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Ladies of the Canyon: cowgirls modernes

On nous avait promis du folk-pop. Je m'attendais, éternel pessimiste, à du country pop sirupeux. C'était ce que les vidéoclips de Ladies of the Canyon entrevus à CMT (oui, je regarde parfois CMT) laissaient présager.

Disons que les efforts de mise en marché contraignaient presque le journaliste musical, persifleur par définition et par principe, à la méfiance: posters sur lesquels on prend bien soin, comme s'il s'agissait des nouvelles Spice Girls, d'écrire le prénom de chacune des filles (inutile; elles avaient visiblement toutes changé de couleurs de cheveux depuis la séance photo), vidéoclips avec gros plans sur les grandes jambes qui n'en finissent plus de finir de finir de finir de fnir des demoiselles (ce qui n'est pas pour nous déplaire) et arrangements policés jusqu'à l'asphyxie.

Au Boquébière samedi soir dernier, la stratégie apparaissait finalement comme un compromis légitime: employer ce country pop (pas si sirupeux que ça) comme cheval de Troie pour percer le marché des radios country (saviez-vous qu'il y a plus de stations country aux États-Unis que de stations de tout autres genres confondus?), mais ne pas pour autant délaisser, en concert, les frissonnantes harmonies vocales héritées de Fleetwood Mac, ni cette fragilité folk à la Joni Mitchell (à qui elles doivent leur nom).

D'entrée de jeu, les quatre cowgirls ont donc chanté des complaintes assez poignantes, «comme au début dans leur salon». Je vous les présente:

Jasmine (Bleile), c'est la tempétueuse, celle qui lance des assiettes à son amoureux pendant une dispute pour se réconcilier quelques minutes plus tard. Vêtue de grands châles de sorcières, elle est la petite-fille spirituelle de Stevie Nicks. 

Senja (Sargeant), c'est la hip-rebelle. Elle arbore une coupe de cheveux asymétrique et, comble de la branchitude, a collaboré au dernier album de Misteur Valaire, des gars que l'on imagine plus sur des rouli-roulants qu'à dos de cheval. Si elle cite une chanson de Leonard Cohen (comme elle l'a fait lors d'une présentation), ce sera forcément la seule chanson de Leonard Cohen qui, à notre connaissance, traite d'amour oral (Chelsea Hotel No. 2).

Anna (Ruddick), c'est la mystérieuse. Elle joue de la contrebasse. Elle est belle. C'est tout. C'est déjà beaucoup.

Maia (Davies), c'est la shamanique. Elle porte des boucles d'oreilles à plumes, style Indien Lakota, afin de signaler, subtilement, qu'elle est la dépositaire de secrets anciens. Quand elle vous toise avec son regard perçant, c'est comme si elle devinait, par-delà votre mine stoïque, vos peurs les plus intimes.

Puis sont venus les rejoindre deux cowboys discrets, à la guitare électrique et à la batterie, pour que l'on décolle sur les routes de l'Amérique profonde. À bord d'une décapotable volée, ça va de soi. Du honky-tonk à la radio, ça va de soi. Un peu plus d'espace et l'on aurait bien esquissé quelques pas de danse en ligne.

Ce qui distingue en fait probablement Ladies of the Canyon d'une de leurs principales compétitrices sur le terrain country pop qu'elles veulent conquérir, Taylor Swift, a à voir avec ce qui les nourrit. Les quatre Canadiennes sont les héritières des grands maîtres du coutry, ainsi que d'une foule de groupes des années 60-70 qui ne donnaient pas stricement dans le genre (les susmentionnées Fleetwood Mac et Joni Mitchell, mais aussi The Eagles, The Byrds, etc.), des artistes qui œuvraient, en fait, à une époque où le concept même du country pop était encore mal défini. Taylor Swift, elle, avoue candidement devoir sa carrière aux papesses du genre, Shania Twain et Faith Hill, notamment.

Le plaidoyer que Ladies of the Canyon offre en entrevue est à prendre en considération pour le journaliste musical obsédé par l'étiquetage. «Si nous étions en 1970, personne ne se casserait la tête à essayer de cerner quel genre de musique ont fait», disent-elles en substance. Leurs efficaces reprises de Dreams (Fleetwood Mac) et de Dead Flowers (Rolling Stones) au rappel, qui ne détonnaient pas avec leur propre répertoire, tendent à leur donner raison.

photo: Valérie Keaton