Voici une entrevue réalisée cet été et qui, pour de multiples raisons (on vous épargne les détails scrabreux), n'avait pas pu alors être publiée. Nous profitons du passage des Respectables, avec qui Steve Hill fait gémir sa six cordes en remplacement de son ami Johnny Flash, pour la mettre en ligne. Le 26 novembre à 20h30 au Vieux Clocher de Magog.
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Steve Hill foutait le feu à la Fête du lac des Nations samedi dernier (le 17 juillet 2010). Accompagné de ses Majestiks tout de denim vêtus, il poussait dans ses derniers retranchements le festivalier à bermuda blanc qui, gagné par la puissance des solos du rockeur, ne pouvait plus se retenir et dû esquisser quelques mouvements de air guitar, au grand dam de madame qui ne soupçonnait pas un tel animal en "minou".
Après une version d'anthologie, bourbeuse et criante, de Won't get fooled again – qui aurait fait rougir les Daltrey et Townshend du dernier Superbowl -, le héros guitaristique trifluvien regagnait la scène avec Éric Lapointe, le manteau en jeans ouvert sur un torse nu (comme quoi le rock'n'roll est toujours affaire d'énergie sexuelle), ce qui allait inspirer à «celui à qui les cocus parlent avec leur poing » lors de la présentation des musiciens un: «le beau bonhomme de la gang, Steve Hill!»
J'avais échangé quelques mots avec lui au téléphone durant la semaine précédant son passage en ville. «On peut faire l'entrevue n'importe quand, pour vu que ce soit pas trop tôt le matin», m'avait-il écrit par courriel. C'était de bon augure.
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DHDLK: J'ai ressorti pour les fins de notre discussion ton troisième album, Domino, paru en 2002 sur Audiogram, une des plus importantes étiquettes de disques au Québec. Le suivant, Devil at my heels, a été lancé en 2007, de façon indépendante. Que s'est-il passé? As-tu rencontré des problèmes avec la grosse machine?
Steve Hill: «C'est un bon label Audiogram, mais ce n'était pas le bon label pour moi. J'avais signé avec eux parce que j'étais avec Spectra pour le booking. C'est un bon label pour la musique francophone. Après ça, j'ai joué avec Pag, j'ai fait à peu près trois albums qui ne sont jamais sortis avant Devil at my heels. Je te dirais que huit mois après la sortie de Domino, j'avais deux albums de près, j'ai taponné sur d'autres tounes, il y a eu des gros changements de business, de band. La tournée avec Pag a été plus longue que prévu. Après ça, c'était difficile, il n'y avait pas vraiment de label qui voulait me signer, c'est pour ça que je l'ai sorti indépendant.»
Comment réagissaient les patrons de maisons de disques quand tu leur soumettais les maquettes de Devil at my hells, résolument plus rock que tes trois précédents albums?
«Écoute, par exemple, quelqu'un de super bien placé a voulu me signer dès qu'il a entendu ça, mais la personne en haut de la compagnie de disques, pour elle, c'était du heavy métal. Les autres compagnies, ce n'était pas leur tasse de thé. J'avais des offres pour faire des albums de blues ou à la Santana, avec des artistes invités; ce n'était pas ce que je voulais. Je savais où je m'en allais, je voulais faire mes tounes, fallait juste que je suive mon cœur.»
Je me souviens t'avoir vu en concert au festival Victo en blues, l'été précédent la parution de Domino. Mes chums et moi avions été totalement jetés par terre par ta fougue, le volume auquel tu jouais. Tu avais fait la première chanson – totalement improbable -, au theremin. En partant, on achète ton album, Call it what you will, on met ça dans le lecteur cd de l'auto et on ne reconnaît pas le même guitariste. C'était du pur blues. Comment t'expliques ce changement de cap?
«Le gars se cherche souvent! [rires] Ça tout le temps été assez électrique, mais j'étais plus dans le blues sur mes deux premiers albums. Une couple d'années avant le premier album, ça rockait pas mal en show. Pendant le bout de Call it what you will, j'étais vraiment dans un trip old style puriste, c'est ça je voulais faire, je l'ait faite, fallait ça sorte de mon système. Domino, c'est arrivé parce que j'ai commencé à m'équiper chez nous, avec mon studio. Ça a changé ben des affaires, je pouvais expérimenter. Pour l'écriture des tounes, ça a beaucoup aidé. En ce qui concerne la direction musicale, j'avais passé mon trip de blues puriste, j'étais dans plein plein d'autres buzzs, autant les Temptations psychédélique, les Beach Boys, Pet Sounds, Smile, j'avais recommencé à écouter du Pink Floyd, plus de rock.
