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Eaux troubles (AÉCG suite…)

Le Devoir publie aujourd’hui un article intitulé « Libre-échange Canada-UE – Johnson devra s’expliquer une autre fois ». Dans cet article, Jean-François Lisée, ministre des Relations internationales et du Commerce extérieur, souligne que l’adhésion du Québec à l’Accord économique commercial Global Canada-Europe (AÉCG) « n’est pas acquise. »

Je publie aujourd’hui une synthèse écrite par Malorie Gosselin, qui avait précédemment écrit « Tout est sur la table » et « La souveraineté économique du Québec est menacée » sur le même sujet. 

                       – Denis McCready

Eaux troubles, de Malorie Gosselin

Contrairement à l’ALÉNA, qui avait été un enjeu d’élections à l’époque, l’AÉCG est négociée en sourdine par un représentant nommé « dans l’intérêt des Québécois » un point c’est tout.

 

Déficit démocratique

Amir Khadir, député pour Québec Solidaire, soulève la question de la légitimité démocratique de cet accord éventuel. Si Pierre-Marc Johnson affirme avoir consulté un grand nombre d’acteurs du commerce international, des gens d’affaires et des industriels particulièrement (la liste exacte des gens consultés n’a pas été rendue publique malgré une requête de l’opposition), et qu’il est certes compréhensible que les négociations soient tenues secrètes pour éviter des effets spéculatifs, Amir Khadir rappelle que ce projet d’ouvrir les marchés publics et de faire du libre-échange avec l’Europe n’a jamais été inscrit au programme électoral de celui qui en a fait la promotion en premier, Jean Charest (nous précisons que l’accord a été inclus au plan économique du Parti libéral présenté avant les dernières élections).

Ce projet n’a non plus jamais fait l’objet de débat parlementaire. Ainsi, à aucun moment les électeurs n’ont pu s’informer et s’exprimer en faveur ou non de l’ouverture des marchés publics et du libre-échange en général. Qui plus est le milieu des affaires a été consulté de manière non officielle en amont, certes, mais «pas suffisamment», de l’opinion de Christian Deblock, professeur au département de sciences politiques de l’Université du Québec à Montréal et chercheur au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM).

 

Rhétorique

Comme le ministre conservateur Ed Fast, qui a affirmé que « le libre-échange est l’eau de vie de l’économie canadienne », le négociateur québécois nommé par Jean Charest ne cache pas son attachement aux vertus de l’économie de marché. Il est favorable à l’ouverture des marchés publics. Il a affirmé à plusieurs reprises qu‘elle « vise à donner des meilleurs prix aux institutions qui achètent, à rendre visibles ces prix et à réduire les occasions de collusion entre les pouvoirs publics et les pouvoirs privés ».

Cette rhétorique a été mise en doute par de nombreux groupes et auteurs, dont des chercheurs de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), des membres de l’Association québécoise pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAQ-Québec) et du Council of Canadians.

Selon ces auteurs, une plus grande compétition entraine certes « théoriquement » des prix plus bas, mais pas systématiquement. « Si l’écart de prix est minime, mais que la création d’emploi est importante, il faut voir de quel montant de taxes et d’impôts se prive le gouvernement en octroyant le contrat à une entreprise étrangère », explique l’IREC. Les autres arguments – la transparence, la lutte contre la corruption, etc. – ne seraient pas non plus valables puisque ces objectifs peuvent être atteints sans libéraliser les marchés publics.

Tous n’ont pas le même engouement que Jean Charest et le gouvernement conservateur de Stephen Harper pour l’AÉCG. Le ministre de l’Entrepreneuriat, de la Formation professionnelle et du Commerce du Manitoba a avoué dernièrement être très ennuyé par ce projet d’accord. Il a expliqué que c’est expressément dans l’optique de protéger les intérêts de sa province qu’il a accepté de faire partie des négociations. Mais que, pour avoir le droit d’être présent à ces tables, il a dû signer un accord de confidentialité avec le gouvernement fédéral. L’article publié par l’organisation Council of Canadians est intitulé « Provincial government muzzled » (Traduction libre : Le gouvernement provincial muselé).

 

Apparence de conflit d’intérêt

Les Québécois doivent, eux, s’en remettre à un négociateur nommé par un parti qui n’est plus au pouvoir et dont l’objectivité a été mise en doute. En effet, Amir Kadhir ajoute à ces allégations d’illégitimité démocratique, la question d’apparence de conflit d’intérêt.

