Première journée de la grande liquidation de fin d'année Du haut de la King. Au menu dans les prochains jours: entrevue, palmarès, portrait, rattrapage, etc. Tout doit sortir de nos voûtes, afin de débuter 2011 en neuf. Aujourd'hui, l'homme derrière deux des meilleurs concerts de l'année à Sherbrooke, Dumas.
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Dumas bouclait la boucle il y a quelques semaines au Vieux Clocher de l'Université de Sherbrooke en présentant un des derniers concerts de sa tournée Traces. Comme le chanteur en costard m'avait accordé un généreux entretien en janvier dernier, alors qu'il débutait sa chevauchée québécoise au même endroit, je lui ai proposé de dresser un petit bilan informel en après-midi.
Rejoignons-le dans sa loge.
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DHDLK: La dernière fois qu'on s'est vus, c'était en janvier, tu débutais ta tournée à Sherbrooke. Tu as donné 60-70 shows depuis…
Dumas: «On a fait une tournée plus compacte que la précédente. On a franchi le cap des 45 concerts au National, Joce (Jocelyn Tellier, son guitariste) a fait une marque sur le mur de la loge pour chacun d'eux. En février-mars-avril, on faisait trois-quatre shows par semaine. Soixante shows, c'est plus court que Fixer le temps. Je suis content de finir, parce que je veux faire un autre genre de show après les Fêtes, plus acoustique. Un truc plus intime, comme j'avais fait avec mon show solo, mais avec les musiciens cette fois-ci.»
Les faits saillants de la tournée?
[Il réfléchit.] «Quand je suis tombé en bas de la scène à Sherbrooke.» [Rires]
Il a failli ne pas avoir de tournée donc…
«Je ne me suis pas blessé du tout, quand j'y repense c'est weird.»
Est-ce que ton public a beaucoup changé depuis tes débuts?
«Il a vieilli un petit peu. C'est plus mixte, en terme de sexes et d'âges. Je ne sais pas ce qui a amené ça. Peut-être parce que je vieillis moi-aussi. Le projet d'un an en studio a eu son impact, je pense que c'est allé chercher d'autre monde. C'est dur à analyser, mais le public change.»
Donc, tu prépares un concert plus acoustique maintenant?
«Oui, question de jouer dans des petites salles de 100 personnes. J'aimerais aller à Cowansville, dans les petits coins de l'Estrie. Je suis content de faire ce show rock-là, énergique, j'ai vraiment du plaisir, mais j'ai le goût d'essayer autre chose. Je n'avais pas envie de rentrer en studio tout de suite, j'en ai fait pas mal l'année passée. J'aimerais essayer de jouer tout le répertoire des ep (Nord, Rouge, Demain, Au bout du monde), que Joce joue du lapsteel; c'est un sacré maître au lapsteel. J'aimerais me servir de ce show-là pour casser des nouvelles tounes aussi.»
Tu parlais tantôt d'une tournée plus compactée que la précédente, mais là tu reviens à Sherbrooke après quelques semaines sans concert. Question un brin ésotérique: c'est comment en terme de gestion d'énergie? Est-ce plus facile d'en faire plusieurs d'un même élan, une fois lancé?
«Parfois, ça donne des meilleurs shows quand tu es en pause depuis longtemps, parce que c'est plus spontané, mais souvent, j'aime mieux en faire plusieurs de suite, parce que je tombe dans un mood. Mais tu vois, là, ça fait deux semaines que je n'ai pas joué et j'ai hâte.»
Au National de Montréal, les gens sont debout pendant le concert, mais en régions, la plupart des salles sont configurées à l'italienne? Est-ce frustrant?
«Ça prend plus de travail pour faire lever le monde. Je ne fais pas des shows plus smooth à cause des salles cependant. Ça demande plus d'énergie, c'est sûr. Les gens se lèvent, s'assoient…»
Comme à la messe…
«Ouais, exactement. Je fais souvent cette joke-là d'ailleurs.»
Certains artistes à peu près au même stade que toi dans leur carrière ont déjà lancé un ou des albums live. Le tien est pour quand?
