BloguesDu haut de la King

Plus cave que le Gros cave: échange de courriels avec Jean-François Mercier

La Société de transport de Sherbrooke (STS) dévoilait en grande pompe le 18 octobre dernier sa nouvelle campagne de sensibilisation. «Une campagne-choc afin de promouvoir le respect de règles élémentaires de civilité et de sécurité au sein de son réseau», expliquait-on par voie de communiqué. Mettant en vedette Jean-François Mercier et son personnage de Gros cave, l'offensive, qui s'échelonnera sur deux ans, vise à enrayer six comportements jugés irritants et/ou dangereux:

  • refuser de céder son siège à une personne âgée ou à une femme enceinte;
  • rester à l'avant de l'autobus et entraver le passage vers l'arrière du véhicule;
  • courir pour rattraper un autobus en mouvement;
  • souffler la fumée de cigarette au moment de monter à bord d'un autobus;
  • ne pas s'assurer d'avoir son titre de transport ou la monnaie exacte au moment de monter à bord de l'autobus;
  • circuler en dehors des passages piétonniers ou des trottoirs.

Les comportements ciblés ont été recensés à la suite de plaintes et d'une consultation menée auprès des chauffeuses et des chauffeurs.

Les publicités affichées aux débarcadères et dans les autobus montrent en gros plan le visage d'un Mercier courroucé juxtaposé à une photo du même Mercier pointant du doigt un usager commentant l'odieux: un comportement irritant. Le slogan «Même le gros cave ne ferait pas ça…» coiffe le tout.

Heurté par le ton corrosif de la campagne, monsieur François McCauley écrivait dans une lettre particulièrement fielleuse publiée le 23 octobre dernier dans le quotidien La Tribune: «Je ne vois pas comment traiter les gens de "caves" ou de "cons" peut les inciter à améliorer leur conduite. C'est bien là le mépris du peuple, qui, lui, doit prendre l'autobus, de la part d'"administrateurs" qui, eux, peuvent se déplacer en BMW.»

Par voie de communiqué, la présidente de la STS, Dany Lachance, justifiait pour sa part ainsi l'embauche de Mercier: «Les approches "soft", paternalistes ou moralisatrices ne donnent pas de résultats concluants. Pour capter l'attention, susciter l'intérêt et provoquer une réaction de la part des personnes ayant des comportements frustes, il faut une approche très percutante qui saisit les individus fautifs, en les interpellant plutôt qu'en les apostrophant, et qui suscite en même temps l'approbation de la "majorité silencieuse" qui, elle, se conduit de manière correcte et respectueuse.» (Admirez les talents de comédienne de madame Lachance ici. Espérons qu'elle n'attend pas un appel de Fabienne Larouche.)

Également indigné par le mépris affiché par la STS, une institution publique qui, via Mercier, traite ni plus ni moins certains de ses utilisateurs de plus cave que le Gros cave, Du haut de la King a soumis par courriel quelques questions au co-scénariste des Bougons. Le Gros cave en chef a eu la gentillesse d'y répondre avec diligence, au beau milieu d'une tournée de la Gaspésie et de la Côte-Nord.

Bien au courant du franc-parler de l'humoriste, DHDLK n'a pas hésité à le tancer et à tartiner épais. Visiblement hérissé, Mercier s'est plu à parodier le style vindicatif des questions DHDLK:  «Toi Dominic, qui s'est clairement donné le mandat d'être contre la campagne de la STS afin de créer une fausse polémique pour alimenter ton blogue et ce, en utilisant allègrement la démagogie pour travestir les véritables intentions de cette campagne qui est de promouvoir le civisme pour plutôt fouiller et essayer d'en faire ressortir le négatif, ne te trouves-tu pas gonflé de mettre des bâtons dans les roues de ceux qui essaient de faire une société meilleure?»

Dominic Tardif vs. une société meilleure: les hostilités ne font que commencer!

Voici donc, intégralement, les cinq questions soumises à Jean-François Mercier.

_________________________________________________________________________ 

DHDLK: Les utilisateurs de la STS se plaignent fréquemment du manque de service dans certains quartiers et à certaines heures ainsi que du service presque inexistant le week-end. Ne trouves-tu pas que la STS agit avec arrogance et frivolité en s'offrant une campagne de sensibilisation (et un humoriste) plutôt que d'injecter ces fonds dans le service aux usagers?

