J'ai rencontré les gars de Perfect Roses lors de leur passage au Bar Le Magog le 7 mai dernier. Je voulais, à ma façon, réécrire le grand texte du journaliste américain Chuck Klosterman, Appetite for Replication (à lire dans son recueil Sex, Drugs and Cocoa Puffs: A Low Culture Manifesto), le portait d'un groupe hommage à Guns N' Roses nettement moins agréable que Perfect Roses.
La mise en ligne de ce texte se veut aussi un hommage à Martin Jolicoeur qui, après dix ans de loyaux services, quittait Perfect Roses fin 2010.
Perfect Roses sera en concert le 11 février, à 20h, au Club Aramis de Saint-Lambert.
*********************************************************************************************************
«Personne d'autre que moé / Aime GN'R // Pourtant GN'R c'est bon // Quelques personnes / Que je connais / Aiment GN'R // Entre nous / Dans nos regards / Sur les riffs de guitare / Il y a l'harmonie / Qu'est celle / De GN'R»
– Martin Dubreuil, «J'aime GN'R», extrait de J'm'appelle Martin Dubreuil et voici mes poèmes de quand j'filerai pas plus tard
***********************************************************************************************************
«J'ai fait réparer ma perruque!»
Marc-Antoine Bouffard, enseignant de 35 ans, un brin trapu, porte un t-shirt bleu de Mike Cammalleri et un jeans ample. Dans quelques heures, la perruque réparée maintenue sur sa tête par un bandeau, il se dandinera en boxers blancs sur la scène du Bar Le Magog en compagnie de ses vieux potes Beaucerons de Perfect Roses, hommage à Guns N' Roses. Pour la plupart des spectateurs rompus au code du genre – parce que l'hommage rock est en quelque sorte un genre, du moins un sous-genre – et\ou entamant leur quatrième quille de Pabst Blue Ribbon, Marc-Antoine sera l'Axl Rose des jours de gloire, charismatique ex-souffre-douleur que la paranoïa, l'esprit de siège et le despotisme n'ont pas encore irrémédiablement vaincu. Pour quelques prudes demoiselles trop jeunes pour avoir dormi devant le disquaire afin de mettre la main les premières sur Use Your llusion I et II, Marc-Antoine sera un vulgaire personnage, comme quoi le rock est encore capable, dans des contextes bien particuliers, de choquer, surtout s'il fait irruption sous la forme d'un phallus moulé dans un sous-vêtement trop serré. You know where you are? Tu es dans un (succédané) de jungle bébé!
Sherbrooke n'est plus l'accablant paradis des groupes hommages – concept aux frontières de la comédie musicale et du talent show d'école secondaire qui, depuis les années 80, permet aux provinciaux et aux cassés partout en Amérique du Nord de faire le party au son des chansons de leurs artistes préférés plutôt qu'en endurant les compositions boiteuses d'une bande de blanc-bec – qu'il a déjà été. «Ça se passait à l'époque à la Maltonnière», épilogueront, l'œil humide, certains vieux prog-rockeurs. Vous les croiserez au bar du Théâtre Granada avant une représentation de l'Australian Pink Floyd Show (si l'idée de payer 60$ pour entendre des quinquagénaires assis ne vous plonge pas dans une profonde crise de conscience). Ça se passait aussi plus tard au Café du palais – aux Marches – vous raconteront les X et les vieux Y, si vous mettez le grappin sur un de leurs représentants à même d'en témoigner (très durs à retracer eux; ils ont eu des enfants et/ou croupissent en prison). Sursaut de vie du groupe hommage donc, ce vendredi soir dans un Bar Le Magog où se masse une bonne foule pour la deuxième présence en sol sherbrookois de Perfect Roses.
Martin Jolicoeur, interprète d'Izzy Stradlin (guitariste rythmique, génie de l'ombre et ami d'Axl depuis leur enfance en Indiana) au sein de Perfect Roses, gère le booking du groupe. Il a 30 ans et ses loisirs n'ont porté qu'un seul nom dans les dix dernières années: Guns N' Fuckin' Roses. C'est, tout compte fait, près de deux fois plus de temps que celui passé par le vrai Izzy au sein du groupe (il quitta en pleine tournée Use Your Illusion, poussé au bord du précipice par la drogue et l'atmosphère pourrie). Le gars est réservé, répond à mes questions avec la proverbiale politesse du Beauceron et a autant l'air d'une rock star décadente que Nicolas Ciconne. Toujours résident de son Beauceville natal, il occupe un bon poste dans le domaine de l'imprimerie et est le père d'une petite fille de deux ans. La mère, sa blonde Isabelle, l'accompagne exceptionnellement ce soir. Une groupie style-Penny Lane invitée à monter à bord de l'autobus puis happée par le tourbillon de la vie tournée, supposai-je. Pas tout à fait. «Il a comme fallu qu'elle s'habitue à aimer ça», rigole Jolicoeur quand je demande à sa compagne si elle partage le même amour indéfectible pour Guns que son chum. Elle offre un sourire poli.
