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Couture et Tardif en Mustang (1ère partie)

Bloguer en tandem, ça se peut? Ben oui. En tout cas, Philippe Couture et Dominic Tardif en font une tentative sous forme de récit autofictionnel écrit à la troisième personne, entre Montréal et Sherbrooke, mais surtout à Sherbrooke. Le narrateur omniscient se permet beaucoup de familiarités, s'inspirant de l'essayiste-romancier-critique-dramaturge-polémiste-grand-papa-gâteau Claude Jasmin, qui a la fâcheuse habitude d'appeler tout le monde par son unique nom de famille dès la première rencontre.

Première partie de l'épopée ci-dessous. La suite sur le blogue Parathéâtre de Philippe Couture.

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14h, via le clavardage facebook

Couture, le prétentieux critique de théâtre montréalais, feignant de ne pas être né dans un village de 2000 âmes ou de ne pas avoir vécu trois ans en région éloignée pour étudier le journalisme, demande à Tardif: «Ça existe, ça, du théâtre en région?» Le journaliste sherbrookois, n'est même pas surpris. Il opte pour la méthode dure et balance le critique dans le premier lift AlloStop disponible. Ça tombe bien, car ce soir les Turcs Gobeurs d'Opium, la troupe la plus «expérimentale» de Sherbrooke, ou à peu près, présentent leur cinquième création, Mustang. «Tu vas voir, dit Tardif en citant une phrase de son propre article dans Voir Estrie, c'est comme du Michel Tremblay injecté aux hormones de la promiscuité. Cest souvent des textes en gros québécois, pis c'est des histoires de famille incestueuse où tout le monde couche ensemble, avec des références constantes à Dieu et au diable.» «C'est ça, pour toi, du théâtre expérimental?», demande le Montréalais dépité. «Ben, ajoute le gars de Sherbrooke, ils travaillerait aussi cette fois-ci une forme de temporalité éclatée, comme si la pièce était un puzzle à reconstruire.» Couture offre un sourire compatissant mais sa mauvaise foi prend le dessus. Dans quoi s'est-il embarqué?

18h16

Le chauffeur de taxi demande à Tardif quel parcours privilégier entre King et Frontenac pour se rendre au restaurant Auguste où Couture et lui sont attendus. «C'est la première fois que ça m'arrive franchement. Habituellement, il fly au centro sans question», avoue l'hôte avant de se lancer dans une petite histoire personnelle du chauffeur de taxi serbe à Sherbrooke. Couture, invité plein de sollicitude, en profite pour envoyer quelques textos.

Question d'attirer le journaliste et le diffuseur montréalais, les Turcs Gobeurs d'Opium les prennent par le ventre cette année en leur offrant la grosse bouffe au resto de Dany Saint-Pierre, la rock star de la gastronomie sherbrookoise. Stratégique. Incorruptible, inattaquable, immarcescible (à déclamer en crescendo), Couture répète qu'il aura beau manger le meilleur cassoulet de sa vie ce soir, son jugement ne s'en verra pas influencé. La droiture du critique de théâtre montréalais bouleverse le Sherbrookois.

Entre deux boules de poutine inversée, Tardif essaie de bien faire comprendre à Couture comment il est souvent pénible – pooooche -, d'aller au théâtre à Sherbrooke, pris entre l'exigüité du Théâtre Léonard-Saint-Laurent (sis au Séminaire de Sherbrooke) aux effluves de gymnase et la vastitude du Centre culturel de l'Université de Sherbrooke aux lénifiants parfums institutionnels.

«Tu vois, par exemple, mardi dernier, je suis allé voir Après la fin. Ça a été monté pour une salle de 100 personnes, il y en avait 1200. Je ne te parle même pas des ados traînés là de force par leur prof qui s'esclaffaient pendant une scène de viol comme s'ils regardaient The Hangover. Si j'avais été Sophie Cadieux, je leur aurais sauté à la gorge. Vrai que ce n'est la faute de personne. Le Centre culturel fait du développement de public – c'est louable-, les profs tentent d'ouvrir les horizons de leurs étudiants – c'est tout aussi louable -, et les étudiants essaient de passer à travers leur adolescence sans donner prise aux idées suicidaires – c'est…l'adolescence. Celui qui écope, à la fin, c'est le simple spectateur de théâtre majeur et vacciné. Disons que lorsque je vais au Théâtre d'Aujourd'hui ou au Quat'Sous, je jubile. Les comédiens sont tellement proches. Pendant Opium 37, j'étais plus près de Muriel Dutil que si j'étais allé manger avec elle. En même temps, je chiale souvent juste pour chialer, si tu ne t'en es pas encore rendu compte, je pense que tu devrais renoncer tout de suite à faire carrière en journalisme. La semaine d'avant, j'ai vu Abraham Lincoln va au théâtre et les kids se la sont fermés. En passant, toi, Sophie Cadieux, tu dois déjà l'avoir croisée dans la vraie vie. Es-tu aussi cute qu'à Bazzo avec ses lunettes d'intello? De la rangée J, c'était dur à évaluer.»

