BloguesDenis McCready

Charte du désespoir, valeurs exsangues.

J’étais en voyage à travers la Gaspésie et les Îles de la Madeleine quand la « Charte des valeurs québécoises » a été échappée dans le public. Loin de Montréal, les yeux plantés dans l’horizon du Golfe du St-Laurent, j’ai ressenti une grande colère devant cette dangereuse bêtise. Je recueille ici mes idées éparses sur le sujet, question de vider mon cerveau un peu.

Le gouvernement
Je tiens à la séparation l’Église et de l’État. Bien que le système de gouvernement actuel sous-représente le pouvoir démocratique du peuple, il demeure légitime, se doit d’être laïc et ne doit pas être assujetti aux influences de quelconques églises. Nous y sommes presque, mais un dernier point demeure.

Le crucifix de Duplessis à l’Assemblée nationale.

Tant et aussi longtemps qu’il est sur le mur de l’Assemblée nationale, c’est une injure à notre système démocratique, laïc et indépendant. Le Québec s’est libéré de l’impérialisme catholique qui a opprimé notre peuple, a assassiné des autochtones et protégé des violeurs d’enfants. Si nous ne le retirons pas de l’Assemblée nationale, nous perpétuons la déférence à un pays étranger (le Vatican), une institution criminelle et discriminatoire, et déclarons être encore un territoire occupé. En acceptant cette insulte à notre démocratie, notre prétention à la laïcité politique est vaine et mensongère. Le crucifix doit partir. Maintenant.

Le peuple
Qu’est ce qu’un-e Québécois-e?*

Quelqu’un qui réside au Québec ou qui y a des liens de résidence. La définition exacte peut être lue sur le site de Revenu Québec.

Mes ancêtres français sont arrivés au Québec dès 1665. Mon ancêtre écossais a marié une Irlandaise à Québec en 1820. Sur la Prussienne qui a épousé leur fils, je n’ai aucune information. Je suis certain que mon histoire familiale ressemble à celle de beaucoup d’autres. Au début du 20e siècle, 25% des Montréalais étaient nés en Irlande. Nous sommes tous issus de l’immigration, la seule chose qui change est notre date d’arrivée et nos liens de résidence.

Je n’accepte plus d’autres définitions d’un « Québécois ». Le terme Québécois de souche m’horripile, je le trouve raciste et boiteux. Comme dirait Bilbo, le poète gaspésien : une souche c’est mort, une racine c’est vivant. Parlons de nos racines, multiples, vivantes et riches.

Intituler un supposé projet de loi sur la laïcité « Charte des valeurs québécoises » entraîne essentiellement le cul-de-sac logique suivant :

Est-ce que les valeurs de tous les Québécois résidant au Québec y sont prises en compte ou seulement celles des descendants catholiques de racines françaises?

Imaginons un Québécois d’origine sénégalaise de croyance animiste.

Imaginons un Québécois d’origine autrichienne de confession pastafarian.

Imaginons un Québécois d’origine française baptisé catholique, mais qui a renié sa religion sans toutefois demander à être débaptisé ou excommunié (genre moi).
Lequel est le plus Québécois?

La question ne se pose pas parce qu’être Québécois n’est pas quantitatif. Vous êtes ou vous n’êtes pas Québécois. C’est la loi sur l’impôt qui décide. Vous pouvez jouer sur les mots et changer d’allégeance quand ça vous chante, mais si Revenu Québec considère que vous êtes résident du Québec, et donc Québécois, vous aller payer des impôts au Québec. Point. Il n’y a que deux certitudes dans la vie : la mort et les impôts.

Le cirque
La manière dont le débat sur la laïcité a été amené démontre le désespoir du gouvernement Marois, un profond mépris pour l’ensemble de la société et une perfide logique électoraliste (en vue des élections de décembre 2013… Rumeurs, rumeurs…)

Mme Marois invente une maladie culturelle pour suggérer un faux remède qui goûte l’huile de serpent, une solution clownesque d’un charlatan mal dosée à des hypocondriaques sociaux.***

S’il y a risque « invasion » au Québec, le gouvernement devrait plutôt se pencher sur les influences de l’Arabie Saoudite sur les mosquées de la région de Montréal, sur la déférence surprenante à l’État d’Israël déployée par le gouvernement canadien et sur la sélection des Français qui débarquent massivement depuis quelques années.**** Considérant leur nombre, le risque est grand qu’on se retrouve avec des membres du Front National ou pire, Bernard Henri Levy.