C'est pour ça que tu remercies Brian Wilson dans la pochette?
«Ouais, c'était une grosse influence. En même temps, Domino, c'est un espèce de buzz, je ne sais pas trop c'est quoi, ce n'étais pas encore du rock vraiment, ça passait par plein de places.»
Comment le public blues a-t-il réagi quand tu as lancé Domino, sur lequel tu intégrais des boucles, des éléments électroniques, sur lequel tu chantais en français, puis quand tu as lancé le très rentre-dedans Devil at my heels?
«À mon deuxième album, il y en a qui chialaient parce que c'était différent du premier, quand j'ai sorti Domino, c'était moins blues mais la compagnie de disques me vendait comme si c'en était, donc les gens qui l'achetaient en pensant que c'était du blues étaient déçus et le public que ça aurait intéressé ne l'a peut-être pas su. Ç'a tout le temps été de même. Devil at my heels, c'est la même affaire. Le public qui ne m'avait pas suivi pendant les cinq ans de shows entre les deux albums a été surpris, mais les autres avaient déjà entendu l'évolution.»
Tu as souvent changé de musiciens accompagnateurs. Tu as tantôt joué avec des musiciens issus de la scène blues (Bob Stagg, Heavy T), tantôt avec des musiciens de pop (Alain Bergé, Jean-François Lemieux), pour finalement trouver une stabilité sur Devil at my heels avec Roch Laroche (basse) et Martin Lavallée (batterie). Qu'est-ce que tu as reconnu chez eux que tu cherchais tout ce temps-là?
«Roch Laroche, écoute, c'est le premier bassiste avec qui j'ai joué de ma vie. On a joué ensemble de 14 à 19 ans. Martin, lui, était dans les Junkyard Dogs, un band dont j'ai réalisé l'album en 2002. Mon trip plus rock, ça a ressorti avec eux, je les avais envoyé dans cette direction-là. Martin, j'ai toujours trouvé que c'était un maudit bon batteur. Pour la deuxième partie de la tournée Domino, j'avais pris les Junkyard Dogs comme band. Après ça, je suis tombé avec Pag, on avait besoin d'un batteur, on a embarqué Martin, on avait besoin d'un bassiste, j'ai rappelé mon vieux chum Roch avec qui ça faisait 10 ans que je n'avais pas joué. Je me suis mis à faire mes propres shows avec eux-autres. C'était ben cool parce que là, j'étais finalement avec des chums, on avait une super unité. Martin est parti avec Mobile. Sam Harrison, qui était avec moi de 1994 à 2000, le remplace. Je travaille avec des chums le plus possible.»
C'est donc Harrison, Laroche et le guitariste Johnny Flash qui forment les Majestiks, le groupe avec qui tu as enregistré ton plus récent album, The Damage Done, et qui t'accompagnent en tournée?
«Flash est rendu à Vegas avec le Cirque du Soleil. Là, c'est Richard Boisvert (ex-Junkyard Dogs, ex-Nitrosonique) qui joue avec nous. J'ai une super complicité avec lui. Flash, c'est la même affaire, il avait fait des shows avec moé dans le temps, parfois même sur les drums. C'est un de mes grands chums, les Majestiks au départ, c'était un side project à nous deux. Un buzz qu'on voulait se faire moé pis Flash. Ça s'appelle Steve Hill and The Majestiks parce que la compagnie de disques exigeait de mettre mon nom pour nous signer. On a fait ça en cinq jours. Le but, c'était de faire un album live, un band ensemble, comme ils faisaient dans le temps. C'est la session la plus tripante que j'ai faite de ma vie.»
Quand tu parles d'un album live, c'est donc dire que tout le monde jouait ensemble, sans ajout de pistes par la suite, sans overdub?
«À part les vocals, tout le reste est live. On a enregistré pas de clic track, pas d'headphones, il y a même quatre tounes qui ont été écrites en studio. On n'avait jamais joués les quatre gars ensemble mais c'est tous du monde avec qui j'avais joué souvent. On est rentrés en studio, je montrais les tounes aux gars, on jammait, on enregistrait trois tounes par jour.»
C'est comment de jouer avec un deuxième guitariste en studio et sur scène?
«J'aime ben ça. Sur Devil at my heels, on était en trio, j'étais donc le seul guitariste, mais il y a ben ben des tracks de guitares. Je trouve ça cool de jouer avec un autre guitariste quand il y a une bonne complicité, quand c'est deux gars qui viennent de la même école. Ce qu'on essaie de faire, c'est une seule partition avec deux guitares. Tu vois, je joue pas mal ces temps-ci avec les Respectables. Seb Plante, le chanteur c'est un super bon rythm guitar aussi.»