Jean-François Mercier: «Oui, on peut sûrement offrir plus de service et il y a fort à parier que bien des gens continueraient de se plaindre du manque de service dans certains quartiers et à certaines heures. Moi, je suis porte-parole de la campagne de la STS, je ne peux pas m'immiscer dans les prises de décision de l'administration. Tu sais que je ne participe pas aux décisions administratives de la STS et ça ne fait pas partie de mon rôle de porte-parole de campagne d'approuver ou de désapprouver les décisions qui sont prises. Tu devrais poser cette question aux administrateurs de la STS. Par contre, je peux te dire que je suis loin d'être payé le prix que les porte-parole sont payés habituellement. On a accepté de le faire pour une fraction du prix justement parce que la promotion du civisme, c'est quelque chose que je juge important.»

En tant qu'utilisateur de la STS, je rencontre rarement un des comportements que vise à enrayer la campagne de sensibilisation, celui du paiement. Les publicités mettant en vedette le Gros cave demandent aux utilisateurs qui paient leur trajet en argent comptant d'avoir leur monnaie en main avant de monter à bord. Personne n'est contre la tarte aux pommes, évidemment, mais il me semble que si, d'abord, le prix était fixé à 3$ plutôt qu'à 3,10$, les gens seraient moins confus. Je croise fréquemment des visages interdits devant un tel prix. À 3,10$, le taxi apparaît comme une alternative pas tellement plus coûteuse et surtout, nettement plus efficace. Il me semble également plutôt vain de s'adresser aux utilisateurs qui paient comptant leur passage comme ceux-ci représentent une clientèle occasionnelle. Je m'abstiens par ailleurs d'évoquer la gratuité du transport en commun que réclament nombre d'intervenants locaux depuis plusieurs années. En résumé, 3,10$, n'est-ce pas cher payé pour un trajet qui peut durer jusqu'à une heure? Es-tu, a priori, pour la gratuité du transport en commun?

«Encore là, je ne sais pas quoi te répondre. Les tarifs du transport en commun, ce sont des décisions administratives qui ne me regardent pas et que je me garderai bien de juger. Par contre, ce que je sais, c'est que la STS a fait une consultation auprès de ses chauffeurs pour identifier les six comportements qu'ils rencontraient le plus fréquemment et qui sont sources d'irritations. C'est ça qui est ressortit de la consultation. Peut-être que toi, tu rencontres rarement ces comportements mais il semblerait que ça ne soit pas le cas des chauffeurs puisque ça fait partie des comportements qui ont été identifiés le plus souvent. 

Pour ce qui est de la gratuité, ça n'existe pas. Il y a toujours quelqu'un qui paye pour les services que ça soit les utilisateurs ou les non-utilisateurs. Le transport en commun est déjà subventionné. Est-ce qu'il devrait l'être plus? C'est une décision de société. Encore une fois, ça serait beaucoup plus pertinent de poser la question aux élus qui prennent ultimement ces décisions. Pour les étudiants, ils ont fait le choix d'offrir le transport en commun à titre gracieux.»

Même si l'on comprend bien que le Gros cave est un personnage au même titre, par exemple, qu'Oncle Georges est un personnage de Daniel Lemire, dissocier le créateur de sa créature s'avère plus difficile dans ton cas. Ne te trouves-tu pas gonflé de venir pontifier sur le civisme des Sherbrookois dans les transports en commun, dans la mesure où tu ne les empruntes pas au quotidien? (les empruntes-tu à Montréal?)

«C'est drôle comment tu présentes les choses, ce n'est pas comme ça du tout que moi, je le vois. Tu reliras ta question et elle contient une accusation. Je ne viens pas pontifier sur le civisme des Sherbrookois dans les transports en commun comme tu l'affirmes. Je prête mon nom à une campagne qui veut faire la promotion du civisme et de la sécurité dans le transport en commun pour simplement rendre la vie plus agréable à l'ensemble de la population Sherbrookoise qui utilise les transports en commun. Je n'utilise pas le transport en commun parce que c'est impossible avec l'emploi du temps que j'ai. Par contre, oui, j'utilisais le transport en commun dans le passé pour me déplacer lorsque mes fonctions me le permettaient. Mais encore là, c'est un peu hors propos dans le sens que c'est un campagne pour faire la promotion de la sécurité et du civisme, pas pour faire la promotion de l'utilisation du transport en commun. Par contre, de rendre le séjour dans le transport en commun plus agréable, ce qui est le but de la campagne, va entraîner comme effet secondaire de faire la promotion du transport en commun. Est-ce que je me trouve gonflé? Non.»

