J'ai d'emblée aimé April Wine pour son deuxième trio, sa section rythmique composée des bonzes (au figuré, comme au propre) Jerry Mercer (batterie) et Jim Clench (basse), des monsieurs joyaux et visiblement heureux d'être sur scène. Son chanteur, Myles Goodwyn, lui, a l'allure, et le charisme, d'un vieil oncle grippe-sou qui vient toucher son chèque. Autre grande qualité du groupe: ses titres de chansons, du cousu main pour les compilations soft rock (rock léger!) de TimeLife (et leurs savoureuses infopublicités): Rock'n'roll is a vicious game, Like a lover, like a song, Cum hear the band, Tonight is a wonderful time to fall in love, etc.
Le «Led Zeppelin des bacs de disques usagés» (selon la méchante, et éclairée, formule de l'auteur Bruce Eaton) a donc failli perdre mon support quand Jim Clench choisit la liberté 58 en 2007 (notons que le musicien, qui a également oeuvré au sein de BTO, est décédé le 3 novembre dernier). C'était sans compter sur le carnet de téléphone bien rempli de Jerry Mercer, qui passa tout de suite un coup de fil à son vieux chum Breen LeBoeuf, le plus sympathique Ontarien du rock québécois, qui se débat toujours, après trente ans, avec des blues qui ne passent pas dans la porte. Un remplaçant était élu. Jerry Mercer a depuis lui-aussi pris sa retraite (liberté 70 dans son cas). Blair Mackay chauffe aujourd'hui son siège.
En marge du passage d'April Wine au Théâtre Granada le 21 janvier à 20h30, j'ai discuté il y a quelques jours avec Breen LeBoeuf. Au menu: son nouveau groupe, sa découverte du rock le nez dans la collection de disques de son frère, l'impact, positif ou négatif, de Gerry Boulet sur sa carrière et, bien sûr, Offenbach, ses membres, son legs et la difficile mise en valeur de son patrimoine.
À lire aussi: l'entrevue de François Gariépy avec Myles Goodwyn.
***************************************************************************************
DHDLK: Depuis quand connaisez-vous Jerry Mercer?
Breen LeBoeuf: «Moi, sais-tu que j'ai joué sur la même scène que Jerry Mercer en 1970? J'étais un grand fan de Mashmakhan (formation montrélaise avec laquelle Mercer a fait ses débuts; leur plus grand succès s'intitule As the years go by). Je jouais avec un de mes premiers groupes, Chimo. C'était pendant le Canadian National Exhibition à Toronto, on faisait leur première partie. On a partagé la scène-là et 37 ans après, on a partagé la scène ensemble avec April Wine. La vie est drôle. Je l'ai vraiment connu en 1980, quand il est venu nous (Offenbach) dépanner en France. Bob Harrisson était tombé vraiment malade, on avait besoin d'un batteur. Jerry rentrait à la maison, de retour de tournée, il a pris ses appels et il est reparti à l'aéroport. Le lendemain soir, il jouait avec nous (l'anecdote est racontée en détails dans la chanson Palais des glaces (Sueurs froides)). On a aussi fait le Buzz Band ensemble avec John McGale. C'est lui qui m'a appelé en 2007 quand il tentait de trouver un bassiste pour remplacer Jim. J'ai dit "oui" tout de suite.»
Espériez-vous toujours joindre un groupe rock à ce stade-là de votre carrière?
«Sais-tu, quand j'étais jeune, je pensais finir ma carrière et ma vie à 30 ans. "Tout finit à 30 ans, après ça, il n'y a pas grand chose d'intéressant", c'est ça que je pensais. En vieillissant, on apprend. Présentement, on fait beaucoup de tournée et on rencontre un grand nombre de musiciens de notre âge qui jouent pour un public de boomers et pour les enfants des boomers, dans les festivals, dans les casinos, dans les salles de concert. On se jase et on apprécie plus ce qu'on fait maintenant. À l'époque, c'est comme si notre carrière et notre succès nous étaient dûs, on prenait ça pour acquis jouer dans un band rock. On ne savait pas qu'on était pour continuer. Faut dire qu'on est chanceux comparativement à des gens qui font un travail plus physique, comme les sportifs, les danseurs, tout ce beau monde-là pour qui ça finit rapidement. Nous, tant que nos mains fonctionnent, qu'on peut monter sur la scène, que nos voix tiennent le coup et que notre cerveau peut encore comprendre les arrangements, on peut continuer… s'il y a des gens qui veulent nous entendre.»
Comment vous êtes-vous préparé pour remplacer Jim Clench? Aviez-vous peur de chausser d'aussi gros souliers?
