«La dernière fois que Springsteen a joué à Toronto, j'étais vraiment très cassé. Je voulais tellement y aller que j'ai mis une annonce sur Craigslist pour demander si quelqu'un pouvait m'y inviter. Je promettais à la personne de la faire boire, de la sortir dans des endroits cool, de lui faire passer la plus belle soirée de sa vie, si seulement elle me traînait au show. Je n'ai pas reçu de réponse.»
C'est le chanteur du groupe torontois Wildlife, Dean Povinsky, qui relatait cette anecdote, le 22 janvier dernier, à l'extérieur du Boquébière, les cheveux encore ruisselants (des plans pour attraper la mort!). Normal, il ne s'était pas ménagé dans les heures précédentes, donnant un fougueux concert en première partie de Our Book and the Authors, aux côtés de qui sa bande allait ensuite jouer du maracas et s'époumoner sur quelques morceaux. Une chorale, non, un bataillon ad hoc.
Fallait voir la gueule que le chanteur de OBATA, Gabriel D'Amour, faisait pendant la performance des Ontariens, le capuchon de son hoodie sur la tête, l'air de se demander comment faire pour "accoter ça". C'était tout un sprint que venait de courir Wildlife, propulsé par une éthique de travail impeccable, dirait-on dans les débats sportifs. Tous les groupes placés dans la même position – la proverbiale pression de la première partie – devraient, comme eux, concentrer l'énergie qu'ils déploieraient pour un concert normal dans les 30-35 minutes qui leur sont dévolues. Et pas de ballade, pitié…
Voyez: le premier accord de la deuxième chanson était à peine plaqué que le t-shirt de Povinsky était traversé de sueur. Ce qui veut dire que:
a) le gars souffre d'hyperhidrose;
b) l'éclairage du Boquébière est composé d'ampoules à buffet chinois;
c) le gars a une très exigeante conception du concert rock.
La réponse se situe probablement entre b et c.
Bien déterminé à tenter de nous convaincre qu'il ne s'agissait pas d'un morne samedi soir parmi tant d'autres (objectif ambitieux, mais fort louable), Wildlife s'est approprié tous les vieux trucs, très working class hero, s'efforçant à minimiser la distance (réelle et symbolique) entre le public et l'artiste: jouer dans la foule, frapper furieusement sur un gros tom (en passant, y a-t-il un groupe qui n'a pas délégué un des ses membres (souvent le claviériste) pour frapper comme un enragé sur un floor tom cette année?), demander aux fêtards de reprendre en chœur des wo, oh façon Wake up, etc. Si c'est bon pour Arcade Fire… (que la formation évoque, tout comme Wolf Parade). Il faudra d'ailleurs revenir un jour sur cette sincérité à reconquérir qui semble obséder tant d'artistes, comme si la posture a priori du musicien sur scène reposait aujourd'hui uniquement sur la distance et l'ironie.
Avec son électro-pop-crooner, Our Book and the Authors et son leader Gabril D'Amour (la tronche de Brandon Flowers et la voix de Jens Lekman) ont su relever le défi qui se présentait à eux avec sagesse, en ne déviant pas de leur plan de match dansant et lascif (grosse basse groovy) et en évitant de défier Wildlife sur le terrain de l'intensité. Le conseil de D'Amour aux musiciens qui visiteront bientôt le Boquébière: ne commander pas l'assiette de saucisses. C'est dur à digérer, surtout si vous êtes en train de rôtir sous des ampoules à buffet chinois.
Pourquoi je vous rapportais l'anecdote springsteenesque de Povinsky? Pour dire que la musique n'est pas une mince chose pour lui et parce que Wildlife interprète Dancing in the dark en spectacle. (Que l'on peut voir et entendre ici.) Bruce, si tu lis ce blogue, envoie donc une paire de billets à Dean la prochaine fois que tu visites le Air Canada Centre. Il la mérite en tabarouette. Et d'ici là, téléverse dans ton iPod leur album Strike hard, young diamond.