Comment tu fais justement pour doser ton apport aux chansons sur scène quand tu agis comme musicien invité, avec les Respectacles, Éric Lapointe ou Pag?
«Moé, je fais mon affaire. Ceux qui me callent savent c'est quoi je fais. C'est sûr que je n'irai pas me câlisser entre le chanteur et son micro, mais quand c'est mon tour, je fais ma patente. J'aime que ça me permette de travailler tout le temps. Normalement, si tu as juste un projet au Québec, tu vas peut-être faire cinquante shows par année. Moé, j'en fais cent-ving-cinq. Il y en a qui aiment ben faire leurs gigs vendredi-samedi, prendre ça relax le reste du temps. Moé, regarde, tu me crisses dans une van pendant deux mois, je vais être ben content. J'essaie de jouer le plus possible et je suis content parce que j'ai des chums qui ont besoin de mes services. Je joue avec Lapointe, j'ai joué avec Pag, Zachary Richard, dans mes premières années à Montréal, je jouais avec Bob Harrison, Jim Zeller, Carl Tremblay, France D'Amour. C'est cool en général.»
Depuis quelques années, tu collabores étroitement avec Éric Lapointe, tu composes avec lui et tu te joins à ses musiciens en tournée au gré de ton horaire personnel. Lapointe ayant déjà deux guitaristes à bord (Myc Myette et Deno Amodeo), comment approches-tu le jeu à trois? C'est une configuration assez rare.
«On se splitte la job, moé je trouve ça ben cool. J'aime ça faire du rythm guitar, je n'ai pas besoin de faire du lead dans chacune des tounes. Chacun a ses forces, pis c'est ben rare que l'on joue les trois en même temps. Ce qui le fun là-dedans, c'est d'essayer de trouver la part qui complète celle de l'autre, de ne pas pas piler sur les pieds des autres pour qu'en bout de ligne, le spectateur entende quelque chose de vraiment tripant. C'est sûr que c'est dangereux à trois, si tu joues full à broil tout le long, ça peut être confus un peu. La gang à Lapointe, c'est tous des chums, son équipe technique, c'est la même que la mienne. Bruce Cameron, son claviériste, c'est un de mes grands chums qui a aussi joué sur The Damage Done.
Ton jeu se distingue particulièrement par l'emploi de tes doigts. Quand as-tu cessé d'utiliser un pic?
«Ça fait six ans que j'ai complètement lâché le pic. Plus ça allait, moins je m'en servais. Je faisais les tounes avec les doigts, je pognais le pic seulement pour faire certaines affaires, pour un effet ou dans un solo quand ça devenait intense. J'avais quinze pics de taper sur mon mic stand. Tout l'hiver 2003, j'ai pratiqué beaucoup de slide guitar, six-sept heures par jour, et du slide ça se joue sans pic parce qu'il faut que tu mutes les cordes. Tous les grands guitaristes de slide jouent sans pic. J'en avais tellement joué qu'un jour, pendant un show, j'ai pogné le pic pour un solo et j'avais moins de contrôle, moins de force. Je l'ai crissé par terre et c'est la dernière fois que je m'en suis servi.»
Quelle influence ce choix-là a eu sur ton jeu?
«Les limites que ça m'a imposées m'ont permises de développer de quoi de différent. J'ai dû trouver un moyen de faire un paquet d'affaires différemment. Ça m'a aidé à me développer un langage et un son. Personnellement, je trouve ça plus le fun d'être directement en contact avec les cordes. Il y a plein de façons de les faire sonner; si je prends mon pouce d'une façon, si je prends l'index, etc. Les années après Domino, quand je jouais avec Pag, j'avais switché sur des Gibson, des Marshall, de l'équipement plus rock, je voulais vraiment jouer de la guitare rock, mais avec les doigts. Le show de Pag a été très bon pour développer ça parce que j'avais beaucoup de la place. Ça m'a donné le temps de former mon style.»