C’est que le représentant des intérêts québécois est avocat principal pour la firme Heenan Blaikie, dont une partie du cabinet se spécialise dans le commerce international. « Toute libéralisation des échanges et du commerce entre l’Europe et le Canada profite directement à la firme dont les services sont nécessaires à toutes ces corporations ayant besoin d’avis et d’assistance dans leur soumission, investissement et partenariat d’affaires », avance Amir Khadir.

Pierre-Marc Johnson est aussi membre du Comité de Prospective, instance centrale de l’Institut Véolia Environnement. Bien qu’indépendante, cette association à but non lucratif, qui démontre toutes les caractéristique d’un Think tank, a été créée en septembre 2001 par la Direction de Véolia Environnement, une géante française se spécialisant dans les services publics : l´eau, le gaz, l’électricité, le traitement des ordures, le chauffage urbain, le nettoyage municipal, les transports en commun, les services sanitaires…

 

Collusion

La filiale québécoise de Véolia Environnement justement – très présente à Montréal, puisqu’elle aurait à l’heure actuelle dix contrats avec la ville pour une somme totale de 2,9 millions – aurait été le « chef d’orchestre » d’une entourloupette, sauce collusion. Un article du Devoir de novembre 2011 explique que plusieurs entreprises, dont Véolia, ont été accusées d’avoir secrètement coordonné leurs soumissions, déterminant à l’avance qui obtiendrait les contrats pour nettoyer et entretenir les égouts gouvernementaux et municipaux. Mais, coup de maître ! Véolia serait à l’abri de toute poursuite criminelle étant donné qu’elle a dénoncé la situation au Bureau de la concurrence du Canada et fourni les preuves nécessaires au trucage des offres. Le géant français pourrait donc bénéficier du programme d’immunité prévu pour les dénonciateurs coupables de collusion, en même temps que d’avoir le champ libre pour les prochains appels d’offres publics si ses adversaires devaient, eux, être reconnus coupables.

Pierre-Marc Johnson s’est dit indigné qu’Amir Khadir tente de le discréditer et demande que le négociateur donne sa démission. « C’est une absurdité. C’est une totale absurdité », s’est exclamé, manifestement irrité, l’ancien premier ministre du Québec en entretien téléphonique au Devoir en décembre 2011. « C’est jouer facilement avec l’intégrité des gens, que de faire cela. Je n’accepte pas cela, surtout venant d’un député. Il arrive, de temps en temps, que les gens oublient de réfléchir avant d’ouvrir la bouche, mais d’un député, on s’attend à mieux que cela. »

 

Déontologie

Ces allégations de conflit d’intérêt ne sont cependant pas si « absurdes » en regard d’un document produit par le ministère du Conseil exécutif du Québec qui traite des devoirs des employés de la fonction publique en matière d’éthique et des valeurs qui doivent les animer dans la réalisation de leur mission d’intérêt public. Le document décrit, entre autres, l’obligation pour un employé de la fonction publique d’éviter tout conflit d’intérêts : « il suffit, pour qu’il y ait conflit d’intérêts, d’une situation de conflit potentiel, d’une possibilité réelle, fondée sur des liens logiques, que l’intérêt personnel, qu’il soit pécuniaire ou moral, soit préféré à l’intérêt public. Il n’est donc pas nécessaire que le fonctionnaire ait réellement profité de sa charge pour servir ses intérêts ou qu’il ait contrevenu aux intérêts de l’administration publique. Le risque que cela se produise est suffisant puisqu’il peut mettre en cause la crédibilité de l’administration publique. »

Pierre-Marc Johnson a refusé de répondre pourquoi ces liens avec Véolia et Heenan Blaikie n’entraient pas dans cette situation de conflit potentiel décrite par le Ministère. Tout comme il a refusé de dire s’il croyait que le gouvernement de Jean Charest aurait eu avantage à soumettre le projet de l’ouverture des marchés publics aux Européens à l’Assemblée nationale avant de commencer les négociations.

 

Le processus de consultation américain.

Le processus de négociations commerciales au Canada est moins structuré qu’il ne l’est aux États-Unis, explique Christian Deblock, professeur au département de sciences politiques de l’Université du Québec à Montréal et chercheur au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM). Traditionnellement au Canada, tout ce qui est «affaires étrangères», «négociations commerciales», etc, relève du Conseil des ministres. Et d’une certaine façon, quand le parlement est consulté, il n’a pas le même intérêt que peut avoir le Congrès aux Etats-Unis : c’est comme si le parlement canadien acceptait que c’était un domaine qui était réservé au Conseil des ministres. Les milieux d’affaires sont consultés certes, mais plutôt de manière non officielle. Celui qui a un gros lobby risque de se faire plus entendre, mais c’est à peu près tout. Au Canada, on commence à peine à avoir des débats là-dessus.

