Jeudi 29 octobre 2009. D'un téléphone public à la station de métro Jean-Talon, j'appelle Fanny Grosjean, première dame du Sherbrooklyn sous le pseudo Fanny Bloom au sein de la Patère Rose. «Je m'habille et je te rejoins», me dit-elle. Roboto, Kilojules et elle avaient offert leur hit La Marelle en performance le lundi précédent à l'Autre Gala de l'ADISQ, durant lequel Malajube leur rafla le prix de l'Album de l'année – Alternatif. Le dimanche suivant, au Gala de l'ADISQ, leur petite sœur de label, Cœur de pirate, allait, comme tout le monde et sa sœur l'avaient prédit, les coiffer et repartir avec le Félix de la Révélation de l'année.
La chanteuse émerge de la foule quelques minutes plus tard et me suggère deux endroits pour notre entretien. «Il y a un petit café que j'aime pas loin ou un autre, un peu plus loin, qui est vraiment cute». J'opte pour le «cute». Nous traversons la Plaza Saint-Hubert, lieu pittoresque où le clip de La Marelle a en partie été tourné. «Est-ce que tu magasines souvent ici?» «Oui, je reviens justement tantôt, faut que je me trouve un costume d'Halloween.» «Tu te déguises comment?» «Je voulais me déguiser en Baby Spice, sauf que là il fait un peu trop froid. Pis ça me tente pas de me promener en souliers plateformes toute la soirée.»
«Ça été un bon choix finalement de lâcher l'école pour faire de la musique?», demandé-je à la chanteuse en chemin, mais il s'agit plutôt d'une affirmation. Fanny et moi avons partagé les mêmes salles de cours de l'Université de Sherbrooke pendant une session avant qu'elle ne quitte pour la métropole. «Ce n'était vraiment pas pour moi. Disons que mes parents ont capoté pas mal quand je leur ai annoncé.»
Nous entrons au Mille Gusti coin Saint-Zotique-Christophe-Colomb, café effectivement «cute». Le garçon nous décrit avec force détails sa sélection de paninis en donnant du «bella» à Fanny – il a bon œil -, et en me donnant du «bello» – je sourcille. Fanny porte un chandail American Apparel bleu ciel, son préféré. «Ça faisait un an que je le watchais quand je l'ai acheté. Touche, c'est mou, c'est super confo… Tu vas pas écrire ça?» «Why not?» «Bon ok, tant qu'à écrire des niaiseries, tu peux aussi écrire que Catherine Leduc de Tricot Machine en a un pareil et qu'elle-aussi c'est son chandail préféré. Elle en a même un deuxième, mauve.» À bon entendeur, salut!
Discussion autour du processus d'écriture, de Pierre Lapointe, des commentaires sur YouTube et de Big Shiny Tunes 3, entre autres choses. ______________________________________________________________________________
Du haut de la King: Parle-moi de ton sandwich?
Fanny Bloom: «Il est vraiment bon.»
Qu'est-ce qu'il y a dedans?
«Des poivrons marinés un peu piquant. Je pense qu'il y a comme une tapenade d'artichauts.»
Est-ce que je me trompe ou Fanny Grosjean, sur scène, a pas mal changé. J'en parlais avec ton chum justement cet été, je lui avais demandé ce que ça lui faisait de te voir yeux dans les yeux, sur le bord d'embrasser James Di Salvio sur scène [lors du concert de Misteur Valaire à la Fête du Lac des Nations]?
«C'était quand même James Di Salvio. [rieuse] Moi je n'y suis pour rien, c'est lui!»
Ce que j'essaie de dire de façon diplomate c'est que ta sexualité est beaucoup plus up front en show qu'avant. Juste au plan des vêtements, tu optes maintenant pour des looks assez sexy sur scène. Il y a quelque chose de dianedufresnesque là-dedans.
«Ces dernières années je suis vraiment allé voir gros des shows, rien à voir avec le nombre de shows que j'allais voir avant. Je me suis rendu compte que ceux que j'aimais, quand ça se passait pour moi, c'était quand la fille ou le gars qui chante était vraiment là, mais VRAIMENT. Tranquillement en pratique, j'ai essayé de la feeler différemment. Avant, la Patère Rose c'était plus chanson, donc ça ne se prêtait pas à cette théâtralité-là. J'aime mieux ça comme ça, je me cache plus. Je me sens protégé, mais je me promènerais pas habillée comme ça tous les jours.»