L’explosion d’intolérance et de propos racistes dans les médias que cette charte a déclenchée n’est pas une surprise. C’est la Commission Bouchard-Taylor qui a accidentellement révélé la cartographie de la haine au Québec. Une âme mal intentionnée n’avait qu’à jeter de l’huile sur les quelques tisons de braise… La pyromane Marois a déclenché un incendie. Soudainement et avec une rare violence sont lâchés sur la société les chiens enragés que sont la bêtise humaine, la haine raciale, la grossièreté intellectuelle et le dogmatisme.

La première règle pour ne pas être infecté par la rage est de limiter son exposition directe à ceux qui sont infectés. La deuxième règle est de soigner rapidement les gens exposés parce que sinon le virus se développe ; quand les premiers symptômes apparaissent (yeux fous, mousse aux lèvres, débit effréné de propos insensés) il est trop tard.

Le virus de la rage ne pardonne pas. Il faut soigner le patient dès l’exposition, sinon c’est la mort. S’il s’agit d’un animal, il faut le faire abattre.

Le virus de la haine est heureusement soignable. Avec de l’éducation, de l’amour, un cadre social réactif qui aide la personne atteinte, mais réprimande toute manifestation de haine. Il faut aussi des lois sévères qui punissent les excès de haine au cas où les soins ne marchent pas. Malheureusement quelques animateurs-trices de télé et de radio semblent immunisés contre les traitements.

La discrimination
Ma collègue de blogue sur Voir.ca, Me Véronique Robert, a rappelé le 7 septembre dernier certains faits importants sur les droits et libertés. Je vous invite à lire son texte : « Nos valeurs excluent l’exclusion »

Quand un État introduit des mesures discriminatoires dans une loi et porte atteinte à la liberté de religion, et indirectement discrimine sur l’origine ethnique de ses citoyens, on a le droit de s’inquiéter d’un glissement vers le nationalisme ethnique avec les risques que ça comporte. Je vous évite Godwin, mais je vous rappelle l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, le Burundi…

Le féminisme mal placé
L’égalité des femmes et des hommes est déjà inscrite dans la constitution du Québec et est implicite dans la Charte canadienne. Cette égalité dans la société n’est pas parfaite et il y a encore beaucoup à faire du côté de la violence conjugale, de l’exploitation sexuelle, de l’équité salariale et de la surmédicalisation de l’accouchement.

Ceci dit, le féminisme est aussi un système de pensée et au Québec il est parfois élevé en dogme inattaquable, ses militant-e-s* rejetant toute critique avec une extraordinaire étroitesse intellectuelle.

J’en ai particulièrement marre qu’à chaque fois qu’on parle de religion, de tolérance ou de droit, certain-e-s féministes se précipitent à bras raccourcis sur le hijab des musulmanes, ou tout autre vêtement pseudo-religieux porté par les femmes.

Et les femmes autochtones battues, violées et tuées? À lire : Violence contre les femmes autochtones : le rapporteur de l’ONU réclame une enquête

Pourquoi systématiquement « victimiser » les femmes des minorités religieuses et passer sous silence les hommes?

Et la circoncision des hommes de confession juive et musulmane? C’est une pratique qui n’a aucune justification médicale, une atteinte sauvage à leur intégrité physique à un âge où ils sont impuissants et incapables de faire un choix éclairé? Combien de circoncisions sont pratiquées au Québec comparativement à des excisions? Combien de femmes catholiques au Québec ont fait circoncire leur garçon pendant les années 60, 70?

(bruit de mouche qui vole…)

La réponse c’est trop.**

À toutes les odieuses qui lèvent le ton pour dire aux autres femmes comment s’habiller, j’aimerais rappeler que d’imposer à une femme quoi que ce soit par rapport à son corps est un geste de répression inacceptable équivalent au pire paternalisme qu’elles prétendent pourfendre. On ne peut pas être contre la liberté de choix quand cette liberté ne fait pas notre affaire. Ceci dit…

L’Islam et le voile – une précision
L’auteure canadienne Irshad Manji dans son essai « The Trouble with Islam », qui lui a valu des menaces de mort, rappelait qu’il y a une recommandation faite aux femmes d’imams d’être modestes et de s’habiller sobrement, mais que la religion musulmane ne dicte pas aux autres femmes de porter un quelconque voile. Certains hommes musulmans utilisent l’argument du voile pour contraindre leur femme, mais ce n’est qu’un vestige culturel lié à la géographie. Le voile est traditionnellement porté dans les pays désertiques pour protéger les cheveux. Beaucoup de femmes musulmanes ne le portaient pas dans leur pays d’origine, mais se le sont fait imposer par leur communauté à leur arrivée au Canada. Beau paradoxe…

