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Le Roi (Poisson) de la ruelle (Dans l’accotement)

«Yoda y'a dit quoi à Chewbacca? Yoda y'a dit yabadabadou.

Yoda y'a dit quoi à Darth Vader? Yoda y'a dit yabadabadou.»

C'est Jérôme Dupuis-Cloutier alias Jérô Macro, chanteur-claviériste du Roi Poisson, que vous entendez faire ses vocalises dans la ruelle jouxtant le Théâtre Granada de Sherbrooke comme le bon étudiant en musique qu'il était il n'y a pas si longtemps, mais en prenant bien soin de déflorer le banal do-ré-mi-fa-sol-la-si-do. «Yoda y'a dit quoi à Chewbacca? Yoda y'a dit yabadabadou», mantra absurde ET utile pour une formation délurée ET sérieuse qui s'apprête, au moment où je les rencontre le 10 septembre dernier, à offrir sa première performance au Festival de la rentrée Molson Dry (voix FM), précédant Xavier Caféine et Malajube en levée de rideau à part de ça.

Une demi-heure devant une foule de cégepiens (presque) captifs, occasion qui se présente rarement à une formation sans label derrière elle et dont se frotte les mains Denis Laliberté, gérant du Roi Poisson. Une invitation des Productions du Palais sans doute due au travail d'arrache-pied de ce Colonel Parker du Sherbrooklyn qui, justement, quand je lui téléphone en après-midi pour confirmer notre rendez-vous, complète une demande de subvention. Dans une industrie musicale en plein changement de paradigme où le simple fait d'aspirer à sa place au soleil requiert au minimum un MBA, les cinq monarques à nageoires, eux, se lavent en partie les mains de l'aspect business de l'aventure. «On peut se concentrer totalement sur la musique», résume Jean-Vivier Lévesque alias J-V Truite, guitariste (le fils du créateur de Bozo-les-culottes pour les amateurs de généalogie).

Une invitation des Productions du Palais sans doute aussi due à la réputation enviable que le groupe s'est taillée ici, origine sherbrookoise oblige. «Moi je viens de Saint-Jean-sur-Richelieu», rectifie Jonathan Charrette alias Jo Barbotte, multi-instrumentiste de son état, bassiste avec le Roi parce «ça en prenait un.» Mettez un pipeau, un sousaphone ou une viole de gambe entre les mains de ces gars-là et ils en joueront divinement.

Preuve irréfutable que Sherbrooklyn tient plus de la (chouette) campagne de marketing et de l'engouement médiatique que du manifeste, Jérôme Dupuis-Cloutier est le seul Sherbrookois du Roi et, par-dessus la marché, a quitté la reine des Cantons à l'âge de 18 ans. Après leur concert, je dois donc me faire guide touristique auprès de Barbotte et d'Olivier Laroche alias Oli Flétan (batterie) dont les GPS mentaux ne gardent qu'une carte sommaire du chemin menant à un dépanneur visité lors de leur dernier passage sur la Wellington – on manque de cigarettes. Je leur impose, pour être franc, ma présence de gentleman; offrir en pâture deux jeunes hommes talentueux et en santé aux loups-garous de la Wellington Sud me vaudrait une accusation d'homicide involontaire – minimum. «C'est vraiment con fumer», lance Flétan à son collègue avec la moins rock'n'roll des désinvoltures. «Ça fait quelque chose à faire quand t'as rien à faire», lui explique Barbotte.

«On est pas des rock star nous, juste des musiciens qui sont allés à l'école», se confesse Barbotte sur le chemin du retour en grillant une Peter Jackson, comme pour se disculper d'une accusation que je ne lui formule pas. Le concert de Xavier Caféine, un rockeur d'expérience à l'éthique de travail irréprochable (pour emprunter au jargon des stentors de CKAC Sports), lui a visiblement secoué les puces, même si le rock de son groupe à lui n'a rien de la dégaine de l'auteur de Tu ne peux pas partir et s'inscrit davantage dans la lignée des Malajube et Karkwa (on y reviendra).