«Prendre la chaise de quelqu'un qui a fait sa marque, c'est tout le temps un défi. Quand tu remplaces quelqu'un qui a été populaire, qui a été aimé de son public, c'est dur. Tout ce que tu peux faire, c'est ton mieux, rentrer dans l'affaire, donner ton max. Je n'ai pas essayé de redessiner toutes les lignes de basse, de changer tout ce que Jim avait accompli dans le groupe, non, j'ai assez de respect pour ce qu'il a accompli pour ne pas commencer à jouer dans ses affaires. Je donne ma couleur veux, veux pas, parce qu'après quarante ans de métier, tu développes une façon de faire qui t'appartient en propre. J'amène un changement, mais c'est un changement très respectueux.»
Chantez-vous les morceaux de Jim (les chansons interprétées par Jim Clench, dont l'hyme à la fête Oowatanite, ont toujours été des moments forts des concerts d'April Wine)?
«Non, parce que je ne suis pas là pour remplacer Jim, je suis là pour jouer de la basse dans April Wine, comprends-tu la différence? Quand Gerry Boulet est décédé, je n'ai pas essayé de remplacer Gerry Boulet dans le coeur des Québécois, je n'ai pas commencé à chanter ses tounes, je ne voulais pas faire ça. Pas qu'on ne me l'a pas suggéré. Ça a été proposé par quelques personnes, ils pensaient que c'était une bonne direction pour moi, mais par respect pour l'artiste, tu ne fais pas ça. Moi, j'amène Breen LeBoeuf à April Wine et on voit ce que le mariage donne. Il y a des gens qui s'ennuient de Jim énormément, c'est évident, parce qu'il a amené beaucoup à leur musique, mais quand même, je suis très apprécié, les gens me traitent avec un beau respect, ça fitte bien musicalement, parce qu'April Wine n'est pas loin de ce que j'ai toujours fait, c'était naturel pour moi.»
Jerry Mercer, l'ami qui vous a invité à joindre April Wine, a lui-aussi pris sa retraite (à l'âge vénérable de 70 ans). C'est comment depuis son départ?
«Je vais toujours m'ennuyer de Jerry, c'est un ami de longue date, c'est un chum personnel. Je l'appelle souvent pour prendre des nouvelles.»
Il va bien?
«Oui, il joue de la musique cubaine avec des amis dans le bout de Kingston, il voyage avec sa femme, il a le gros Harley et il se promène aux États-Unis. Il est encore en forme.»
Est-ce qu'il vous a expliqué ce qui a motivé son départ?
«Ce n'était plus ça. À un moment donné, un gars se dit: «J'ai-tu besoin d'être en avion toute ma crisse de vie? Ça me tente-tu de faire ce solo-là encore, pour une dix-millième fois?» Il y a toutes ces affaires-là qui entrent en ligne de compte. Le fait aussi que, physiquement, on a des limites. C'est assez physique être batteur. Maintenant, il peut jouer quand il le sent, pas parce qu'on sonne à la porte et qu'on dit: «envoye, let's go, travaille mon homme». Il prend encore un grand plaisir à jouer, il chante dans un groupe a cappella»
Étiez-vous un fan avant de vous joindre au groupe?
«Oui, oui, oui. J'avais vu April Wine quelques fois live. J'ai vu la tournée Powerplay au Forum. Je n'étais pas un mordu, mais en même temps, on était amis, j'assistais à leur concert quand j'en avais la chance, sauf que souvent dans notre métier, on joue tous le même soir. La première fois que j'ai vu April Wine, c'était en 1972, Richie Henman en était le batteur à l'époque.»
Quelles sont les chansons que vous préférez interpréter sur scène?
«Quand on a pas joué depuis un bout – comme là, on reprend la tournée -, il y en a plusieurs que j'ai hâte de rejouer. J'aime les rockers, j'aime Roller, Anything you want, you got it, Oowatanite, Sign of the gypsy queen. Parmi les ballades, j'aime beaucoup Just between you and me et I'm on fire for you baby. Mais les rockers sont spéciales, il y a encore une petite partie de moi qui a vingt ans. Ce gars-là n'est pas mort, il est là. Ça fait que ouvrir le show avec quelque chose comme Anything you want, you got it, c'est comme faire J'ai l'rock'n'roll pis toé au début d'un show d'Offenbach, ça donne le même rush. On garde des petites surprises pour les shows au Québec, on a fait Câline de blues quelques fois.»
Qu'est-ce qui vous a donné le goût de jouer du rock. Qui vous a influencé au départ?
