BloguesDu haut de la King

Kate Ryan: Ça m’énerve? (Dans l’accotement)

Paul Piché soit loué, nous savons depuis 2007 que ce que la mode a enterré finit toujours un jour ou l'autre par refaire surface. Pour le meilleur (les leggings, la guitare-piano, Mickey Rourke) et pour le pire (les leggings, la guitare-piano, le visage de Mickey Rourke).

Tout, tout, tout, même l'eurodance, genre musical presque aussi agréable, à l'instar du hair metal ou du reggaeton, qu'une séance de waterboarding. Un genre quand même capable d'inspirer des mouvements de danse de tête très cool (What is Love? de Haddaway), mais qui la plupart du temps fait passer les exactions de Pol Pot pour de bénins mauvais coups de potaches (Cotton Eye Joe par Rednex, Scatman par Scatman John). Au bataillon des régénérateurs actuels du genre, je retiens les suaves Cascada (le cas classique de la jolie blonde derrière laquelle se cachent deux fantomatiques réalisateurs), le faux-nouveau riche name-dropper allemand Helmut Fritz (le cas classique de la curiosité amusante, de la blague qui dure un peu trop longtemps, du novelty act) et la longiligne Kate Ryan (le cas classique de l'artiste chantant dans une langue qu'elle ne maîtrise pas). Belge néérlandophone originaire de Tessenderlo, la grande blonde œuvre sur disques depuis 2001, en anglais, mais ne s'est fait connaître au Québec que l'an dernier avec à sa reprise dance du succès de Michel Berger et France Gall Ella, elle l'a (existe-t-il plus bel hommage à Elle Fitzgerald qu'un rythme à 160 BPM?) et du succès proto-eurodance des années 80 de Desireless Voyage Voyage, tous deux disponibles sur son album French Connection.

Je me rendais au Théâtre Granada jeudi soir dernier voir de quoi il en retournerait sur scène, dans la vraie vie, précisément parce que, dans le vidéoclip de Ella, elle l'a, Kate Ryan ne semble pas appartenir à la vraie vie, trouble, donne le tournis en devenant tour à tour hôtesse de l'air, passagère, pilote, si bien que l'on finit par ne plus distinguer Kate-Ryan-la-chanteuse parmi tous ces avatars. Une inquiétante étrangeté nourrie par le français phonétique qu'elle emploie pour chanter ses reprises, un mouvement de hanche s'apparentant à un appel à des violences rituelles et une surcharge de bling-bling typiquement eurotrash. Kate Ryan demeurait à mes yeux un concept plus qu'une réalité.

Première partie d'outre-tombe

Les jeunes filles du vestiaire n'en croient pas leurs oreilles, toutes stupéfaites qu'elles sont d'avoir toujours en mémoire les refrains de Give it up et de This is the night (un trop hâtif hommage à Culture Beat), vieux hits qu'entonne en première partie Jacynthe, créature britneyspearsienne québécoise revenue des années 90, aussi bien dire d'outre-tombe. Qu'à fait Jacynthe pendant cette longue absence? Vendeuse chez Chaussures Pitt, caissière chez IGA, infirmière-auxiliaire? On ne le saura pas, et il sera très vite patent qu'il y a peu de choses plus sinistre qu'une has-been n'ayant jamais tout à fait atteint le statut de vedette. Sur scène, la midinette, bien que vêtue comme dans une pub d'American Apparel, évoque l'entêtement de Gaétan Hart.

Jacynthe invite à un certain moment son batteur à faire un solo, un choix surprenant pour deux raisons :

1. un solo (surtout de batterie) en première partie est un manque de tact;

2. il s'agit d'un spectacle de Jacynthe.

Mais ce sera peut-être le meilleur deux minutes de toute cette soirée; le solo me décroche la mâchoire. Je conclus que les dieux de la musique compense des années de pratique dans le sous-sol parental en offrant au musicien l'occasion de voir chaque soir Jacynthe se dandiner devant lui. Pas pire récompense. «La prochaine chanson, c'est mon nouveau single. The next song is my new single. Ça s'appelle L'EspionL'Espion, comme dans… une reprise dance de la chanson de Pag! J'essaie de réprimer mon rire avant que l'on me remarque.

Aussi auteure-compositrice-interprète

Beaucoup d'enfants, un couple d'Asiatiques, un sosie du docteur Barrette, un homme d'une cinquantaine d'année avec un t-shirt de la FTQ et nombre de gars à la traîne de leurs blondes attendent Kate Ryan avec l'enthousiasme mitigé de ceux qui ont gagné leurs billets à CKOY FM.

Un claviériste identique à un membre de Kraftwerk, un autre qui pourrait crédiblement interpréter Peter Hook dans un groupe-hommage à New Order, un batteur (sur batterie électronique) identique à Moby et une choriste du genre Marie-Hélène Thibert précèdent enfin la vedette, qui se pointe sur scène habillée de bottes noires, de bas résille, d'un body rose et coiffée d'une voilette piquée chez Lady Gaga.  

Sous un mur en béton armé de claviers, Kate Ryan envoie Babacar (une autre reprise de France Gall) dans un micro recouvert de brillantine puis éparpille ses hits (au nombre de trois ou quatre, tout dépendant de la perspective de chaque spectateur), qu'elle entrecoupe de pièces en anglais issues de précédents albums, dont sa chanson préférée, «qu'elle a elle-même composée» prend-elle soin de faire savoir un brin ostentatoirement. Le proverbial leitmotiv de la pop star: «je ne suis pas seulement une chanteuse dans un body rose, je suis aussi une "vraie artiste".»

Moment bizarre parmi tant d'autre: nous avons droit à un autre solo de batterie pendant que je fouille ma mémoire à la recherche de la dernière fois que j'ai vu un solo de batterie électronique. Résultat: aucun fichier trouvé.

Agaçant body 

À l'évidence, Kate Ryan est donc une personne réelle (en chair et en os diraient les ratoureux). Le spectacle s'avère malgré tout aussi troublant que son vidéoclip, surtout parce la chanteuse est vêtue comme une striptiseuse en début de routine, c'est-à-dire très peu. La pop star dévêtue-aguicheuse, un trope contre lequel je ne m'élèverai pas ici et qui, en fait, ne m'empêche pas de dormir, mais qui m'apparaît moins obscène dans un grand amphithéâtre, lorsque émoussé par la distance séparant ladite pop star de son public. Au Théâtre Granada, le public est pratiquement accoudé sur la scène et dévore du regard Kate, mal à l'aise lorsqu'elle doit, entre chaque chanson, tirer sur le haut de son body afin d'éviter un épisode de «mauvais fonctionnement de garde-robe». Agacement qu'elle refoule vite; il faut offrir son sourire Pepsodent aux quelques cellulaires qui se braquent sur elle.

La choriste Vanessa, en retrait dans une robe noire simple, belle fille un peu boulotte, n'avait pas, elle, à se faire prier pour sourire. Le sourire du pur plaisir de chanter me permets-je de dire, l'ayant observée durant la moitié du concert. Je pensais à Vanessa en rentrant chez moi, je l'imaginais chanter dans un piano bar de Tessenderlo – je n'ai aucune idée s'il y a des piano bars à Tessenderlo, pas plus qu'en Belgique-, du Ella Fitzgerald tiens. Avec ce tout petit supplément d'âme, cet indéfinissable charme, qui font cruellement défaut à sa patronne. Et ça me faisait sourire à mon tour.