«J'suis contente, ils m'ont donné le CB à soir», se flatte, à l'entrée du parc Jacques-Cartier, une bénévole de la Fête du lac des Nations. «Ouain, mais c'est le dernier soir», de lui répliquer, crâneuse, son amie visiblement moins emballée, jalouse. «Je sais, mais ça veut quand même dire que j'ai bien fait mon travail cette semaine», lui répond du tac au tac la joyeuse jeune femme qui ne se laisse pas démonter. Le bonheur jaillit de petites choses (la première gorgée de bière, le sourire d'un enfant, la responsabilité d'un CB), on le dit beaucoup à Des kiwis et des hommes, trop peu à Voir Estrie. Du haut de la King aura fait sa part.
«Fais pas semblant que t'es sourd», crie une mère de sa chaise de parterre, déjà judicieusement postée en vue des feux, à son fils qui s'éloigne de plus en plus de l'emplacement sélectionné. «Pow pow t'es mort!» On joue à la guerre ce soir à la Fête du lac des Nations. «Qu'est-ce que j'ai dit? Reviens icitte, fais pas semblant que t'es sourd!» «Je te le dis que je t'entends pas maman. Pow pow t'es mort!». S'il est aussi bon soldat que menteur, faudrait pas l'envoyer en Afghanistan.
On joue à la guerre ce soir à la Fête du lac des Nations sur un terrain tout à fait de circonstance, mélange de tourbe, de boue et de brin de scie. C'est les gars de Misteur Valaire qui auraient ri d'entendre Laval Chartré presque s'enorgueillir du nombre de sacs de copeaux de bois que la semaine de mouille a nécessité. Le parc Jean-Drapeau après un Vans Warped Tour (un festival punk qui remue) ressemble, en comparaison, aux Jardins suspendus de Babylone (tels que vus sur Wikipédia).
Les kids jouaient aux adultes hier sur le terrain accidenté du parc Jacques-Cartier tandis que les adultes, eux, redevenaient ados sur scène. Seul le petit renflement abdominal propre au quarantenaire de Marc Déry, du reste hipster dans son v-neck plongeant, plombait dans l'aile la mystification qu'opérait Zébulon. Yves Marchand (claviers, voix) avait troqué les habits monotones de sa carrière solo pour la tuque (pas le kilt) des beaux jours (les années ‘90!), Alain Quirion derrière sa toute petite batterie prouvait encore une fois que le gros son naît dans les bras de celui qui tient les baguettes, non pas dans les tambours, et Yves Déry (guitare) officiait toujours en tant que figure circonspecte, force tranquille indispensable à n'importe quel groupe. Du average guy rock de qualité, plein de blondes infidèles, de brosses entre chums et d'observations convenues mais sympathiques sur le quotidien. Personne, bien sûr, n'entendait Y fait chaud comme un constat. Peut-être s'agissait-il toutefois d'une mise en application de bon aloi de la doctrine du Secret.
«Ça arrive à manufacture les deux yeux fermés ben durs», me hurle Robert Charlebois depuis la grande scène. Dans un bistro SAQ déserté – les ultimes festivaliers préférant à juste titre Lindbergh, Fu Man Chu, Cauchemar et autres hymnes nationaux québécois à The Skivvies – je viens encourager un ami barman qui en a finalement que pour les quelques rares belles filles. Je commande malgré tout un verre. «Un rhum&coke s'il-vous-plaît… Eille! Vous êtes pas bibliothécaire à l'Université vous?» Ma vie diurne envahit ma vie nocturne. L'économie va-t-elle mal au point où les bibliothécaires doivent devenir barmaid? Et si je criais tournée générale lors de mon prochain passage au comptoir de prêt?
Garou conclut son rappel. «Une chanson que je n'ai chantée qu'une seule fois…quand je l'ai enregistrée!» C'est pas physique, c'est électrique. Wow! Je tente de me procurer le dernier hot-dog de monsieur Hot-Dog, désir puéril d'être le dernier des Mohicans. Demain, c'est déjà Saint-Hyacinthe pour lui, un autre festival. Échec total: nous sommes plusieurs à vouloir manger un peu de Fête du lac pour une dernière fois. Bonne route et à bientôt monsieur Hot-Dog.