«J'ai été influencé par les musiciens locaux de North Bay. Je n'ai pas commencé en musique avec le rock, mais avec la musique classique. J'étudiais et je chantais dans les chorales, comme soprano, j'ai fait des concerts quand j'étais très jeune. Déjà, j'étais fasciné par la musique et par les musiciens avant de tomber dans le rock'n'roll. Mon frère, huit ans plus vieux que moi, avait une collection de disques très le fun, des chanteurs noirs comme Bobby "Blue" Bland et Sam Cooke, des pop-rockeurs comme Boddy Darin, Elvis, toutes ces affaires-là, ça jouait dans la maison. J'entendais ça jeune, ça m'a donné le goût de cette musique-là. Puis, une fois que tu découvres les filles, le rock n'est pas loin…J'avais à peu près quinze ans et je n'en pouvais plus, ça me prenait un band!»
Le rock'n'roll vous a servi bien servi avec les femmes?
«C'était ben correct, je n'ai jamais appris à danser par exemple, j'étais toujours sur la scène. Ce que ça m'a surtout donné, c'est… tsé, les gars qui font du sport, parfois ce n'est pas juste le sport qui compte pour eux, c'est la fraternité qui naît quand on fait une activité en groupe, en équipe. Faire du band, c'est ça, c'est une équipe. Même quand tu es leader avec des musiciens engagés. C'est très spécial quand tu te retrouves plusieurs musiciens sur scène à intéragir d'une façon réelle, qui n'est pas juste du remâché, quand les gens jouent pour de vrai, in real time. J'étais mordu de ça, plus que d'autre chose. Je ne voulais pas être riche, je ne voulais pas être une vedette, ce n'était pas nécessaire d'être en avant non plus, ça adonnait juste que je chantais et que les autres chantaient moins. Je voulais juste être un gars dans le band. Je ne me suis pas tanné, c'est toujours quelque chose qui m'intéresse, qui me donne du plaisir. En fin de compte, c'est ma façon de respirer.»
Vous disiez tantôt qu'on vous a suggéré, après la mort de Gerry, de prendre le flambeau et d'interpréter ses chansons. Avez-vous déjà souffert d'être, en quelque sorte, dans son ombre?
«Souffert… Il y a au moins deux façons de regarder chaque situation. J'ai eu l'immense chance de partager la scène avec Gerry pendant 13 ans on and off, d'avoir pu admirer l'intégrité avec laquelle il exerçait son métier. Mais il y a un prix à payer pour tout. Mettons que lorsque j'ai lancé mon premier album solo, De ville en aventure, ça ne s'est pas passé comme prévu. La tournée de promotion était à l'automne, tout juste après le décès de Gerry, qui devait réaliser l'album, mais il était trop malade. Le bobo était encore très frais dans l'esprit du monde au Québec. Presque toutes les entrevues ne comportaient que des questions sur Gerry, pendant que j'essayais de vendre ma salade. Ça ne marchait pas tellement bien. Les journalistes ont toujours le pouvoir éditorial; si je parle de Gerry pendant deux minutes dans une entrevue, ça peut quand même finir par être un article sur Gerry. Je ne veux pas blâmer le monde, les gens étaient encore marqués par la tragédie de sa mort prématurée. Donc, oui, j'en ai souffert un petit peu, mais pas assez pour bitcher, je comprends très bien le phénomène, pis too bad so sad, that's life man, grow up you know?»
Même si Gerry est la voix marquante d'Offenbach, Mes blues passent pu dans porte demeure une des chansons les plus reprises et célébrées du groupe (récipiendaire d'un prix de la Socan pour 25 000 diffusions). Qu'est-ce qui lui permet de survivre avec autant de vigueur?
«C'est le monde qui décide. À chaque fois que tu sors une toune, tu espères que c'est la meilleure que tu n'as jamais faite. La plupart du temps, ce n'est pas vrai pantoute, c'est de la marde, ou c'est pas loin, c'est acceptable et c'est tout. C'est les gens qui décident ce dont ils ont besoin. Parfois, tu cliques avec eux-autres. Tout ce que je peux dire, c'est que c'est un drôle d'adon que ce soit la seule chanson que j'ai composée avec Gerry. Lui, il avait toujours, selon moi, le doigt sur le pouls du monde. Il était vraiment en contact réel avec son public. Ce n'était pas par le biais de la grosse machine qui vend les disques; on n'en vendait pas de disques, c'était les shows qui marchaient. On va se le dire, il était fatiguant parfois pour l'industrie parce qu'il ne voulait pas obéir, il a fait toute une chanson là-dessus (Je chante comme un coyote). Il était têtu en ostie quand il avait une idée en tête. Parfois il avait raison, parfois pas, mais il était intègre. Le voir aller c'était pas mal cool. J'avais toujours la meilleur place dans la salle pour l'observer. Je l'accompagnais aussi souvent dans les meetings, dans la machine, j'entendais ce qu'il pensait, ce qu'il avait à dire sur un tel ou une telle, comment ça le faisait chier que nos chansons ne jouent pas à la radio. Donc, Mes blues, c'est un peu de la magie, la combinaison de Huet (Pierre, parolier) pis moi et Gerry qui a donné une toune qui est tombée dans les goûts du public.»