«J'enregistre quasiment tout. On a tous les Métropolis qu'on a fait. Éventuellement, j'aimerais peut-être sortir quelque chose qui pigerait dans toutes les tournées, pour entendre les différences de set-up. Mais en même temps, moi, c'est rare que j'écoute un album ou un dvd live.»
(J'apprends à l'instant qu'un EP de Dumas enregistré au Apple Store est disponible sur iTunes.)
C'est toujours bon de se garder un album live en banque pour finir son contrat de disques de toute façon. D'ailleurs, maintenant que la poussière est retombée, comment tu repenses à la fin de ton contrat avec Tacca (l'ancienne étiquette de Dumas avait mis en marché un best-of au même moment où l'artiste faisait paraître Traces sur La Tribu, décision qu'il avait publiquement regrettée)?
«Le monde des compagnies de disques, c'est complexe, parce que tu commences à travailler avec une personne que tu apprécies et cette personne peut quitter. Chez Tacca, pendant mon contrat, il y a eu quatre-cinq présidents. Inévitablement, tu travailles avec des gens que tu n'as pas choisis. Ça peut être bon, comme ça peut-être mauvais. Tous les artistes ont vécu cette histoire-là, surtout à l'époque des majors. Je suis quelqu'un qui aime les petites équipes. Ça fait 10 ans que je travaille avec La Tribu, d'abord pour le booking, et il y a une stabilité.»
[…]
«Quand j'ai signé en 1999, en 2000, c'était une autre époque. C'était la fin d'une époque, mais c'était quand même une autre époque dans l'industrie. Les contrats étaient différents, plus engageants. Je ne suis pas amer, parce que j'ai quand même eu la chance de commencer jeune. Toute expérience, même si elle est négative, a du bon.»
L'autre fois, au Studio 12 de Cœur de pirate auquel tu étais invité, elle faisait justement remarquer à quel point tu étais jeune quand tu as commencé. As-tu peur de vieillir en tant que créateur, crains-tu que la source se tarisse?
«Plus ou moins, parce que je ne pense pas comme quand j'avais vingt ans. À cet àge-là, tu veux faire ta place dans le milieu. J'avais besoin d'être en avant, ce n'est pas seulement ça qui me motivait, mais quand même… À trente ans, je vois le métier différemment. J'aime beaucoup faire des shows, mais je me dis que, si que ça ne marchait plus Dumas-mon-projet-à-moi, je serais capable de travailler sur les projets des autres avec autant de satisfaction, ce qui a vingt ans n'aurait peut-être pas été possible. Tu es plus orgueilleux quand tu as vingt ans, tu veux la vivre la vie, tu veux tourner au Québec, faire des disques. J'aimerais beaucoup travailler sur des projets parallèles. Le projet des EP ressortait de cet esprit-là; sortir de la trajectoire normale. Ça a finit par être un projet solitaire, mais les tounes aurait pu être chantées par d'autres artistes. Je veux faire de la musique de film…»
[…]
«C'est ça qui est cool est vieillisant – c'est sûr que c'est weird que je dise ça parce que je suis toujours en avant -, tu as moins besoin de la lumière. C'est la grosse différence.»
C'est vrai qu'on imagine bien une Stéphanie Lapointe, par exemple, interpréter du Dumas. Changement de sujet, je t'ai vu tantôt fouiller dans une boîte de vinyles avec Jocelyn, c'est quoi?
«On se dispatchait une collection qu'une gentille madame de Sherbrooke nous a donnée. Elle nous a contactés par Internet et on fouillait pour voir ce qu'il y avait. »
Il y a des bons trucs?
«Oui, beaucoup de disques des années 80, du U2, The Clash, du prog.»
Ta relationniste m'a dit que tu écoutais beaucoup de musique africaine ces temps-ci.
«Je suis vraiment dans un gros buzz d'afrobeat. J'écoute beaucoup de compilations de musique africaine, c'est vrai, du psychédélique du Ghana lancé sur Soundway, le label de David Byrne.»