Indica dans la place

Grosse soirée à Sherbrooke pour le Roi Poisson compte tenu de la présence de Marie-Pier Létourneau, relationniste chez Indica qui fait de l'œil à la formation (la maison de disques, pas la fille!) depuis quelque temps et vice-versa. Quoique cela semble surtout préoccuper Laliberté, qui me confie ce soir-là être confiant de voir ses protégés être repêchés par l'étiquette derrière le succès des Trois Accords et de Dobacaracol, tout en évitant de se montrer trop présomptueux. L'acharnement du gérant et la performance de la formation auront donc fini de passer le knock-out: on apprenait le 16 novembre dernier la signature du Roi avec le label grimskunkien.

Je demande il y a quelques jours par courriel à Marie-Pier Létourneau jusqu'à quel point les cartes étaient déjà jouées lors de cette soirée de rentrée des classes. «Franz [Schuller, président] et moi étions allés au lancement de leur disque au Café Campus en avril. Indica les avait dans sa mire depuis ce temps-là. Cependant je n'avais vu le groupe qu'une seule fois live et je voulais être certaine de mes impressions. J'avais été impressionnée la première fois et je trippais, je voulais voir le groupe d'un point de vue critique.»

Point de vue critique que la jeune femme ne ménagera pas, avouant à Jérô Macro entretenir des doutes quant à sa présence scénique pour le moins sobre. Reproche que le chanteur accueille en tirant une bouffée de sa cigarette; on ne lui apprend rien.

Au téléphone la semaine dernière, le vingtenaire s'avouait heureux que les indépendants efforts de ses amis et de son gérant soient enfin récompensés. «Indica c'est une gang qui connaît ça. Ça accélère les choses un label. Ils ont accès à des subventions et à tout plein de trucs qu'un band tout seul ne peut pas obtenir. Tsé, tant qu'à mettre gros du temps là-dedans…»

Pause vestimentaire  

Malajube en est à Porté disparu quand Pierre-Alexandre Poirier-Gay alias P-A Brochet ) pousse la porte menant à la ruelle, paniqué. «Notre look, ça pas d'allure. On est tous dépareillés. Regarde Malajube, ils ont un look d'ensemble. J'ai pas l'air de jouer dans le Roi Poisson», constate le guitariste, aussi membre de Lac Estion avec Charrette et Laroche, en baissant la tête pour se détailler de pied en cap. Leur passage à l'émission Accorde ton look de MusiquePlus aura semé une graine dans l'esprit du musicien, vêtu d'un bermuda et d'un t-shirt de loup, mais pas entièrement produit l'effet escompté. «C'est vrai que t'as plus l'air de jouer de la basse dans Blink-182», lui concèdé-je, baveux.  

Un peu plus tôt, dans un restaurant de la rue King, c'était un signe de tête de Fred De La Foköff, homme à tout faire de la scène locale qui agissait à titre de roadie-vedette pour le Roi ce soir-là, vers la table de Malajube qui avait instruit le propriétaire, surexcité de servir ses burgers à la bande Mineau et à la bande à Caféine, du statut de musiciens de nos jeunes hommes glabres (pour la plupart).

Conseil Du haut de la King pour en jeter comme une rock star du jour au lendemain: cessez de vous laver et demandez à votre gérant de passer votre commande au resto. Comme dirait l'autre, ne me remerciez pas.

Karkwa pas Karkwa

Le Roi Poisson entame Chien galeux, une des meilleures pièces de son album éponyme autoproduit, sur la scène du Granada devant une foule d'un rare enthousiasme face à une première partie. Denis Laliberté décrit à l'oreille de Marie-Pier Létourneau la fierté qu'il l'avait envahie quand les gars lui ont joué la chanson pour la première fois. «Ça ressemble à du Fred Fortin», juge-t-il avant que ne refasse surface la sempiternelle comparaison qui insupporte le gérant. «Ben non, ça ressemble pas mal plus à Karkwa», rétorque Létourneau. Laliberté essuie la remarque qu'il bât en brêche comme si son groupe avait été comparé à Kaïn. «Je suis tanné qu'on compare le Roi Poisson à Karkwa, parce que les gars n'ont jamais vraiment écouté ça pis parce que c'est facile comme comparaison.»