Bien que cela ne soit pas le lot de l'ensemble des chauffeurs de la STS (nombreux sont charmants et avenants), certains d'entre eux se font un malin plaisir à laisser un utilisateur qui arrive à toute vitesse, les bras plein de paquets, sur le quai d'embarquement, un grand sourire narquois au visage par surcroît sous prétexte que l'autobus est déjà en route. La STS ne devrait-elle pas intervenir auprès de ses employés afin d'enrayer ce grave problème d'attitude et ces comportements de rois de la montagne plutôt de s'en prendre aux utilisateurs nargués qui optent pour leur seul recours, c'est-à-dire courir derrière l'autobus en marche (un comportement visé  par la campagne)?

«Tu vois, on ne m'a pas mis au courant que les chauffeurs se faisaient un malin plaisir à faire chier les utilisateurs de la STS. Sérieusement, ça ressemble beaucoup à une généralisation sur un cas particulier. En tout cas, moi, les chauffeurs que j'ai rencontrés me sont apparus comme de très gentilles personnes sympathiques. Aucun rapport avec le chauffeur que tu décris. Ils ne m'ont pas laissé l'impression d'être comme tu les décris. 

La raison pour laquelle, c'est un des six items traités, c'est qu'il y a eu une mort d'homme. La personne courait derrière l'autobus et elle a glissé et l'autobus lui a passé dessus. Le chauffeur ne s'en est jamais remis et il s'est suicidé. Encore là, c'est une préoccupation des chauffeurs qui a été relevé. Certaines personnes traversent n'importe où et pas nécessairement aux endroits prescrits et ça devient difficile pour les chauffeurs de gérer tous ces obstacles. Le but recherché c'est d'éviter que ce tragique accident se reproduise.» 

Ton humour fait la part belle à la provocation et la campagne de sensibilisation de la STS poursuit ton utilisation de l'outrance comme ressort comique. Comme tu es devenu un personnage médiatique, les vierges offensées poussant les hauts cris se font sans doute de moins en moins nombreuses lors de tes spectacles en salle. Elles pourraient de toutes façons difficilement arguer ne pas avoir été mis au parfum du contenu sulfureux du Show du Gros cave. Il en va autrement lorsque ton humour grinçant envahit les autobus de la STS à bord desquels montent des gens émanant de différents milieux sociaux et culturels et ne partageant peut-être pas le goût d'un certain public pour le type d'humour que tu pratiques. Certaines personnes pourraient, à juste titre, clamer ne pas avoir consenti à être mis en contact avec l'humour de Jean-François Mercier. Que leur réponds-tu?

«C'est vrai, sauf que c'est la même chose pour n'importe quel porte-parole. Certaines personnes pourraient à juste titre clamer ne pas avoir consenti à être mis en contact avec n'importe qui d'autre qu'ils auraient pu choisir. La raison pour laquelle j'ai été choisi comme porte-parole c'est justement ce que tu me reproches, c'est-à-dire mes aptitudes à faire réagir et s'en servir pour provoquer un changement positif. La grande majorité des utilisateurs du transport en commun appliquent les règles de civisme élémentaire. Mais pour aller rejoindre la clientèle délinquante, il faut frapper fort. Ça leur prenait un porte-parole qui est respecté des jeunes mais aussi des plus vieux parce que ce ne sont pas seulement les jeunes qui ont des comportements délinquants. Il fallait un porte-parole qui confronte les délinquants pour induire un véritable changement de comportement. Ce n'est pas avec des caresses que tu vas changer des comportements délinquants. Par le biais de l'humour, les choses se font un peu plus en douceur. C'est parce que je maîtrise bien ce type d'humour, que je rejoins une grande partie de la clientèle et parce que je ne suis pas moralisateur qu'ils sont venus me chercher. Ce n'est pas vraiment à moi de dire que je suis le meilleur choix de porte-parole mais dans l'atteinte des objectifs que la STS s'est fixé et avec la stratégie qu'ils ont choisie, il s'est avéré que j'étais leur premier choix de porte-parole et je vais faire de mon mieux comme porte-parole pour les aider à atteindre leurs objectifs d'avoir un transport en commun plus agréable et plus sécuritaire pour tout le monde.»

_________________________________________________________________________ 

Jean-François Mercier monte sur la scène du Vieux clocher de Sherbrooke samedi le 14 novembre.

Pour la totale expérience Gros cave, Du haut de la King suggère de vous y rendre en transport en commum. N'oubliez pas de compter votre petit change!

– 3$ que ça coûte?

– Non, 3,10$!