Un gars en t-shirt vert s'approche. «Je te présente Paul Jr Ratté, c'est lui Slash», annonce Martin. Je cherche le voyou débonnaire à la carnation noire derrière celui qui se tient devant moi… en vain; notre Slash est blanc-blanc-blanc. Vrai que le métissage ethnique (mère afro-américaine et père anglais) qui a produit le Jimi Hendrix des 90's ne doit pas être monnaie courante en Beauce. Paul répond à ma mine dubitative par un sourire quasi-défiant. «Tu vas voir tantôt», m'assure Jolicoeur. Avant de les laisser repartir, je tire au clair une affaire qui me taraude depuis mon arrivée en leur demandant, enfin, de quel côté du Grand Schisme ils se positionnent? Pour être plus précis, qui, de Slash ou d'Axl, tiennent-ils responsables de la débandade du groupe? Comme le gros bon sens le prescrit, ils me répondent tous deux Axl. Je ne suis pas en territoire ennemi. Soulagement.
Test de son
Toujours vêtu de ses fringues de tous les jours, Paul passe sa guitare en bandoulière et, par un phénomène de l'ordre de la transsubstantiation, devient littéralement Slash. Même sans les pantalons de cuir, la perruque frisée et le chapeau melon qui compléteront tantôt sa «transformation extrême», nous avons le vrai Slash à quelques mètres de nous: même dégaine nonchalante ponctuée d'accès d'exubérance se déclinant en quelques pas de danse à la Chuck Berry. Des cinq Perfect Roses, il sera sans doute celui qui parlera avec le plus de passion de son idole, mû par le genre de ferveur calme propre aux personnages de Christopher Walken. «J'écoute du Guns depuis le secondaire et j'ai n'ai jamais arrêté. J'ai essayé de jouer d'autres styles, mais je revenais toujours à la base, tout le temps, tout le temps, tout le temps. Je trippe trop avec ça, à cause de la manière que Slash joue, de l'émotion qu'il met dans ses solos; tu peux tous les chanter en même temps. Il a sorti un nouvel album il y a quelques semaines; juste l'entendre jouer, je capote. Il me donne des frissons.» Plus tard, durant la pause entre les deux sets, je partage ma fascination avec Jolicoeur qui me décrit la méticulosité maladive de son partenaire. «Paul tient à acheter exactement les mêmes fils que Slash, à jouer les solos en plaçant les doigts exactement comme lui.» Hum…ok.
Je passe derrière le rideau, direction loge du Bar Le Magog (on dit loge vraiment pour la forme, de la même façon qu'on dirait toilettes en pointant un arbre à Woodstock en Beauce). Sur la scène, la batterie trône entre deux praticables, une particularité de l'endroit qui sert bien la situation, car elle rappelle en version miniature la disposition de la scène de la tournée Use Your Illusion (à voir, entre autres, sur les dvd Live à Tokyo) que Perfect Roses s'applique à reconstituer. Double grosse caisse, cymbales qui pullulent, cloche à vache blanche; les néophytes n'y verront que du feu et croiront avoir devant eux une batterie disposée exactement comme celle de Matt Sorum (le deuxième batteur de Guns N' Roses). Dany Veilleux, son avatar au sein de Perfect Roses, électricien de métier, serait-t-il un zélé de la trempe de son partenaire Paul? Non, j'ai débusqué une première faille dans la grande mascarade. Une faille, en fait non, plutôt un compromis au profit d'une autre mascarade: «Mon drum est monté comme celui de Tommy Aldrige», m'explique Dany. «Je ne savais pas que Tommy Aldridge avait déjà fait partie de Guns!». «Non, c'est parce que je joue aussi dans un hommage à Ozzy Osbourne.» Quand on vous dit que toute est dans toute.
«Moi aussi je joue dans un autre hommage, à AC/DC», a le temps de m'apprendre Jonathan Caux, bassiste de la formation et ouvrier en manufacture de fenêtres, alors que Marc-Antoine Bouffard, monsieur Axl, nous fait patienter, comme pour nous obliger à faire des blagues sur les mythiques retards du plus célèbre roux de l'histoire du rock. La révérence qu'il affiche quand il arrive, quelques minutes plus tard, ne peut que recouvrir une certaine suspicion envers les journalistes. Héritage de son héros? J'aime le supposer. «Tu écris pour le Voir? Mon Dieu! Enchanté!» Je lui pointe le macaron de Guns épinglé à mon manteau en simili-cuir. Mon message: «Ne vous inquiétez pas messieurs, je viens en ami.»