J'interroge Fred De La Foköff via Facebook cette semaine sur la parenté entre le Roi Poisson et le quintet de Louis-Jean Cormier. L'ex-Truands est plutôt d'avis que c'est de l'autre groupe phare de l'indie québécois que le Roi a dans le nez. «Pour l'instant leur parcours me fait penser à celui de Malajube, avant Le Compte Complet. Le Roi Poisson s'amuse avec des compos indie-pop naïves dans les paroles mais quand même un peu prog dans la structure musicale, donc sérieux côté musique, rigolo côté paroles. Ils ont des goûts musicaux très variés ce qui alimente sans cesse leur originalité.»

Vrai qu'avec une chanson comme Mon Robot (triangle amoureux impliquant un robot), le Roi Poisson peut difficilement plaider l'introspection ou l'engagement et dévoile une fascination analogue (invraisemblable?) à celle des pères du Robot sexy.

Le Roi Poisson distille pourtant une écriture sociale (présente également chez Le Citoyen, projet plus acoustique de Jérôme Dupuis-Cloutier), pas tout à fait décantée certes, sur des titres comme Ouvrier (méditation sur le quotidien d'un gagne-petit), Le Con (combinaison de jabs et de punchs contre la société de consommation et l'aliénation), Banni (confidences d'un marginal), Tous les hommes sont pervers (description d'une galerie de personnages dans leur relation à la beauté des femmes – «Tous les hommes sont pervers, pis moi je ne suis pas mieux qu'eux», chante Macro. Il est permis de croire que l'image de bon gars du leader survit à cet aveu grâce à son visage poupon.) Même Croque-mort, la confession candide d'un fossoyeur comblé par son métier, recèle une critique, en sous-texte, de la dictature des stéréotypes. Une chanson dont les conseillers en orientation pourraient tirer quelques leçons, soi dit en passant.

Fais du feu dans la cheminée (je reviens chez nous)

La vannette de location chargée, les musiciens des autres formations salués, le temps est venu de regagner Montréal pour le Roi Poisson; tous les gars attendent les bras croisés le gérant qui avait pourtant bien averti, presque menacé, ses louveteaux qu'il ne veut pas quitter trop tard. N'érigeons cependant pas tout de suite un monument à l'autorité de Denis Laliberté; il n'y a plus de bières dans la loge, ce qui relativise la diligence des gars. 

Les spectateurs sortent en petites grappes du Granada et doivent contourner le véhicule du Roi monté sur le trottoir s'ils veulent rejoindre la rue King. Quelques ados s'arrêtent interloqués devant les musiciens. «C'tait vraiment débile votre show! Pourquoi vous avez pas fait de rappel?» Les gars avaient bien brièvement évoqué l'idée en quittant la scène pour finalement tomber d'accord sur une humble retraite vers la loge, de la judicieuse réserve plus tard louée par leur gérant: «Ça se fait pas pantoute un rappel quand t'es en première partie!» Y a-t-il un éthicien du rock dans la salle?

Nos cinq rois poissons sont éberlués et incrédules devant un jeune cégepien – cheveux longs, t-shirt de Led Zep, baguettes de Francis Mineau dans les mains -, qui louange le groupe qu'il a découvert ce soir. Un nouveau fan, un vrai qui, bien qu'en apparence avide mélomane, n'a rien à voir ni avec l'industrie de la musique, ni avec les médias.  

Létourneau et Laliberté émergent finalement de la noirceur de la ruelle en échangeant des boniments de gens du "milieu". Des jeunes filles obstruent les portes de la vannette. Les musiciens déjà à bord se montrent polis mais demeureront chastes ce soir, prudemment optent pour une entrée progressive, comme à la maternelle, dans le monde du rock.

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Le texte de Matthieu Petit publié lors de la sortie de l'album du Roi Poisson.

Le Roi Poisson célèbre sa signature avec Indica ce soir, 2 décembre, au Divan Orange avec Final Flash.

Le Citoyen, projet parrallèle de Jérôme Dupuis-Cloutier, participe au spectacle bénéfice J'Estrie Aide le 9 décembre, 20h, au Théâtre Granada, et sera le 12 décembre, 20h30, à l'Auberge La Caravane de North Hatley.