J'écoutais au casque le premier album d'Alexandre Belliard, Piège à con, en faisant mes travaux de philo de cégep. C'était il y a pas si longtemps. J'ai cligné des yeux puis j'étais assis au Boquébière, samedi dernier, pour le concert d'Alexandre Belliard. Le gars avait enregistré deux autres albums depuis (le plus récent, Des fantômes, des étoiles, paru en août et réalisé par Éric Goulet) sans que je m'en rende vraiment compte. Mes cours de philo et mon cégep avait depuis été complétés sans que je m'en rende vraiment compte.
Il n'a pas tellement changé le Alexandre. Accompagné par Dany Placard, à l'aise dans son rôle de sideman, généreux de son trémolo country et de son talent mais pas envahissant, l'auteur-compositeur-interprète transporte toujours le legs trash et incorruptible de Denis Vanier à bout de bras, une photo de la gueule de "décrissé de la vie" du poète «noir de couleurs» collée sur la guitare (j'aurais dû lui demander s'il a entendu la superbe Les Grands labours, mise en musique par Jérôme Dupuis-Cloutier sur son récent album), l'amour de sa blonde, de ses kids (ils sont deux) et de l'eau en bandoulière, le dégaine du gars cool qui le sait trop bien sans en faire un mantra.
Ce qu'il y de plus intrigant chez Belliard est surtout cette façon de chanter la résistance, le combat, la révolution presque (la protest song, Je refuse de grandir, entre autres), quand on sent que ce qu'il le séduit surtout dans ces idées, c'est l'espoir de pouvoir consacrer sa vie strictement à regarder sa blonde et à lui faire l'amour une fois la révolution complétée – on ne sait pas laquelle révolution -, sans se préoccuper de travail et d'argent.
Rares sont les présentations qui améliorent ma compréhension ou qui affutent mon écoute d'une chanson; exception à la règle dans le cas de Et toi et moi, chanson name-dropping de noms de couples mythiques inspirée du poème Les Lèvres ouvertes de Jean-Paul Daoust et écrite pour son amoureuse, dont le refrain ne tient qu'à «Et toi, et moi, et toi, et moi.» Pourquoi risquer ne de pas passer à la légende quand on peut la rejoindre maintenant, tout de suite?
Parlant du couple de Belliard, il était très drôle de l'entendre interrompre un morceau pour rassurer son amoureuse en ad lib: «Oui, c'est pour bientôt le succès», lui-même pas trop convaincu, encore moins convaincant. Pas qu'on ne lui souhaite pas, le succès. C'est qu'on l'aime en réserve de la république (chansonnière) le Belliard, toujours prêt à sauter dans la mêlée du showbiz sans qu'on lui demande de le faire pour autant, et que tout compte fait, il y a infiniment plus de beauté dans cette éternelle promesse à sa blonde qu'il pourrait y en avoir dans l'atteinte effective du succès.
Je suis reparti de la microbrasserie avec son premier recueil de poésie, Tu cours après les pigeons (Poètes de Brousse, 2008). Extrait: «L'érosion du langage», en intégral:
«certains mots ont surgi / en faits marquants / sans plus // j'apprivoiserai juste ceux-là / ne me parle pas les autres / je ne les ai jamais aimés»
Je n'en pense pas moins des chansons de Belliard. Qu'il se contente de nous parler quelques idées folles, quelques sentiments inoxydables, quelques aversions irrépressibles (pour les politiciens patentés et pour les fédéralistes, deux catégories qui se recoupent). On les a déjà apprivoisés, on les a choisis comme tels. Il y en a tant d'autres auxquels on n'adhèrera jamais – du moins l'espère-t-on -, des idées, des sentiments, des aversions.