Au café-bistro les Trois Grâces d'Eastman, le pain de ménage est tranché épais et les sourires sont larges comme de grosses bananes. Pas de correspondances au programme pour mes voisins de gauche, une bande de trentenaires en vêtements Mountain Equipment Co-op qui, à ce que j'en comprends, se remplissent la panse d'œufs du jour en prévision d'une longue journée de vélo.
À ma droite, une dame discute avec Louise Portal, la muse des Correspondances d'Eastman, qui vient quérir son café matinal. L'actrice se dirige vers un des jardins d'écriture du village. «Je vais écrire à mes amis français», raconte-t-elle.
Huit cafés et un demi-pain de ménage plus tard, plus de cyclistes à ma gauche, ni d'épistoliers à ma droite. Premier arrêt de la journeé au Club de l'âge d'or d'Eastman où Archambault à installer une mini-librairie dont la moitié de la sélection, sinon plus, provient de la bibliographie de Marc Lévy. Les 7e Correspondances d'Eastman seront Lévy ou ne seront pas. Une amie qui travaille pour l'événement me raconte avoir reçu plusieurs appels transportés au sujet de l'écrivain francophone le plus lu au monde (le plus acheté en tout cas: 17 millions d'exemplaires).
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«Vais-je pouvoir lui parler personnellement?» (Peut-être, mais pas longtemps.)
- «Vais-je pouvoir l'inviter à dîner?» (Malheureusement pas.)
- «Vais-je pouvoir lui toucher?» (Peut-être, mais pas partout.)
- «Vais-je pouvoir l'épouser sur place?» (Malheureusement pas.)
Le chauffeur de la navette menant les épistoliers aux jardins d'écriture consent à me donner un lift jusqu'au théâtre La Marjolaine; Marie-Claire Blais et Catherine Mavrikakis y participent à un café littéraire animée par Danièle Bombardier (je vous en reparle plus tard). Les quatre dames prenant place dans la mini-fourgonette avec moi, elles, s'en vont écrire dans la nature. Des lettres manuscrites, oui. Sur du vrai papier, oui. Avec des stylos ou de plumes fontaines, oui. Pas de MacBook dans leurs sacs, non. Je suis pantois.
15h30, déjà une bière à la main que je sirote sur le balcon de la boîte à chansons le Piano Rouge attenante au théâtre la Marjolaine, un promontoire de choix pour observer le flot de voitures s'amenant pour la grande entrevue avec Marc Lévy. Le préposé au stationnement dirige les voitures avec la bonhomie d'un maréchal de l'armée rouge. «Allez on se dépêche», lance-t-il d'abord à une Camry beige: Puis à une Cadillac noire: «Oui monsieur, c'est ici Marc Lévy, on avance s'il vous plaît.» Et une Civic rouge à aileron avec à son bord une bimbo à poitrine stratosphérique? Marc Lévy ratisse large! Pas tant que ça, monsieur casquette à l'envers, au volant, ne veut que faire demi-tour finalement. Le préposé au stationnement s'énerve.
Un VUS brun s'arrête devant la porte d'entrée du théâtre question de faire descendre sa passagère. «Eille, wo, wo, wo, c'est pas un débarcadère icitte!», gueule le préposé au stationnement courroucé de voir son autorité ainsi remise en question. Le gars a suivi sa formation lors d'un concert de KISS. Le hic: les lectrices de Marc Lévy n'ont pas exacement toutes les mêmes capacités motrices que les fans fou furieux peinturlurés de KISS. Une canne point du côté passager suivie d'une frêle silhouette voûtée alors que le chauffeur du VUS explique au préposé que sa femme n'a plus l'âge des groupies qui se précipitent en courant vers leurs idoles. Le préposé se confond en excuses.
À l'intérieur du théâtre, le branle-bas de combat se poursuit. La grande entrevue affichant guichet fermé, l'espace doit être maximisé. En général, monsieur est l'invité de madame. Sauf dans le cas d'Alexandra, assise devant moi. L'étudiante en littérature n'a jamais ouvert un Marc Lévy et accompagne son père qui lui, a presque tout lu, mais ne se souvient pas des titres. Pendant l'entrevue, il se retournera à toutes les fois que Francine Ruel en mentionnera un pour me dire: «Lui, je l'ai lu.», «Lui, je l'ai lu.» Une peu commune et chouette sortie père-fille.
16h00, Marc Lévy entre en scène comme on entre dans un pub, jeans bleu et pull-over marin sur t-shirt blanc, les lunettes accrochées au col, suivi de celle qui le confessera, Francine Ruel.
Entrevue somme toute divertissante, grâce, essentiellement, à l'humour bon enfant de Lévy. Devant les questions à pentures de Ruel qui, en fait, tenaient pour la plupart davantage du dithyrambe que de la phrase interrogative, Lévy répliquera à un certain moment: «Oui, mais il n'y a pas de question dans ce que vous venez de dire.» Right mon Marc! La foule éclata de rire.
S'il joue sans lésiner la carte de l'humilité, Lévy adopte malgré tout certaines postures romantiques qui font sourire. On apprendra entre autres que l'écriture peut l'absorber au point d'oublier de manger pendant deux ou trois jours et qu'il a pleuré comme une madeleine après avoir visionné Il faut sauver le soldat Ryan. Steven Spielberg a d'ailleurs produit la version cinématographique de son premier roman, Et si c'était vrai, devenu Just like heaven en 2005, un film qui avait soulevé l'ire de certains de ses lecteurs (lectrices?) en raison de nombreux vices d'adaptation. Pour Lévy, la présence de Reese Witherspoon avait suffi à lui faire aimer le film. Marc, nous sommes sur la même longueur d'ondes.
Après 90 minutes d'échange, le tour des spectateurs était venu. J'aurais bien invité Lévy à aller boire une bière, mais le plus américain des écrivains français devait ensuite dédicacer des livres. C'est ce que je retiendrai: Marc Lévy, un gars avec qui on irait prendre une bière. Quant à ses romans…