Depuis plusieurs semaines, je coopère avec Malorie Gosselin pour monter des articles sur plusieurs dossiers. Le lancement de la campagne électorale provinciale nous a motivé à vous présenter le premier de deux textes sur un enjeu crucial pour l’avenir du Québec, mais qui semble ne pas obtenir autant d’attention qu’il ne devrait.
– Denis McCready
Certains éléments de ce texte ont été mis à jour le 4 octobre 2012.
Les deux autres articles de cette série sont ici :
ACCORD ÉCONOMIQUE COMMERCIAL GLOBAL CANADA-EUROPE
Tout est sur la table
Par Malorie Gosselin.
Un traité de libre-échange dit «de troisième génération» sera servi aux Canadiens d’ici la fin de l’année. Voici la petite histoire d’un accord aux enjeux salés, mijoté à chaudron couvert.
Août 2006. Des PDG canadiens et européens alors rassemblés pour un dîner à l’ambassade du Canada en Belgique disent avoir le ventre creux. Ils se plaignent de l’échec de leurs efforts à faciliter le commerce transatlantique. Présent, le délégué général du Québec à Bruxelles, Christos Serros, leur dit: « Je connais un premier ministre provincial que ça pourrait intéresser[1] ».
Après s’être assuré du soutien des patrons de grandes entreprises telles que Bombardier, Alcan, la Banque de Montréal et SNC-Lavalin, Jean Charest se lance à fond dans l’organisation de ce banquet de libre-échange. Il réunit les convives. Il rallie les autres provinces, il convainc la France et l’Allemagne, il fait des jeux de coulisses diplomatiques. Et surtout, il mise sur le bon « maître d’hôtel » — en l’occurrence Nicolas Sarkozy, justement nouvellement président de l’Union européenne…
Jean Charest met trois ans pour obtenir que soit négocié un accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG), aux tables de négociations desquelles des représentants des provinces seraient présents. Une première.
Les provinces n’avaient pas été conviées aux dernières négociations de même envergure : l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Certes, au menu de l’accord de l’époque ne figuraient pas encore les secteurs très sensibles que sont les marchés publics des provinces, des municipalités et des autres entités publiques. Ces secteurs avaient été jusqu’alors exclus des négociations internationales. Avec l’AÉCG, les services tels que la santé (notamment les médicaments), l’éducation, l’eau, la poste, le transport public, l’hydroélectricité – pour ne nommer que les principaux – s’ajoutent au menu régulier d’un accord de libre-échange. D’ailleurs, ils ont vraisemblablement été le plat de résistance qui a mis en appétit l’Union européenne (UE).
C’est donc parce que des domaines de compétences subfédérales allaient maintenant se faire « napper » de libre-échange que les provinces ont été invitées à venir négocier l’épaisseur de la sauce. Du reste, l’Union Européenne l’exigeait.
En 2009, les négociations commencent. Jean Charest nomme Pierre-Marc Johnson à titre de négociateur en chef du Québec. Un communiqué annonçant son investiture fait valoir qu’il « aura pour mandat de défendre et de promouvoir les intérêts du Québec ». Mais, les attentes claires de Jean Charest à l’égard des offres et des réserves que devra émettre Pierre-Marc Johnson sont tenues secrètes, encore à ce jour.
« Je voudrais savoir si [tel enjeu] est sur la table » demande Alexandre Cloutier, alors député de l’opposition lors d’une commission des institutions. « Tout est sur la table, tout» est la réponse de Pierre-Marc Johnson.
Pas moyen de connaître la teneur exacte en « fibres » québécoises à ces tables de négociations.
Depuis, la question du déficit démocratique est au centre des échanges entre les élus du Québec et ce représentant nommé par le premier ministre. L’ex-députée de Rosemont, Louise Beaudoin, raconte qu’elle a dû elle-même faire la demande et insister pour que Pierre-Marc Johnson vienne « rendre des comptes » aux membres de l’Assemblée nationale car « ce n’était pas au programme ». En tout, deux fois la Commission des institutions de l’Assemblée nationale du Québec s’est réunie pour entendre Pierre-Marc Johnson : le 6 octobre 2010 et le 8 décembre 2011. « C’est une négociation commerciale, et il y a d’énormes intérêts qui […] pour pouvoir être, je dirais, protégés d’un bout à l’autre de la négociation, doivent être tenus au secret… » se justifie Pierre-Marc Johnson lorsque les députés se plaignent de n’avoir accès ni aux textes de l’accord, ni aux études produites en cours de négociations par le gouvernement et les instances négociatrices, ni aux offres des parties, pas même celles qui touchent leur propre juridiction. Pierre-Marc Johnson soutient que ce silence sert à éviter les effets spéculatifs.
