dire que de sa recette, tous le monde en mange mais faut qu’elle soit fraîche. Même la SRC nous en sert comme lost leader pour obtenir quelques gouttes de cote dégoûte.
La technologie moderne laissera savoir dans les bulles d’histoire que l’homme moderne n’est que le Neandertal de sa descendance. Il aura été le pourceau au collier de perle. Se faisant la guerre en ignorant le fusil des pôles dont on commence à sentir la poudre d’escampette.
À bien y pensé, qu’ils en mangent tous de leur brioche, bientôt le chant de sirène de Dame Nature leur offrira un autre menu ou les vraies sensations seront servis, plus qu’à volonté et ce livré à domicile sans qu’ils l’aient commandé.
En attendant, j’écoute Les quatre saisons et préfère de loin ses voilons !
Jean Michel Noël
Il y a la voisine qui a parlé aussi..qui a dit qu’il se passait des choses croches dans cette maison et la conjointe du père qui a parlé de l’influence de la drogue…des acteurs de cet espace privé qui cherche du sens dans cette affaire sordide. La porosité des frontière entre l’espace privé et public qui prend appui sur des pratiques personnes correspondant à une publicisation, voire une mise en spectacle du moi, rend inconfortable. Je vous comprends. Je ressens la même chose. Elle est où la limite… la zone éthiquement acceptable. Vous, au moins, vous êtes journaliste. Vous ne travaillez pas aux faits divers mais vous avez un statut pour écrire. Et nous..les membres de Voir.ca…qu’est-ce qui nous motive à écrire, à publier…? Quels sont nos obligations?
On forme un nouveau groupe sur Facebook?
Voyeur, acteur, analyste….nous cherchons tous notre place dans cette société.. L »espace collectif d’Internet et des médias est la scène où se joue sur le mode de la comédie humaine p