Parle-moi du concert que tu as fait avec Pag au Centre Bell, en première partie d'April Wine et Offenbach. Vous leur aviez totalement volé la vedette…
«Ça avait ben été, oui, on était rodés. Pag était pas mal content, soulagé, parce qu'arriver avec nous autres, une gang de jeunes, tous des chums, trois mottés qui trippent sur la musique, tsé… Ça a donné un bon kick à Pag. On n'était pas là pour le chèque. Il y en a ben des musiciens qui sont là juste pour la paie pis qui s'en câlissent. Moé, je ne veux plus travailler avec du monde de même, ça ne m'intéresse pas, ça fuck la vibe complètement. Je veux travailler avec du monde qui sont là pour les bonnes raisons: pour donner un bon show, pour triper ensemble, pour l'amour de la musique. »
Autre collaboration marquante, pour des raisons différentes, celle avec Jean Leloup. Tu l'as accompagné lors de son controversé concert au Colisée de Québec. Pourquoi ne pas avoir récidivé?
«J'ai passé un été de temps en studio avec Jean avant de faire le show. On a tapé plein d'affaires, mais finalement son album, c'était autre chose. Écoute, j'ai énormément de respect pour Jean, j'ai appris beaucoup, mais son côté imprévisible, autant ça peut être créativement super tripant, autant ça a ses inconvénients, comme on a pu voir au show. Il y a plein de monde qui ont trippé pareil à ce show-là mais moi, j'en ai fait un, après Jean avait un autre band. Jean change tout le temps de musiciens de toute façon, c'est correct. J'avais mes affaires à faire.»
Est-ce qu'il y a un danger à être virtuose, à être engagé parce qu'on en met plein la gueule?
«Tu ne peux pas te fier juste sur ça. Ce n'est pas comme ça que tu écris des tounes. Moi, je ne passe pas la plupart de mon temps chez nous à jouer de la guitare électrique. Je passe plus de temps à écrire, à lire, à jouer de la guitare acoustique – do, fa, sol -, pour écrire des tounes. C'est un côté de moi, le guitariste lead, mais j'aime ça chanter, j'aime ça écrire des tounes. Pour moi, c'est toute la même patente. Quand j'arrive et que je suis juste guitariste, il n'y a aucun stress, c'est presque une journée de vacances, mais je ne pourrais pas faire que ça, j'ai besoin de la drive d'écrire des tounes et de chanter dans mes shows.»
C'est vrai que l'on occulte souvent le fait que tu chantes. Il me semble que tu es plus à l'aise, que tu es meilleur chanteur aujourd'hui qu'à l'époque…
«Écoute, mon premier album et écoute le dernier, ça n'a rien à voir. Je suis ben content maintenant. Sur mes premiers albums, je n'aimais pas ma voix. Comme n'importe quoi, ça se travaille.»
Avec du whisky et de la bière?
«[Rires]. Non, c'est pas le whiskey pis la bière.»
Donc, on ne le conseille pas aux jeunes chanteurs-guitaristes?
«Je ne sais pas ce que serait ma voix sans le whisky pis la bière, mais je ne pense pas que c'est ça. J'ai toujours voulu avoir une voix rauque. Quand j'étais jeune, je ne l'avais pas et là, même si je ne veux pas l'avoir, je l'ai.»
Est-ce que tu te considères comme un shredder (étiquette dont on affuble les guitaristes jouant plus vite que l'éclair)? Es-tu un amateur de ce genre de musiciens?
«Je n'écoute pas ça, je n'écoute jamais de musique instrumentale, pas vraiment de musique à lead guitar non plus. J'aime les années 70, j'ai commencé avec Zeppelin, les Who, les Stones, Cream, Hendrix. À un moment donné, j'ai découvert d'autres affaires, comme Humble Pie, les Faces, les Small Faces. Mon idole, c'est Steve Marriott [The Small Faces, Humble Pie], c'est mon chanteur préféré, il est hallucinant. J'aime aussi Greg Allman, Ray Charles, Bon Scott. Je ne pourrais pas écouter un disque où la guitare est super bonne mais où le vocal ne me fait pas triper. Pour moi, un solo de guitare, c'est le icing on the cake. Ce qui est important, c'est la toune et la vibe qu'elle installe.»
Puisque tu parles des années 70, tu inclus presque toujours une reprise d'un classique du rock dans tes concerts, et tu ne choisis pas les plus simples: Won't get fooled again des Who, Iron man de Black Sabbath, Stone cold crazy de Queen, au point ou l'on se demande parfois si tu vas te rendre jusqu'au bout? Quel genre de défi ça représente?
«Écoute, ce n'est pas un défi pantoute, c'est le genre d'affaires qu'on regarde au soundcheck et qu'on fait le soir même. La première fois que j'ai entendu Won't get fooled again, j'avais 12 ans, et je l'écoute encore gros. Je n'ai jamais eu besoin de la pratiquer. Iron man, même affaire. C'est des tounes avec lesquelles j'ai toujours vécu.»