Louise Beaudoin, députée de Rosemont, était ministre des Relations internationales lors des négociations pour une zone de libre-échange américaine (ZLÉA) en 2001. Elle affirme que le gouvernement canadien, Pierre Pettigrew précisément, avait alors accepté que le projet d’accord le plus récent concernant tous les sujets de négociation en cours, l’état de la négociation, la liste des points d’accord et des points de désaccord… que ce document, qui était en cours de négociation, soit connu des pouvoirs provinciaux. Et Louise Beaudoin en avait partagé le contenu avec les députés à huit clos.
Lors de sa première audition devant la Commission des institutions en 2010 le négociateur québécois a rétorqué : « Dans un contexte où ce ne serait pas public, je suis tout à fait prêt, avec l’autorisation du premier ministre, à rencontrer l’ensemble du caucus du Parti québécois ou du deuxième parti d’opposition. »
À cette réunion, Pierre-Marc Johnson n’aurait rien dévoilé de plus. Pas plus qu’à la conférence qu’il a donnée en juin dernier lors du Forum d’affaires 2012, dans laquelle il devait révéler « les points saillants » de l’accord Canada – UE. « Il ne fait que répéter le même discours depuis trois ans », affirme Louise Beaudoin, « tellement, qu’on a l’impression que les négociations tournent en rond ».
90% des dossiers à négocier seraient pourtant aujourd’hui fermés, aux dires de Christian Deblock, professeur au département de sciences politiques de l’Université du Québec à Montréal et chercheur au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM). Bien que les offres du Québec en matière de marchés publics, de tarifs, de services financiers et d’investissements aient été déposées aux mois de juillet et octobre 2011, Pierre-Marc Johnson se dit, lui, toujours dans l’obligation de refuser de rendre public quelques chiffres que ce soient. Il refuse d’ailleurs à présent de répondre à toutes questions des médias, et ce, jusqu’à la conclusion des négociations.
Sur le site du gouvernement canadien4, il est affirmé que le gouvernement du Canada ne négocie pas en secret l’accord de libre-échange avec l’UE, qu’il s’agit d’un « mythe ».
Le ministre canadien Ed Fast a déclaré le 6 octobre 2011 devant le comité permanent du commerce international qu’« en ce qui a trait aux négociations de libre-échange, le Canada n’a jamais entrepris de processus aussi transparent et coopératif ».
Dans une note d’intervention, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) conclut que la participation des provinces « aurait pu » permettre de proposer de nouvelles façons de faire en matière de négociations internationales afin de les rendre plus démocratiques, mais qu’au contraire, jamais des négociations n’auront été aussi opaques puisque même les parlementaires du parti au pouvoir sont tenus dans le plus grand secret.
L’opposition doit travailler avec des documents provenant de fuites et tente de trouver des failles dans les discours pour appuyer ses nombreuses objections.
Le représentant des intérêts québécois est toujours resté très évasif dans ses interventions, mais a tenté néanmoins de rassurer sur quelques points qui, à cause de fuites, soulèvent de vives inquiétudes dans les médias. Ainsi, il semble vraisemblable que la gestion de l’offre (politique qui protège la production canadienne de lait, de volaille et d’oeufs), Hydro-Québec et la culture feront l’objet de «réserves» dans les négociations. Pierre-Marc Johnson a admis cependant que le choix des ultimes concessions sera dans les mains du gouvernement fédéral et que, étant donné les difficultés que le Canada a eu à amener l’Union européenne à s’intéresser à son marché de 35 millions d’habitants, objectivement, « il faudra trouver quelque part des accommodements sur un certain nombre d’enjeux ».
Les politiciens canadiens ont tellement répété publiquement à quel point un accord serait avantageux que l’échec de ces négociations dites « commerciales », constituerait un échec politique difficilement explicable.