«Sophie est exquise», répond Couture. «En plus, elle ne m'en veut même pas d'avoir très durement critiqué la dernière création collective qu'elle a commise avec sa compagnie, le Théâtre de la Banquette Arrière, un spectacle pas mal échevelé que je n'ai pas pu épargner. Ou bien elle ne me le fait pas sentir et continue de me sourire gentiment quand on se croise. Un peu comme sur ces photos-là, dans le magazine Pure. Regarde comme elle est resplendissante quand elle joue les beautés "underground" sur papier glacé. Mais t'as aucune chance Tardif, à ce qu'on me dit, elle est follement amoureuse. Pis, as-tu vu l'état de délabrement de ton appart? Tu ne fais pas le poids.»

Tardif essaie de cacher sa tristesse sans perdre sa contenance et poursuit sa cahoteuse présentation des salles de Sherbroooke. «Sinon, à Léonard-Saint-Laurent, où les troupes locales montent leurs shows, à ce que j'en sais, c'est pas le gros luxe pour les créateurs. L'équipement a été rapaillé sur les décombres de l'incendie d'une autre salle – me semble en tout cas. Et il n'y a pas de programmation, pas vraiment d'abonnement. Pas de bar, comme dans les théâtres montréalais, non plus. Tu sais mieux que moi qu'il y a des pièces qui bénéficient d'un verre de vino ou d'un gin-tonic préalable…»

20h12

Après avoir quitté le restaurant en trombe, Couture et Tardif joggent jusqu'au Théâtre Léonard-Saint-Laurent. Tardif regrette de ne pas avoir le temps de livrer son éloge des artistes de Sherbrooke en passant devant la murale qui leur rend hommage sur la rue Frontenac. Celle sur laquelle Garou est représenté avec un col roulé beige, aussi probable que Jim Corcoran en pantalon de cuir.

Enfin arrivés, les deux jeunes hommes doivent demander à la gentille placière de leur permettre d'accéder à des sièges qui avaient été condamnés; les autres sont tous occupés. Couture raconte à Tardif qu'à Montréal, lors des premières, des sièges sont souvent assignés aux critiques et qu'il se fait parfois toiser par les autres spectateurs lorsqu'il se prévaut de ce privilège. Sur un ton pincé, traînant: «Jeune homme, ces sièges sont réservés pour les critiques de thiiiiiâtre.» Damnée baby face.

André Gélineau, auteur et metteur en scène des Turcs, prend enfin la parole pour les avertissements d'usage. «Nous vous demandons d'éteindre cellulaires ou tout autre appareil susceptibles d'émettre du bruit.» Tardif: «C'est drôle, il y a des messages enregistrés dans certaines salles qui demandent aux spectateurs d'éteindre leur pagette. Déjà que je doute qu'il y ait des gens qui possèdent toujours des pagettes, je doute encore plus – préjugé, je te le concède -, que ces sclérosés technologiques-là fréquentent souvent le théâtre. Je les imagine plus dans un pawnshop…»

[Note du narrateur: Dominic Tardif n'a pas véritablement employé l'expression «sclérosés technologiques» lors de sa conversation avec Philippe Couture au Théâtre Léonard-Saint-Laurent le 4 novembre dernier. C'est à sa demande expresse qu'elle fut ajoutée à cette reconstitution dramatique.]

Fermeture des lumières. Bang!!! Deux mégas réflecteurs, genre agricoles, aveuglent la foule, saisie. Collision sur la Transtaïga.

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Suite et fin sur le blogue Parathéâtre de Philippe Couture.

Critique de Mustang par Matthieu Petit ici.