On s'est croisés cet été au concert des Flaming Lips, tu avais l'air très excité…
«Je ne les avais jamais vus en show! À toutes les fois qu'ils venaient, je n'étais pas en ville. Je suis un fan, je les écoutais déjà dans les années 90, quand c'était totalement autre chose. Je n'avais jamais vu un show avec autant d'interactions avec le public. C'est le chaos total, mais le chaos contrôlé, c'est tout le temps sur la ligne. Le côté artisanal est admirable; c'est Wayne Coyne qui fabrique tous les décors dans sa cour. Quand il est arrivé sur scène pour parler, j'étais déçu, je me suis dit: "ah, il ne sortira pas sa grosse boule dans laquelle il marche sur la foule", mais finalement il venait juste prévenir les gens au premier rang qu'il allait arriver dans sa boule.»
On s'est aussi croisés au Osheaga. Pardonne-moi d'ailleurs, j'étais somnolent quand on a jasé, je venais de faire un roupillon dans l'herbe. Tes moments marquants?
«Jimmy Cliff, super bon, il est en shape! Je suis allé voir The Black Keys, j'ai vraiment aimé l'album Brothers.»
Tu as choisi Devo ou Weezer le dimanche soir?
«Je suis allé voir Weezer par nostalgie. Dans les années 90, c'était mon band. J'ai appris à jouer de la guitare sur l'album bleu quand j'étais kid. Finalement, c'était…drôle, bizarre, ça a changé. Rivers est devenu un front très exubérant. Mon album préféré de Weezer demeure Pinkerton… tu le réécouteras pour vrai.»
Je sais, j'ai des prises de becs récurrentes avec mes amis pour déterminer quel est le meilleur album de Weezer entre le bleu et Pinkerton. As-tu écouté les plus récents, Raditude et Hurley?
«J'ai juste vu la pochette de Hurley et je n'ai pas de temps à perdre avec ça.» [Rires.]
Tu as toujours eu un penchant littéraire. Il y avait des poèmes à l'époque sur ton site web.
«Ouais, c'était avant Twitter…»
L'écriture d'un roman, comme Charlebois, pourrait te tenter?
«Je ne pense pas. Tsé, j'ai changé, je me suis plus concentré sur la musique avec les années. Je fais mon possible quand j'écris des textes de chansons mais pour l'instant, c'est juste ça. Mon amour pour la littérature quand j'étais jeune, quand j'y repense, avait déjà beaucoup à voir avec la musique. Ça devait venir des Doors.»
C'est vrai qu'il n'y a pas moyen de passer par le cégep en littérature sans se prendre pour Morrison à un moment ou un autre…
«Au moins, il t'amène à Rimbaud. J'aime aussi beaucoup les surréalistes. Paul Éluard, c'est quand même très proche de la chanson.»
[On entend les musiciens jouer Suspicous Minds d'Elvis dans la salle à l'étage.]
Dumas est hilare: «Tu vas pouvoir écrire ça.»
Ah, c'est toi Martin Fontaine!
«Oui, je dis qu'on va faire un spectacle acoustique, mais dans le fond, on se prépare pour le casino. On reprend Elvis Story!»
[…]
Depuis quelques années, tu effectues toutes tes sorties publiques en costard. Jusqu'à quel point c'est réfléchi?
«Ce l'est, j'ai adopté le look en 2004. C'est mon amour des sixties, pour les Kinks. C'est mon côté mods, brit. Je t'ai dit l'autre fois que j'aime Paul Weller, ça vient de là aussi. Faut dire que c'est confortale.»
[Jocelyn Tellier entre dans la loge.]
Dumas: «Hey Joce, avec vos improvisations, il pense vraiment qu'on fait un hommage à Elvis.»
[…]
Est-ce qu'il y a des chansons dont tu as honte, dont tu es moins fier?
«Oui, parfois. Longtemps, je n'ai pas joué Miss Escstasy, mais maintenant, elle est en passée à une autre étape. C'est une chanson un peu adolescente sauf que là, à 30 ans, je réussis à m'en amuser. Je me fais souvent demander L'Écrivaine, mais je ne suis pas encore capable. C'est une chanson d'un gars de 17 ans qui parle à une fille dans son cours. L'autre fois Alex (Alexandre Dumas, bassiste), qui était déjà avec moi au premier album, m'a dit: "on devrait jouer Espresso". Je l'ai réécouté et le texte était compliqué pour rien, je faisais des liens bizarres. J'avais inséré tous les titres de romans d'Hubert Aquin, c'était compliqué, personne ne s'en est aperçu.»