Le fait de voir beaucoup de shows a été déterminant?
«Avant je n'aimais pas vraiment ça. Je trouvais ça long, je trippais moins. Faut dire que je buvais moins dans ce temps-là. J'écoute aussi beaucoup de musique avec les gars. Durant les longs trajets en char, ils mettent plein de trucs différents, ça ouvre l'esprit.»
La dernière fois qu'on s'est parlés, avant l'enregistrement de votre album, tu me disais rencontrer une sorte de blocage dans l'écriture des textes. Comment as-tu fait pour débloquer?
«Ça n'a pas débloqué. En fait les textes étaient déjà là, c'est juste que j'avais vraiment peur de la réaction. Je ne voyais pas comment je pouvais les changer, je ne pouvais rien y faire et j'avais une peur bleue de me faire ramasser là-dessus quand l'album allait sortir.»
Les critiques qui s'intéressent particulièrement aux textes sont quand même rares…
«Il y a une partie des critiques qui ne se soucient pas de ça, c'est vrai, mais plusieurs le font, comme Marie-Hélène Poitras, dont j'avais peur. Je me disais: "ils vont me détruire sur mes textes." Finalement ça ne s'est pas produit, même que j'ai eu des compliments auxquels je ne m'attendais pas. J'ai repris confiance. Il y a des tounes dont je suis moins fière. On s'entend que Décapote c'est une niaiserie.»
Au moins on sait de quoi ça parle, contrairement à plusieurs textes plus abscons, comme ceux de Dumas qui devient de plus en plus flou, qui écrit juste des mots clés et dit vouloir laisser les gens se faire leur propre histoire.
«C'est pas pour me vanter, mais j'ai beaucoup analysé comment était construit le texte d'une chanson et j'ai constaté qu'il y avait tellement d'affaires qui m'énervaient, que je n'aurais pas mis ce mot-là, que je n'aurais pas fini un phrase de cette façon-là. J'ai tellement spotté ce que je détestais et tellement voulu ne pas le reproduire que dans ce sens-là, j'ai fait un travail. Je suis contente, surtout fière des structures.»
[…]
Depuis le début de la Patère, as-tu eu la chance de rencontrer des artistes que tu admires?
[Longue réflexion] «Pierre Lapointe, il m'intimide à chaque fois.»
Parce qu'il a quelque chose de foncièrement intimidant?
«Non, parce qu'il est représentatif d'un certain tournant. Quand j'ai découvert sa musique, j'étais encore à Sherbrooke. J'avais besoin d'écouter quelque chose de québécois qui me parlait, mais ça n'existait pas. Puis est arrivé son premier album sur lequel il y a vraiment des bons textes. Pointant le nord, c'est une magnifique chanson. Ça m'a vraiment bouleversé. C'est impressionnant de le rencontrer cinq ans après, parce qu'en plus c'est lui qui est d'abord venu me voir pour me dire que l'album est écœurant et qu'il avait trippé en show. Il nous écrit sur Facebook, ça n'a pas de bon sens! C'est intense et surréaliste. Quand je le vois j'ai envie de lui dire ça, mais je bloque, parce qu'il est tout le temps trop vite à complimenter. Hier, il m'a écrit sur Facebook: "tu étais le plus sexy à l'Autre Gala." Ça aide à passer à travers d'autres trucs plus durs à vivre, qui te font te remettre en question personnellement…»
Est-ce que vendre sa chanson à Télus fait partie de ça?
«Non, c'était un choix très conscient. On a dit oui parce que c'est un gros exposure. Depuis un bout, ils choisissent de la musique émergente et j'ai toujours été d'accord avec leurs choix. Je ne ferais pas ça avec n'importe quoi. J'aime leur approche.»
As-tu encore besoin de travailler à la chocolaterie?
