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FICG: Lisa LeBlanc, belle comme un feu de forêt

Autre signe que l'industrie musicale traverse une crise, j'étais invité samedi dernier à faire partie du jury de la Grande finale du Festival international de la chanson de Granby, 42e édition. Rassurez-vous tout de suite, mon bon goût était dilué parmi celui de 55 autres artistes, journalistes, directeurs de festivals et employés de compagnies de disques, alias "les dévoués gens de l'industrie."

Contrairement à Francis Hébert qui, il y a quelques années, était sorti de là complètement dépité, j'ai passé un bon moment au Palace, downtown Princesse des Cantons, principalement parce que c'est MA candidate qui est repartie avec le magot – faut croire qu'elle devait être LA candidate de la majorité. Elle s'appelle Lisa LeBlanc, chante dans une langue verte (trash, sans la connotation négative) qui tient à la fois du chiac de Marie-Jo Thério et du slang d'une ado s'exprimant sur les interwebs, est un peu boulotte, belle comme un feu de forêt et n'hésite pas à asséner les métaphores les plus cruelles aux gars qui l'ont mal aimée, mal baisée, mal laissée tomber. Que les requins beaux parleurs du Montréal showbiz se le tiennent pour dit.

Originaire de Rosaireville au Nouveau-Brunswick – 40 habitants selon sa nouvelle ambassadrice -, Lisa LeBlanc, 20 ans, mord dans les mots et dans un folk-rock qui ravage tout sur son passage. Quand elle implore un gars de la «câlissez là» et de cesser de faire «son chien en rut» (Calîsse-moi-là, un brûlot qui devrait consoler n'importe quelle fille se débattant avec un invincible-gars-qui-refuse-de-s'engager), la rousse conjugue lasciveté (la voix, les r roulés) et ressentiment (le propos) dans une chanson d'une belle violence, moins univoque que son titre le laisse présumer. Même si elle écrit sur sa page MySpace et se plaît à répéter qu'elle est tannée d'écrire des chansons de fifilles, quand elle rugit «je t'effacerai comme les brouillons de chansons poches que je t'ai écrites», on se dit pourtant «voilà enfin une parole authentiquement féminine», qui refuse la victimisation mais ne s'épargne jamais, héritière de Mara Tremblay et de PJ Harvey. 

On espère fort qu'un Eli Bissonnette (à vue de nez, un des rares représentants de la jeune industrie musicale québécoise présents à la finale de Granby) propose à LeBlanc de joindre son écurie (Grosse Boîte), bientôt bientôt. Elle est la nouvelle chantre des amours qui schlingent comme les vieux sous-vêtements qu'on ne se résout pas à mettre à la poubelle.

Des quatre autres candidats, seul Hôtel Morphée, déjà bien connu dans le circuit des bars du Plateau qui n'existeront bientôt plus et demi-finaliste des dernières Francouvertes, à mon avis, pourra à court terme se faire une place dans l'autobus du showbiz (Laurent Saulnier leur a d'ailleurs remis une invitation pour les prochaines Francofolies). Sa chanteuse, Laurence Nerbonne, a une présence scénique magnétique et l'instrumentation (violons et contrebasse) leur procure un type d'aura que l'on ne croise pas souvent en pop-rock. L'ensemble demeure toutefois emphatique. Chose sûre, comme l'a déjà écrit Olivier Lalande, les fans de Cœur de Pirate devraient aimer.

Même si j'ai eu un certain plaisir puéril à entendre des guitares assourdissantes profaner le cadre très formel de Granby (on se bouchait les oreilles dans la foule), le quatuor Mordicus, de Chicoutimi, ressemblait trop à un groupe hommage aux Bidules, la parodie des Beatles de RBO, pour qu'on puisse le prendre au sérieux. Ou comme j'ai lancé à la journaliste française assise à côté de moi: «Je ne savais pas que Oasis s'était réuni pour le Festival de Granby.»  En matière de rock bleuet façon british, on préfèrait de loin l'ancien projet des gars, The Mockin' Birds. Quand même dommage que Mordicus ait été le seul candidat à faire chou blanc, tous les autres finalistes ayant décroché au moins un prix.

Beaulac, avec son folk d'écorché vif, et King Melrose, avec son énergie digne du Elton John svelte (ou de Gregory Charles, si vous êtes moins gentil), ont bien su plaire à une partie du public. À la question «existe-t-il d'autres Beaulac ou d'autres King Melrose sur le marché québécois?», on ne peut cependant que répondre «oui, et ils sont nombreux». Ne les effaçons pas tout de suite de notre écran radar, on réécoutera plus tard et dans un autre contexte, quand la lumière crue de Lisa LeBlanc aura cessé d'ombrager leurs chansons.