Avez-vous des nouvelles de Pat Martel (dernier batteur d'Offenbach, Martel a connu différents ennuis avec la justice avant de séjourner en prison)?
«Pat Martel, je l'ai appelé l'autre jour à sa job. J'ai l'intention de manger avec lui bientôt.»
Il est sorti de prison donc?
«Oui, il travaille ici en face depuis six mois. Je pense qu'il va bien, j'ai hâte qu'il me le dise de vive voix. Il travaille dans une maison de désintox, je pense qu'il essaie de faire du bien avec ce qu'il a réussi à comprendre à travers toute cette marde-là.»
Malgré la mort de Gerry, Offenbach a continué à donner des concerts. Avec son fils Justin, avec Martin Deschamps, puis avec le Vic Vogel Big Band. Contre toute vraisemblance, le groupe poursuit toujours sa route en votre absence avec pour seuls «vrais» membres les guitaristes Johnny Gravel et John McGale. Qu'en pensez-vous?
«J'ai entendu le nouveau lineup très tôt, quand ils ont commencé, à la Place à côté à Montréal. C'est un bon band, mettons que ces gens-là ne monteraient pas un mauvais band. Il y a des grands amis là-dedans, dont Bob Saint-Laurent qui chante, et avec qui j'ai fait un petit show trio juste avant Noël. C'est un grand chum Bob, grand chanteur, bon musicien. Ils sont armés jusqu'aux dents, le calibre est super. Pour moi, il manquait peut-être un petit peu de grain de voix à la Gerry dans les interprétations. Le son est différent, malgré qu'on entend Johnny et John. Aussitôt que ces deux-là se mettent à jouer, c'est du Offenbach tout craché. Côté vocal, je m'ennuyais un petit peu de la voix de Martin ou de ce genre de chanteur-là. Je leur souhaite bonne chance. On se parle souvent, comme aujourd'hui, si j'ai le temps, je vais probablement passer chez Johnny…»
C'est important de rester amis avec vos anciens acolytes?
«Ben oui, c'est ça qui est le plus important! Il n'y a aucune raison de chier sur ce qu'on a bâti. Les amitiés et ce que l'on a réussi à accomplir dans nos carrières ensemble, ça ne s'oublie pas. C'est fou quand tu vois des ego détruire ces affaires-là. Après ça, il y a quelqu'un avec une grosse piastre qui vient les réunir. Les Eagles, tsé!»
Offenbach est un des groupes les plus influents de l'histoire de la musique au Québec et, pourtant, il est toujours impossible de mettre la main sur ses albums légendaires en cd. Pourquoi ne puis-je pas acheter Traversion, par exemple, chez mon disquaire?
«Moi, je n'ai aucun pouvoir là-dessus. J'ai vendu mes parts dans la compagnie Offenbach inc. quand je suis sorti de l'affaire. Quand on dit Offenbach et bande maîtresse, ça devient compliqué. Si Traversion est pour sortir, ce sera parce que les bons personnes se seront parlées de la bonne façon. Ce n'est pas juste les membres d'Offenbach, ni juste les propriétaires d'Offenbach inc. qui décident. Les gens qui ont participé à Offenbach ont le droit d'être fiers de ce qu'ils ont fait. Les gens qui ont accompagné Offenbach, les producteurs, les compagnies de disques, les éditeurs ont joué un rôle important dans notre carrière, mais, en fin de compte, ça ne devrait pas empêcher que les disques soient à la disposition des fans. Tu devrais être capable de trouver cet album-là criss…
Parce que c'est un morceau important de ce qui s'est passé à cette époque-là. Tu l'écoutes et tu dis, "oui, je la jouerais encore celle-là". Je pense que des gens travaillent là-dessus. Mais, même si j'aime parler, je n'ai pas affaire là-dedans.»
Je me rabats de mon côté sur mon vinyle et mon tourne-disque, en attendant…
«C'est parfait, ça faisait déjà crunch-crunch quand on jouait live. On jouait toujours sur des systèmes de son incapables de nous suivre. Je te le dis, les lumières rouges flashaient, on distorsionnait au max, mais tout le monde trippait.»