De toutes les questions qui me brûlent les lèvres, j'aborde d'abord avec eux l'épineux sujet de la drogue, qui aura été à la fois le carburant et la pierre d'achoppement de la carrière de Guns N' Roses (outre Axl, probablement suffisamment grisé par son amour-propre, tous les GNR ont entretenu des relations plus ou moins passionnées, et destructrices, avec la seringue, sans parler du reste). Derrière ces looks d'étudiants en génie, de garçons rangés, se cachent-ils des bums déraisonnables? La réponse choque presque tellement elle est catégorique et sans appel. Elle offre aussi un amusant contraste avec le scrupuleux mimétisme qui faisait la fierté des gars jusque-là. «On n'est pas des drogués, on prend de la bière un peu», répond Jolicoeur, alors que les autres opinent du bonnet. «On n'a jamais pris de coke aucun, jamais même fumés avant un show, on n'est pas capables. Notre drogue, c'est l'adrénaline que le show procure.» Les porte-paroles de la gang allumée n'auraient pas mieux dit.
«C'est notre passe-temps à nous», ajoute un autre avec à-propos, car, quand on y regarde de plus près, le groupe hommage a beaucoup à voir avec un autre passe-temps populaire chez le jeune homme rangé qui refuse de laisser totalement derrière lui son adolescence: le jeu de rôle grandeur nature. Les faux glam-rockeurs comme les médiévistes de fin de semaine recréent une époque en la passant au tamis pour ne garder que ce qui les amuse, vont à la guerre sans vraiment prendre de risque, en s'assurant de ne jamais se faire bobo. Sur le champ de bataille avec des épées en mousse pour les uns, dans les bars de seconde zone avec des chansons éprouvées et une paie qui suffira à payer l'essence pour les autres.
Mais pourquoi Guns? Certes un des groupes rock les plus importants des années 80-90, d'aucuns le qualifieront de feux de paille: que trois véritables albums de chansons originales, dont deux largement enterrés par un Axl en proie au syndrome Elton John (version rock du syndrome de Peter Pan) sous de sirupeuses couches de violons ou d'arrangements affectés. Marc-Antoine et Paul me servent le séduisant argumentaire, quoique hyper élimé, du grunge-grande-faucheuse-du-plaisir-dans-le-rock. Défendable pour peu que votre définition du plaisir soit: fréquenter des prostitués névrotiques et envisager tous vos rapports au monde comme un grand complot dont vous êtes l'unique victime, pensai-je. Eux me parlent de son: «Le rock, aujourd'hui, c'est répétitif, il n'y a pas de solos. Guns représentait la joie de vivre pis le grunge est arrivé avec son "fuck the world" dépressif, punk, rebelle. Guns avait une sonorité vraiment saaaale, c'était la base du rock et du blues à l'état brut, le prolongement des Rolling Stones et d'Aerosmith. C'est le dernier band d'après moi, après ça, Nirvana est venu tout changer. Il y a eu d'autres qui ont essayé, mais ils n'ont pas le son, ni l'attitude que Guns avait, l'espèce d'aura qui flottait autour d'eux.»
Tous ces regards vers la passé nous font presque oublier que Guns N' Roses est un groupe toujours en activité (du moins officiellement). Perfect Roses n'avait d'ailleurs toujours pas décidé, lors de notre rencontre, s'il incorporerait des extraits de Chinese Democracy à son répertoire. Marc-Antoine est de ceux qui ont osé allé les voir lors de leur passage à Montréal. Le fait qu'il ne parle pas de Guns mais d'Axl est très significatif. «Il est dedans, il est encore capable de faire de la très bonne musique. Son dernier album est bon, mais ce n'est pas la même attitude que dans le temps. Ce n'est plus Guns, c'est sûr.»
«C'est parce qu'il a fait à sa tête», réplique du tac au tac Paul.
«Écoute, on ne sait pas tout ce qui s'est passé non plus», rétorque Marc-Antoine, qui plaide la chicane de famille. «On ne peut tellement rien dire, parce qu'on ne sait pas ce qui est arrivé dans ce band-là… c'est sûr qu'Axl a un caractère assez bouillant…» (Bel euphémisme.)
«Ça été assez transparent avec les émeutes…», laisse tomber un autre.
Je les quitte devant ce début d'escarmouche en me plaisant à penser que les journalistes ont sans doute beaucoup contribué à mettre le bordel chez Guns.