Nicolas Marceau, député péquiste, soulève l’éventualité qu’un accord puisse bénéficier au Canada et à l’UE, oui, mais être défavorable aux intérêts du Québec. « La négociation a été entreprise avec un gouvernement conservateur minoritaire avec un certain souci du Québec, et a, depuis, été remplacé par un gouvernement majoritaire conservateur, lequel a démontré, par de nombreux gestes, que le souci du Québec avait disparu », avançait-t-il durant la dernière audition de Pierre-Marc Johnson devant la Commission des institutions.
À cause du dernier changement de gouvernement provincial, le Canada devra cependant être prudent dans le choix de ces ultimes concessions, car il a absolument besoin de l’assentiment du Québec pour que le projet d’accord ne soit pas vouer à l’échec.
Le Parti Québécois pourra donc en fin de course dire qu’il n’en veut pas de l’entente. Mais son négociateur nommée soutient que lorsque le bilan des avantages et des inconvénients – qu’il appelle « contraintes »- de l’entente aura été fait, le gouvernement provincial ne sera pas dans une situation où il la refusera.
Jean Charest s’est fait un point d’honneur d’être celui qui mettrait la table de ces négociations quand le milieu des affaires a dit avoir besoin de l’appui d’une personnalité « subfédérale ». Reste à voir si le Parti québécois sera en mesure d’assaisonner à son goût ce projet d’accord qu’on doit servir éminemment à la Chambre des communes, digeste ou pas.
LIENS ET RÉFÉRENCES :
1 – Jean-François Nadeau, «Comment Jean Charest a conquis l’Europe», L’Actualité 34. 17 (1 Novembre 2009), pages 30 à 33, 35 à 37.
3 – Source: Étude des crédits du MDEIE, 24 avril 2012, échange entre Sam Hamad et Louise Beaudoin, http://www.youtube.com/watch?v=OqBntswGPi8&feature=youtu.be
4 – Mythes et réalités… : http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/eu-ue/myths-mythes.aspx?lang=fra&view=d#onze
5 – Témoignage de Ed Fast au Comité permanent sur le commerce international, 41e legislature, 1ere session, le 15 mars 2012, http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=5450972&Mode=1&Language=F
6 – «Accord économique et commercial global Canada-Europe : quelles conséquences pour le Québec?», par Alexandre L. Maltais de l’IREC, paru en janvier 2011, p.29, http://www.irec.net/upload/File/aecg.pdf
7 – «Provincial government muzzled», par le Council of Canadians, paru le 15 juin 2012 http://www.canadianswinnipeg.org/apps/blog/show/16242393-provincial-government-muzzled#.T99DqnVCBkA.twitter
8 – http://m.ledevoir.com/politique/quebec/336910/service-des-egouts-l-instigatrice-du-cartel-tasse-la-concurrence
9 – http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/337311/amir-khakir-crie-au-conflit-d-interets-absurde-dit-pierre-marc-johnson
10 – « L’éthique dans la fonction publique québécoise », http://www.mce.gouv.qc.ca/publications/ethique.pdf
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Voici d’autres documents qui ont été consultés :
LES DOCUMENTS DÉPOSÉS PAR AMIR KADHIR À LA COMMISSION DES INSTITUTIONS DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE: http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CI/mandats/Mandat-16927/documents-deposes.html
COMMUNIQUÉ NOMINATION DE PIERRE-MARC JOHNSON:http://www.premier-ministre.gouv.qc.ca/actualites/communiques/2009/mai/2009-05-06.asp
POUR UNE REVUE DE PRESSE SUR LES NÉGOCIATIONS:https://europe.umontreal.ca/pages/viewpage.action?pageId=7897263#Étatdesnégociations-rp1
VIDÉO DE L’AUDITION DE PIERRE-MARC JOHSON DEVANT LA COMMISSION DES INSTITTUITONS LE 8 DÉCEMBRE 2011 :http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/AudioVideo-38837.html?support=video
«Des offres inquiétantes», Évaluation de l’IREC #2 (après le dévoilement de documents secrets en janvier 2012): http://www.irec.net/upload/File/noteintervention12janvier2012.pdf
Site d’une association dénonçant les négociations, avec liens intéressants :http://www.quebec.attac.org/spip.php?article796
Merci de nous éclairer un peu plus sur ces chacals et de nous permettre de partager ces informations !