En 1974, le Congrès américain a instauré le «advisory committee system» dans le but de s’assurer que les politiques et les objectifs du libre-échange reflètent adéquatement les intérêts du public et du privé. Ce système comprend 28 différents comités, lesquels regroupent un total de 700 membres-conseillers environ. Ces comités sont sous la direction l’Intergovernment Affairs and Engagement (IAPE), lequel coopère avec d’autres agences, telle que l’Environmental Protection Agency. Il s’assure aussi de recueillir et transmettre les positions des gouverneurs, de la législature et des associations concernées dans chacun des états.

En ce sens, la démarche américaine est beaucoup plus démocratique qu’au Canada. C’est le congrès qui donne le mandat de négocier pour une période de temps donné. Il suit aussi de près les négociations, et en bout de ligne approuve ou non les accords signés. Et tout au long de ce processus, des comités suivent les différents dossiers, les surveillent. Des groupes structurés, provenant de milieux d’affaires et syndicaux, sont aussi consultés de manière permanente du début à la fin des négociations

C’est un processus très structuré et très lourd aussi, mais certainement plus transparent que celui du Canada, de l’avis de Christian Deblock.

 

LIENS ET RÉFÉRENCES :

1 – Jean-François Nadeau, «Comment Jean Charest a conquis l’Europe», L’Actualité 34. 17 (1 Novembre 2009), pages 30 à 33, 35 à 37.

2 – http://www.huffingtonpost.ca/maude-barlow/ceta_b_1021782.html

3 – Source: Étude des crédits du MDEIE, 24 avril 2012, échange entre Sam Hamad et Louise Beaudoin, http://www.youtube.com/watch?v=OqBntswGPi8&feature=youtu.be

4 – Mythes et réalités… : http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/eu-ue/myths-mythes.aspx?lang=fra&view=d#onze

5 – Témoignage de Ed Fast au Comité permanent sur le commerce international, 41e legislature, 1ere session, le 15 mars 2012, http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=5450972&Mode=1&Language=F

6 – «Accord économique et commercial global Canada-Europe : quelles conséquences pour le Québec?», par Alexandre L. Maltais de l’IREC, paru en janvier 2011, p.29, http://www.irec.net/upload/File/aecg.pdf

7 – «Provincial government muzzled», par le Council of Canadians, paru le 15 juin 2012 http://www.canadianswinnipeg.org/apps/blog/show/16242393-provincial-government-muzzled#.T99DqnVCBkA.twitter

8 – http://m.ledevoir.com/politique/quebec/336910/service-des-egouts-l-instigatrice-du-cartel-tasse-la-concurrence

9 – http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/337311/amir-khakir-crie-au-conflit-d-interets-absurde-dit-pierre-marc-johnson

10 – « L’éthique dans la fonction publique québécoise », http://www.mce.gouv.qc.ca/publications/ethique.pdf

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Voici d’autres documents qui ont été consultés :

LES DOCUMENTS DÉPOSÉS PAR AMIR KADHIR À LA COMMISSION DES INSTITUTIONS DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE: http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CI/mandats/Mandat-16927/documents-deposes.html

COMMUNIQUÉ NOMINATION DE PIERRE-MARC JOHNSON:http://www.premier-ministre.gouv.qc.ca/actualites/communiques/2009/mai/2009-05-06.asp

POUR UNE REVUE DE PRESSE SUR LES NÉGOCIATIONS:https://europe.umontreal.ca/pages/viewpage.action?pageId=7897263#Étatdesnégociations-rp1

VIDÉO DE L’AUDITION DE PIERRE-MARC JOHSON DEVANT LA COMMISSION DES INSTITTUITONS LE 8 DÉCEMBRE 2011 :http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/AudioVideo-38837.html?support=video

«Des offres inquiétantes», Évaluation de l’IREC #2 (après le dévoilement de documents secrets en janvier 2012): http://www.irec.net/upload/File/noteintervention12janvier2012.pdf

Site d’une association dénonçant les négociations, avec liens intéressants :http://www.quebec.attac.org/spip.php?article796