BloguesDu haut de la King

Acapulco-Stoke avec Bernard Adamus

Sherbrooke, jeudi 15 octobre 2009.

Devant la scène du Téléphone rouge des hippies s'aiment fort, fort comme l'odeur qu'ils dégagent.

Bernard Adamus, sur la scène lui, chante qu'un jour il fera plus beau dans son bol de toilette, que brun est la couleur de l'amour et qu'il fait chaud juste pour nous faire oublier qu'il a neigé pour la première fois cette semaine, que nous avons dû dégivrer le pare-brise avec le balai à neige.

Du haut de la King s'adresse à la fille assise à côté de lui et, encore lucide, n'attend pas son change. Elle n'est plus là depuis longtemps, depuis des semaines, des mois. «Coach, passe-moé une bière!*» Le blogueur fait sienne la demande que formule Adamus sur scène. Faudra s'y faire, la plus belle fille du comté est partie avoir trente ans ailleurs. «Dans le radio c'est 4-0 Montréal.*» Pas de veine, le hockey en cette soirée froide n'est plus un rempart pour personne, pas plus pour les chauffeurs de taxi que pour les blogueurs. Dans le iPhone du barman, c'est 3-2 Colorado.

«Pour Noël, j'ai reçu du ciel un calinours poivre et sel*», chante Bernard Adamus, celui-là même qui, il y a deux semaines, recevait 5000$ de la SOCAN (le prix Écho) pour La (prenante) Question (de fauché) à 100 piasses. Une complainte rappée de sans-le-sou en échange d'un gros chèque? Crier It's all about the Benjamins n'est plus le seul antidote à l'indigence, dieu soit loué! 

Le chanteur après le concert – la froque de gars de bois sur le dos, trois-quatre épaisseurs de chemises de chasse -, boit directement dans son pichet de blonde, les mêmes inflexions de voix que Barney Gumble dans les filets de machiavélique Moe.

D'où viens-tu Adamus?

– «Tu le sais-tu toé d'où i' vient Bernard?»

La plus belle fille du comté adresse la parole au blogueur, mais son accent l'instruit cruellement de son appartenance. Il ne s'agit pas de la plus belle fille de SON comté. Amélie vient de la Beauce et aime en banlieue de Québec son chum, Luc, ingénieur natif du Bas-Saint-Laurent. L'amour entre eux depuis le concert des Lost Fingers («avant le gros succès», précise-t-il) auquel il l'a invité (ses jolies joues rouges repérées sur Facebook) il y a an et demie. La banlieue depuis quelques semaines.

Elle: «Ben non c'est pas la banlieue!»

Lui: «Ben oui c'est la banlieue!»

Les deux mains et l'esprit aux rénovations depuis l'emménagement – la magnifique maison de campagne de leur rêve -, ils viennent à Sherbrooke expressément pour entendre Bernard. S'en vont demain rejoindre un couple d'amis à Sainte-Adèle – un chalet dans le bois, un spliff dans le spa -, dorment à l'Ermitage. «On peut vraiment se la péter à soir, on chauffe même pas, on va prendre un taxi tantôt.» Ça fait quelques mois que Luc écoute Brun, le premier album d'Adamus, «sans arrêt», confie-t-il au blogueur. Sa blonde lève les yeux au ciel. Elle aime Adamus, oui, mais avec moins de ferveur que son chum.

Amélie: «Ben là, tu le sais-tu finalement d'où i' vient Bernard?»

Du haut de la King: «Montréal me semble…»

Amélie: «Ben voyons donc, le monde parle pas de même à Montréal! Bernard i' parle comme si i' venait d'un trou, comme si i' venait de par chez-nous.»

Adamus, justement, se pointe au bar pour se faire rafraîchir le pichet.

DHDLK: «Hey Bernard, on se demandait comme ça, tu viens d'où?»

B.A.: «De Pologne!»

DHDLK: «Sérieux?»

B.A.: «Oui, mais je suis arrivé à Montréal à trois ans!»

Amélie: «Voyons donc! Le monde i' parle pas de même à Montréal.»

DHDLK: «Ils parlent pas tous comme dans La vie, la vie à Montréal…»

Adamus dévisage le blogueur, n'apprécie pas son esprit. Le blogueur envie la froque du chanteur, envie le manteau de Petit chaperon rouge qu'Amélie n'a pas enlevé de tout le concert. «Il fait froid au Téléphone rouge», pense-t-il en se dirigeant vers la plus belle fille du comté assise à l'autre bout du bar. «Veux-tu mes mitaines?», propose-t-il à celle qui n'est évidemment pas là, partie ailleurs. «Une chance, se console-t-il, mes mitaines dorment au fond du coffre de cèdre de ma grand-mère depuis vingt ans.»  

Plus connu que Desjardins

Luc: «Bernard, t'as du stock en masse pour un deuxième album toé-là!»

Adamus échappe un soupir et se dirige vers la porte.

Le barman met en garde celui qui tantôt chantait: «Moé je traîne dehors avec mon problème de booze.

«Eille Bernard, tu peux pas sortir avec ton pichet.»

Le chanteur dépose son trésor sur le comptoir et s'en va, les bras ballants, les poches pleines de rien du tout. Dort chez de vieux amis cette nuit, parmi les 2712 âmes de Stoke (à plus ou moins 20 minutes de Sherbrooke).

«Dans mon lit j'ai pas de couvertes et la tempête descend du Nord.

Luc est d'avis qu'Adamus sera un jour plus connu que Richard Desjardins. Le blogueur écoute Brun de bout en bout le lendemain et se dit qu'Adamus préférerait sans doute que la plus belle fille de son comté à lui le rappelle.

«Un jour tu vas rentrer à' maison, mais en attendant, c'est donc ben long, oh Acapulco.**»

Adamus revient finalement avec une pointe de pizza. Un certain Sébastien Pesot le questionne en boutade: «t'es allé cherché ça rue Ontario?»

«Ton rire comme un buffet chinois, ton corps un all you can eat sur le top de l'Himalaya.**»

Un hippie plus loin rigole, philosophe de boui-boui: «on trouve la même pizza indigeste partout…»

Luc insiste pour payer une pinte de blanche au blogueur: «c'est drôle, on boit de la blanche l'été pis pourtant, c'est l'hiver la saison blanche.»

Quelqu'un entre et sort sans cesse du Téléphone rouge, petit chenapan qui veut punir les piliers cacochymes aux bouts de doigts gelés d'un frigorifiant courant d'air.

À côté du blogueur, la plus belle fille du comté n'est pas là et lit d'une voix doucereuse des poèmes de Patrice Desbiens sans en mesurer toute la portée. Bernard Adamus dit: «je l'aime ben ce bonhomme-là.»

«La chanson est finie et le silence s'installe en / moi et mes amis comme un cri / je les regarde et je souris et je t'attends, ici, au Téléphone rouge.***»

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*extraits des paroles de la chanson La Brise de Bernard Adamus

**extraits des paroles de la chanson Acapulco de Bernard Adamus

***extrait de Sudbury de Patrice Desbiens, Éditions Prise de parole

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L'album Brun de Bernard Adamus est disponible en magasin et sera réédité le 3 novembre par l'étiquette Grosse Boîte.

Article sur Bernard Adamus signé Patrick Baillargeon ici.

Bernard Adamus