Vraiment? Franchement, je ne m'en étais pas rendu compte.
Il fredonne en essayant de se souvenir des paroles: «Prochain épisode…neige noire. Il y a juste L'Antiphonaire que je n'ai pas réussi à placer! [Rires.] Il y a aussi des chansons plus récentes que je trouve moins réussies. Des mélodies, des idées que je n'ai pas bien menées à terme, à cause du deadline, du mood.»
Ton amour du mot rare te vient d'où?
«Le fameux Linoléum!»
Oui, aussi «gardénal», que tu chantes dans Un Train dans la nuit.
«Gardénal, c'est intéressant. La première fois que je l'ai entendu, c'est dans une toune de Gainsbourg, En relisant ta lettre. En faisant une recherche, je me suis aperçu que c'est un des médicaments les plus répandus dans la chanson française. C'est un antixiolytique. Gardénal…je trouvais ça cool.»
Tu disais l'autre fois en entrevue à Karine Gélinas que tu te trouves chanceux de toujours faire le métier après toutes ces années, parce que plusieurs des artistes qui ont débuté au même moment que toi ne peuvent pas en dire autant. Outre le talent, qu'est-ce qui explique que certains réussissent à se tailler une place et que d'autres se cognent le nez contre un mur?
«Je ne sais pas…c'est intéressant. À l'ADISQ, combien d'artistes ont connu des années folles et sont disparus après? Je crois toujours aux chansons, faut vraiment mettre l'énergie sur les chansons, c'est les chansons qui font que ça dure. Et même avec les chansons, il y a la vie qui fait son oeuvre… Quelle réponse floue!» [Rires]
Est-ce qu'il y a des pièges à éviter?
«Je pense qu'il faut que tu restes sincère. Ça a l'air cliché, mais faut que tu le fasses pour les bonnes raisons. Moi, j'écris des chansons et le reste vient avec, faut pas que ce soit le contraire. Mon plaisir, c'est d'écrire une chanson, un désir qui vient souvent d'un truc que je veux exprimer, faut que ce soit ça en premier.»
J'étais plutôt surpris de te voir à la grande Fête nationale du Parc Maisonneuve cet été. C'est rare que tu participes à ce genre de festivités de groupe.
«J'étais mal à l'aise avec ces shows-là avant. Je trouve qu'au Québec, on mélange beaucoup les gens et qu'ils perdent leur identité en disant "oui" à trop de trucs. Moi, je ne suis pas capable de faire des reprises, je suis mal à l'aise. Comme je pouvais jouer une de mes chansons et parce que Yann Perreau était là, j'ai eu du bon temps finalement.»
[…]
«Faut pas faire trop d'entrevues non plus. J'entendais Robert Lepage l'autre fois dire ça en parlant du théâtre et je pense comme lui. Dans ce métier-là, faut garder une part de mystère, l'important est dans les spectacles et les disques. Si ça n'a pas rapport à la musique, je dis non aux entrevues.»
On ne pense pas forcément à toi en premier quand on pense à Fête nationale. Ta québécitude se situe où selon toi?
«C'est drôle qu'on me demande ça, parce qu'elle est totale ma québécitude, je trouve que je suis très québécois. J'écris en français – bon je n'écris pas en joual -, mais j'écris en français. Pour revenir à la Fête nationale, je refusais avant parce que je trouve que le Québec célébre trop souvent dans la nostalgie. On invite des jeunes artistes pour chanter les tounes d'Offenbach.»
Plusieurs artistes, Weezer notamment, font ces temps-ci des tournées pour reprendre intégralement leur album marquant. C'est pour quand la tournée du Cours des jours?
[Rires] «On l'avait fait au Métropolis dans le temps pour le premier show de la tournée. On pourrait essayer dans le show acoustique à venir. Sérieusement, Le Cours des jours est paru en 2003, donc ça ne sera pas avant 2013, pour le dixième anniversaire.»
Question talk-show bonbon: est-ce qu'il t'arrive encore d'avoir le goût de toucher des passantes anonymes?
«Absolument, mais de quelle manière, je ne te le dis pas!»
crédit photo: Martin Bureau