«Puis-je vous demander comment vous avez entendu parler de Gilles Latulippe?»
C'est le téléphoniste de la billetterie du Centre culturel de Drummondville qui demande ça. Comment j'ai entendu parler de Gilles Latulippe? Je peux également vous raconter comment, cher monsieur, j'ai pour la première fois entendu parler de Charles Aznavour, de Jésus ou de ma mère!
«Je suis un fan de longue date», tranchai-je, ce qui n'est pas faux. Drôle à mourir (Éditions TDV, 2001, préface de Fernand Gignac), recueil d'histoires drôles de Latulippe, est un des ouvrages les plus consultés de la bibliothèque DHDLK, précédé de près du Dictionnaire des synonymes et suivi de près de La Cuisine raisonnée. Fan de longue date, mais qui n'avait jamais encore assisté à une des pièces de théâtre d'été que Symphorien et son tannant de complice, Roger Giguère, présentent chaque été au Centre culturel de Drummondville depuis la vente et le changement de vocation du Théâtre des Variétés (devenu le La Tulipe).
La blague salace Du haut de la King, une présentation Voir Estrie
(extrait de Drôle à mourir)
Une petite fille:
- Dis, Maman, ça s'écrit comment «quéquette», avec un t ou deux t?
La maman:
- Mets-en trois, c'est jamais assez long!
Pourquoi pas la poutine?
Le Looba Café, rue Hériot, est un des hauts lieux de la branchitude drummondvilloise, pour peu que le concept de branchitude soit valide à Drummondville. Claudia, la barmaid, aimerait pourtant être ailleurs. Hier soir, Coeur de Pirate et Daniel Bélanger jouaient au Festival de la poutine, auquel elle n'a pas pu assister: «Ben non, j'travaillais!», et ce soir, ce sont les Vulgaires Machins, les Lost Fingers et, surtout, Malajube, qu'elle regrette ne pas pouvoir entendre: «J'travaille encore!» Envie d'être ailleurs pour envie d'être ailleurs, Claudia préférerait en fait se retrouver chez elle, à Rouyn-Noranda, pour le FME. Elle aurait peut-être pu, allez savoir, danser frénétiquement, épaule contre épaule, avec Xavier Caféine sur le parquet du Cabaret de la dernière chance.
Ce qui amène une Rouandaise à Drummondville? Aucune idée, et ça ressemble bien trop à la prémisse d'un roman de Francine Noël pour que mon compagnon d'infortune, Duquette, ou moi osions la questionner. «Vous viendrez me dire comment c'était Malajube après le show si ça vous tente!» «Heeeeeee… on s'en va pas à Malajube, on s'en va voir Peinturés dans le coin, la pièce de Gilles Latulippe.» Il existe un nombre incalculable de manières éprouvées de décevoir une barmaid, en voilà pourtant une que le monde moderne n'avait jamais encore enregistrée.
Je suis cocu, tu es cocu, il est cocu, nous sommes cocus (spoiler alert)
Être un comme, des Vulgaires Machins, résonne dans les rues de Drummond alors que nous marchons d'un pas rapide vers le Centre culturel qui point à l'horizon comme un ersatz de Colisée de Rome. L'édifice, beau comme un aréna de province ou comme le centre commercial d'une ville de moins de 10 000 âmes, se taillera sans difficulté une place dans Drummondville Kitsch, le jour ou Sébastien Diaz s'y mettra.
Impossible à résumer, l'intrigue de Peinturés dans le coin s'avère aussi limpide que celle d'une chorégraphie de Marie Chouinard. Quoi dire, sinon que tous les personnages, ou presque, se font cocufiés et/ou cocufient leur douce moitié. Un univers éminemment pré-féministe où les hommes tentent d'échapper à leur castrante, grossissante, dépensière et frigide de femme pour coucher avec des – et je cite – «guédounes». Un univers si suranné qu'il faudrait plutôt parler de convention dramaturgique. Seul ancrage dans le 21e siècle, le viagra, abyssal ressort comique, permet à Latulippe de renouveler son répertoire de blagues de pénis.
Patricia Tuslane, la p'tite jeune
Rarement rencontre-t-on, dans la vraie vie, autant de personnes titulaires de cartes Mc D'or aussi obsédées par le sexe; toutes les blagues de Peinturés dans le coin sont grivoises.
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«C'est l'histoire d'un gars qui va voir son médecin et qui lui dit: "docteur, j'veux que mon pénis touche à terre."»
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«Qu'est-ce qu'i'a'fait?»
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«Le docteur lui a coupé les deux jambes!»
À ce point âgée la distribution que Patricia Tuslane, dans le rôle de la vamp, se révèle crédible. Mon chum Duquette: «j'pense que je la trouve cute.» Duquette, permets-moi de te rappeler que la dernière fois que l'on a vu Patricia Tuslane, elle était débatteuse à TQS. (J'omets son rôle de cougar dans J'ai tué ma mère.)
Si l'intrigue est aussi échevelée, c'est essentiellement parce toute la pièce est prétexte à en pousser une petite salée. Presque toujours postés au devant de la scène, au centre, deux personnages échangent des vannes pendant quelques minutes, reprennent l'action, puis échangent d'autres vannes. Exemple: Gilles Latulippe, en concierge, entre chez Roger Giguère et ouvre le journal pour lui lire l'horoscope, la météo, les faits divers, etc., mais il ne s'agit que d'autres blagues de type «une fois c't'un gars», astucieusement travesties.
Écroulé, le quatrième mur
Burlesque un jour, burlesque toujours, Roger Giguère, dans la plus pure tradition, n'a que faire du quatrième mur et demande à sa – et je cite – «guédoune», pour mieux voir ses cuisses, de relever sa jupe. La «guédoune» obtempère. «Encore un peu», insiste-t-il, elle obtempère, «encore un peu», répète-t-il, elle obtempère, «encore un peu», s'obstine-t-il, «ben là!», s'offusque-t-elle. «C'est pas pour moé, c'est pour le monsieur assis là», rétorque le comédien en pointant un spectateur dans la quatrième rangée.
Encore plus ahurissant, Giguère, l'inénarable, de retour de l'entracte, s'adresse au public en se secouant les pantalons, les deux mains dans les poches: «Ça fait-tu du bien d'aller à toilette hen?», puis récapitule la première partie à la manière d'un résumé de l'épisode précédent au générique d'ouverture d'une télésérie. Peut-être un peu pour lui-même se rafraîchir la mémoire.
Surmenage comique
«Je me sens vidé», échappe Duquette au sortir du Centre culturel de Drummondville et pour cause, Peinturés dans le coin, procure une sensation analogue à Le Chien Andalou, tant décalée des formes narratives qui nous sont familières, qu'elle exténue. Faut aussi dire, pour être honnête, que nous avons beaucoup ri. Ri de bon coeur certes, mais surtout ri du dit décalage, comme on le fait toutes les semaines devant Family Guy, bien qu'à un détail près: dans le cas de la pièce de Latulippe, le décalage n'est pas intrinsèque à l'oeuvre.
Nous avons songé pendant quelques minutes aux mots qui nous permettraient d'expliquer notre état d'âme à Claudia du Looba Café. C'était au-dessus de nos capacités.