Le show
Perfect Roses frappe fort en martelant d'entrée de jeu Nightrain. Marc-Antoine mâche un peu les syllabes et ne camoufle pas parfaitement le Keb qui au test de son y allait de «Ou-one-tou, ou-one-tou» dignes de Pauline Marois. Sa danse reptilienne convainc davantage. Comme son héros, il change trois fois de chandail pendant Civil War et se tortille dans un sous-vêtement blanc qui laisse autant de place à l'imagination qu'une vidéo de Sasha Grey. Une telle impudicité nécessite beaucoup plus de courage dans l'exigu Bar le Magog que dans le pharaonique Tokyo Stadium, et c'est tout à son honneur.
Jonathan Caux, malgré un bon jeu de basse, ne mystifie personne dans son attirail de cowboy qui semble avoir été récupéré dans la vente de feu d'une boutique de location de costumes d'Halloween. Disons, à sa décharge, que sa relative carrure et sa chevelure brune plombent dans l'aile sa transformation. Duff McKagan, son personnage, est d'un type physique peu commun: blond platine, émacié, teint de jeune fille scandinave. Au strict plan du look et des traits, Kate Moss est probablement la personne la mieux pourvue au monde pour jouer le bassiste, aujourd'hui chroniqueur-blogueur au Seattle Weekly, dans un groupe hommage.
Tout au long de la soirée, les signes de devil et les rires permettent de distinguer deux catégories distinctes de spectateurs. D'un côté, ceux qui croient dur comme fer que la vidéo de November Rain est un événement cinématographique fondateur, que Stephanie Seymour devrait comparaître au Tribunal pénal international de La Haye pour haute trahison, que jouer de la guitare torse nu devant une chapelle est la quintessence de l'esprit rock, que se lancer à toute vitesse dans une falaise à bord d'une décapotable avec à son bord une top modèle est un immense geste d'amour, qui monteraient les marches de l'Oratoire à genoux pour voir Axl et Slash réunis à nouveau sur scène. Ils vivent de nostalgie ces rockeurs qui n'ont jamais oublié leurs rêves d'ados, même s'ils sont devenus comptables ou dentistes. Ils auraient aimé goûter, ne serait-ce qu'un week-end, aux chimères qui faisaient le quotidien de leurs héros: overdoser (presque) dans des hôtels de luxe, mettre du Jack Daniel's dans leurs Corn Flakes et perdre la raison, le visage dans un Ziploc qui aurait contenu autre chose que des crudités. Elles vivent d'espoir et de nostalgie ces rockeuses sur le retour chez qui on devine, derrière un air désenchanté et un maquillage grossier, une furieuse beauté. Elles étaient là au Stade pendant l'émeute et vous décrivent avec une emphase de mononcle, en vous agrippant le bras, comment elles ont évité le pire.
L'autre catégorie, tout simplement plus jeune, nous permet de prendre la mesure d'un changement de paradigme et de la relative absence de l'idiome (solide) rock (pas mort, quand même, contrairement à ce que Le Devoir laissait entendre) des palmarès et de l'imagerie populaire. Pour eux, Mr. Brownstone n'est qu'un gentil vendeur de brownies, le Jack Daniel's est la boisson avec laquelle Ke$ha se brosse les dents et l'idée que cinq hommes hétérosexuels ainsi accoutrés aient déjà humidifié la culotte de milliers de jeunes femmes ressort de la science-fiction. En fait, ce n'est pas tant de voir cinq Beaucerons singer des rockeurs du Sunset Strip qui les fait rire (ce qui serait légitime); c'est l'idée même d'un groupe comme Guns ‘N Roses, dont l'extravagance et l'outrance glam sont totalement disparus du radar rock populaire, à gauche (Kings of Leon), comme à droite (Nickelback).
«Je ne sais pas si on va être capable d'éprouver de la nostalgie pour les bands des années 2000. Il y en a trop, on ne sait plus auquel s'identifier comme avant. Tsé, quand il y en avait trois ou quatre, on pouvait choisir son camp», réfléchissait tout haut tantôt Marc-Antoine. Irons-nous entendre un hommage à Kanye West (dont l'œuvre entière est déjà un hommage à sa propre majesté)? Paierons-nous 15$ pour un hommage à Nickelback (qui est déjà un médiocre groupe-hommage à Pearl Jam)? Pour un hommage à Arcade Fire (déjà un hommage à l'esprit de sérieux), aux Strokes (déjà un hommage à la bourgeoisie faussement décatie), à Fleet Foxes (déjà un hommage à la vie pastorale), à Animal Collective (déjà un hommage à l'ingestion d'hallucinogènes de mauvaise qualité)? Je ne sais pas, on verra bien, Marc-Antoine. Au pire, on aura un paquet de sympathiques bands hommage dont s'ennuyer.