«Omaterra se veut un spectacle innovant. Omaterra se veut un spectacle divertissant. Omaterra se veut un spectacle d'envergure.» On l'a beaucoup entendue, hier au Théâtre Granada lors de la présentation du côté artistique du grand spectacle de l'eau, la construction pronominale du verbe vouloir, façon corporate de prétendre quelque chose tout en évitant de passer pour outrecuidant.
Je me voulais déjà sceptique au vestiaire du Théâtre, 15 heures, en apercevant dans le lobby quelques serveuses avenantes, bouteille de vin à la main, circuler parmi les dignitaires-entrepreneurs-partenaires-gens-des-médias-politiciens-maire-Sévigny triés sur le volet (on m'avait malgré tout invité). Sceptique, parce que j'ai appris il y a longtemps à ne jamais sous-estimer l'amour fou des organisateurs de ce genre de pow-wow médiatiques pour les concepts. Dans les bouteilles de vin donc, pas de vin, juste de l'eau. Comme dans Omaterra, le grand spectacle de l'eau. Fallait y penser.
Je me voulais toujours sceptique en entrant dans la salle du Granada. Sherbrooke a-t-elle vraiment besoin de son spectacle à grand déploiement méga-subventionné (4,4 millions provenant d'Ottawa et de Québec), à 43,86$ le billet? Le One Drop de Guy Laliberté n'a-t-il pas épuisé tous les jeux de mots, toutes les métaphores autour du thème de l'eau? Déjà que le communiqué de presse en contenait un débilitant florilège: «Omaterra se lance à l'eau. Omaterra, une éclaboussante aventure d'eau émerge.» Ce n'est pas Stéphane Baillargeon, co-auteur du spectacle, qui allait me soulager. «Je vois que vous avez l'eau à la bouche», n'a-t-il pu s'empêcher de remarquer avec beaucoup d'à-propos en débutant la présentation. C'est que Stéphane, on ne nous a pas donné le choix!
Je me voulais encore sceptique lorsque la contorsionniste Mercedes Chénard, jeune femme vaposeuse vêtue d'une robe turquoise anne-marielosiquesque, a laissé choir son boa noir au centre de la scène pour se disloquer un bras, puis une jambe, illustrant chacune des affirmations du emcee Baillargeon en s'entortillant les membres. «C'est un spectacle renversant» = contorsion arrière. On a vite fait le tour. D'autant plus sceptique en apprenant que Chénard, si j'ai bien compris, ne participera pas à Omaterra. En réalité, même s'il s'agissait hier du dévoilement du côté artistique de la production, un certain flou (artistique) persiste. La distribution n'a pas encore été assemblée, pour des raisons contractuelles a-t-on expliqué.
Ce que l'on sait: il y aura des clowns, des acrobates, des acrobates-danseuses, quatorze acteurs en tout. Je serais bien embêté de vous raconter la prémisse de l'histoire. Ce qui est clair: le spectacle débute par une goutte d'eau qui tombe; les deux personnages principaux, Ti-Guy-Robe-de-Chambre et mademoiselle Lunettes, seront emportés par un torrent d'eau aux quatre coins du monde et, pour reprendre les mots de la metteure en scène Lysanne Gallant, «l'eau sera au cœur de la mise en scène, le moteur de l'action.» En gros, il va y avoir de l'eau.
Des clowns, des jeux de mots dignes de Guy Mongrain, de l'eau dans des bouteilles de vin; rien pour dissiper ma mauvaise foi. Mon dernier espoir résidait dans la personne de Pierre-Yves Bernard, co-auteur d'Omaterra, pour qui je ne pourrais avoir plus d'estime. Il serait surprenant qu'après avoir écrit l'une des plus novatrices et bouleversantes séries (Minuit, le soir) et l'une des plus délirantes émissions pour ados (Dans une galaxie près de chez vous) de l'histoire de la télévision québécoise, l'homme s'associe à un éléphant blanc.
Monsieur Bernard, je veux bien faire mon bout mais rassurez-moi, dites-moi que votre spectacle ne sera pas aussi pompeusement quétaine que les Légendes fantastiques? «C'est exactement ce qu'on n'a pas voulu faire. On ne voulait pas quelque chose de didactique, de pédagogique. Le thème de l'eau on le connaît, tout le monde sait que c'est une ressource fragile, ça sert à rien de revenir avec le même message. On n'est pas moraliste pantoute, on niaise même un peu sur ce thème-là. C'est vraiment une comédie grand public, on va beaucoup rire. C'est un show très moderne en fait, on n'est pas dans le folklore, nos racines, les premiers colons. C'est une histoire urbaine. Ce ne sera pas une troupe de ballet jazz locale déguisée en castor qui font des gigues sur le stage.»
L'auteur m'a ensuite juré que la surenchère de jeux de mots et de figures de style éculées ne demeurera que l'apanage de la promotion du spectacle.
Bon joueur, Du Haut de la King s'engage ainsi à ne plus écrire de commentaires désobligeants au sujet d'Omaterra d'ici la première, le mercredi 7 juillet, place Nikitotek. Je m'en remets entièrement à Pierre-Yves Bernard. Et après tout, je m'imagine bien téléphoner à ma grand-mère cet été: «Cora, as-tu vu l'annonce à la télé pour le spectacle de l'eau? Ça te tente-tu de venir avec moi? Ça va être le fun!» Ne manquerait plus que nous montions à bord de l'Orford Express pour que les promoteurs de Cité des rivières (derrière la production) remportent leur pari, soit de faire d'Omaterra un «produit d'appel touristique.»
Moratoire et mea-culpa; j'avais sous-estimer le talent des organisateurs de ce genre de pow-wow médiatiques pour arrimer le service du nécessaire vin, que l'on nous a finalement offert, à n'importe quel concept. Le mot de la fin revient au propriétaire du vignoble La Halte des Pèlerins, partenaire du spectacle, le seul à m'avoir soutiré un éclat de rire sincère avec à sa référence évangélique. «Avec Omaterra, la Halte des Pèlerins transforme l'eau en vin.» Alléluia!