«Non et tu sais, des pubs on en fait d'autres, mais pas sous le nom de la Patère. On fait beaucoup de pitch. Je me retrouve à chanter sur des pubs européennes. C'est soit ça ou tu continues à travailler au salaire minimum dans un café. Moi je trouve que ce sont des projets qui valent la peine. C'est vrai qu'il faut faire attention, qu'il faut faire les bons choix, ne pas accepter n'importe quoi. Reste qu'il y a des gens qui vont seulement réagir pour réagir, qui ne pourraient même pas t'expliquer pourquoi.»
Parlant de comportements puérils, tu as écrit récemment sur Facebook quelque chose comme «Note à moi-même: ne jamais aller lire les commentaires d'un de mes vidéos sur YouTube.»
C'était incroyable. En fait, je trouve ça cool que je réussisse à ne pas m'en faire avec ça.
Qu'est-ce qui t'as pris au juste?
«C'est une amie qui avait lu un commentaire comique et m'a suggéré d'y aller. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de pages. Je commence à lire, il y avait des affaires pas possibles, des attaques personnelles. Je ne comprends pas comment tu peux être derrière ton ordinateur et détester tellement quelque chose au point de ne pas avoir le choix de l'écrire. Faut tellement être loser. Quel temps tu as à perdre pour te loguer et aller écrire de la marde?»
Ça n'a pas trop ruiné ton moral?
«Non, c'est juste que je n'en revenais pas.»
Même les personnes les plus zen ne peuvent pas demeurer imperméables à ça…
«Non, mais je suis vraiment moins vulnérable que je le pensais. Il y a des trucs que je n'aurais pas pris il y a un an. J'ai plus confiance. Ces losers-là ont quand même pris le temps de le regarder le clip… Tsé, moi aussi j'hais des affaires à mourir, mais je ne l'écrirais pas sur un forum.»
[Elle fouille dans son sac à main.]
T'as Big Shiny Tunes 3 dans ton sac???
[Faussement embarrassée] «Bon, c'est pas à moi first…»
Explications mademoiselle…
On est pas mal nostalgiques de notre adolescence dans mon cercle d'amis depuis un bout. On écoute les B.B., Francis Cabrel. Des trucs pour changer des groupes du moment qu'il faut ABSOLUMENT connaître. Des fois ça devient lourd, trop sérieux. Il y a des perles là-dessus, des trucs qui nous ont fait tripper, ce serait poche de renier ça. Iris des Goo Goo Dolls c'est une toune qui m'a fait capoter quand j'avais 13 ans. La façon dont sont construites ces tounes-là est fascinante. Tu ne comprends pas pourquoi tu aimes ça, mais ce sont des structures qui happent n'importe qui. En tout cas, je suis arrivé chez un ami hier et Big Shiny Tunes 3 jouait. Je lui ai emprunté.»
[Don't speak de No Doubt débute à la radio.]
Ça c'est bon! Gwen Stefani est super belle dans le clip. Mon éveil sexuel…
«Je pense que c'est la fille que je trouve la plus belle au monde.»
Toi, à qui dois-tu ton éveil sexuel ?
«David Usher, du temps de Moist. Un peu Brian des Backstreet Boys aussi.»
Bon, finalement, dis-moi, est-ce que c'est dur sur le couple la vie d'artiste?
«Oui c'est dur. Avant, on était tellement fusionnel mon chum et moi; on allait à l'école, on avait les mêmes cours, nos mondes étaient les mêmes. Puis la musique a commencé à prendre de plus en plus de place J'ai commencé à être partie plusieurs jours de suite, à vivre des affaires qui n'ont pas de bon sens, à me coucher vraiment tard, à boire ma vie. Quand tu reviens, c'est difficile de réintégrer le quotidien et de partager ce que tu as vécu. C'est tellement intense la tournée. On en parle beaucoup entre musiciens et je ne suis pas la seule à vivre ça. Je peux, au moins, partager cette angoisse-là avec des gens qui vivent exactement ce que je vis.»
[Emphatique au possible] Comme dirait Léo, tu continues ta vie d'artiste!____________________________________________________________________________
La Patère Rose poursuit sa tournée du Québec. Consultez leur Myspace pour plus de détails.
crédit photo: Jimmi Francoeur
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