Hors de la contrainte climatique, sociale ou conjugale, les femmes musulmanes qui le portent en plaidant leur respect de leur religion font souvent preuve d’orgueil. Elles veulent se montrer comme de meilleures musulmanes que les autres femmes qui ne le portent pas. La pratique spirituelle n’est pas un concours. Il faudrait peut-être rappeler à ces femmes que techniquement l’orgueil les empêchera de rentrer au paradis (je vous invite à taper orgueil et Islam dans Google…). Je respecte le droit des femmes de choisir librement le voile, mais je n’accorde aucune validité à l’argumentaire qui l’accompagne.

Vie privée, espace public
La religion est du domaine de la sphère privée, tout comme la sexualité et d’autres aspects de la vie humaine. Je respecte le droit des gens de vivre comme il le souhaite, mais dans l’espace public les manifestations de prosélytisme et de militantisme religieux envers les autres personnes sont un profond manque de respect. La spiritualité humaine est universelle, mais la manière de la pratiquer ne l’est pas. Libre à chacun de vivre sa spiritualité sans polluer la sphère publique.

Valeurs « québécoises » VS Principes citoyen-ne-s
À la « Charte des valeurs québécoises » au titre imbécile j’aimerais substituer des principes pour assurer un meilleur avenir aux citoyen-ne-s du Québec :

  • Que le pouvoir politique appartienne aux citoyen-ne-s qui votent les lois et règlements qui les gouvernent.
  • Que les ressources naturelles soient considérées comme un bien commun, géré selon le principe de précaution, de manière durable, et dont l’exploitation profite majoritairement aux citoyen-ne-s du Québec.
  • Que l’énergie soit produite et consommée selon des normes strictes pour la préserver, l’utiliser efficacement, la produire localement et de manière durable.
  • Que la primauté de la protection de l’environnement soit enchâssée dans la constitution comme un droit inaliénable des citoyen-ne-s à un environnement sain et viable.
  • Que le droit commercial des compagnies privées soit secondaire aux droits de la collectivité.

Ma position
J’adhère à la suggestion du rapport Bouchard-Taylor de « limiter l’interdiction de signes religieux à certains postes mandataires de l’État, ou qui représentent une forme de coercition, comme le président de l’Assemblée nationale, les juges, les procureurs de la Couronne et les policiers. Quant aux autres fonctionnaires, ils doivent simplement agir de façon neutre. »  Voir : Les suggestions du rapport Bouchard-Taylor pour la laïcité

Je soupçonne qu’il y a suffisamment de dispositions dans les conventions collectives, règlements et codes de déontologie pour encadrer le travail des employés de l’état.

Au long de ma vie, j’ai été soigné par plusieurs médecins. Leurs noms suggéraient qu’ils et elles étaient probablement de confession juive, musulmane, bouddhiste, catholique. Je n’ai jamais été soigné par une personne portant un signe religieux ostentatoire, et si c’est arrivé, c’était tellement banal que j’ai oublié. Si j’avais à choisir, j’aimerais mieux me faire soigner par un médecin consciencieux avec une kippa, un turban ou un crucifix qu’un carriériste antipathique qui ne respecte pas la méthode scientifique en me bourrant de pilules inutiles et qui porte une ostentatoire Rolex au poignet.

J’ai plus de respect pour les humains que les compagnies privées. J’accorde plus de valeurs à la science qu’à la richesse.
DEMAIN : À l’occasion du 2e anniversaire du mouvement citoyen Occupons Montréal, un texte essentiel pour continuer le changement personnel et collectif dont nous avons tant besoin : « La déclaration des engagements individuels et collectifs ».

* * * * * *

* Explication : J’adopte ici l’orthographe que j’ai découverte lors de Occupons Montréal en octobre 2011 afin d’être inclusif sans alourdir le texte.

** Précision: Je fais partie de ces Québécois baptisés catholiques qui ont été circoncis parce que c’était « la mode ».

*** Remerciements à Sandy Dubya pour la suggestion.

**** Je taquine au passage mes amis, mes colocs et ma blonde né-e-s en France. Je me moque souvent de leur « invasion » dont je soupçonne qu’elle fera le plus grand bien au Québec. Bienvenu-e-s chez vous!