À en croire les Québécois, elle vient d’ici. Pourtant, ses origines sont plus lointaines. Elle a vu les Romains tomber. Elle a côtoyé les rois de France et a traversé l’océan pour arriver sur les côtes de la Nouvelle-France. La tourtière a une vie insoupçonnée que l’historien Jean-Pierre Lemasson a décortiquée dans L’incroyable odyssée de la tourtière.
Après lecture, il ne serait pas étonnant de voir le Lac-Saint-Jean au complet se révolter contre ce livre qui remet en cause la paternité de SON plat. «La tourtière est la petite-fille de la cipaille gaspésienne. Elle a gardé au départ le nom, puis elle a perdu ses couches et est devenue la tourtière», assure l’homme qui a aussi écrit sur le pâté chinois. Le bouquin révèle même pire, car la fameuse cipaille serait issu de la sea pie importée par les Anglais…
Pour retracer cette histoire, Jean-Pierre Lemasson a parcouru les écrits historiques et livres de recettes anciens sur près de dix ans. De tourte à pâté, en passant par tourtière, les noms ont été multiples, mais l’historien parle toujours d’un plat composé d’une abaisse de pâte avec un appareil à base de viande et d’une autre abaisse de pâte qui recouvre le tout. «Sa version modeste est un pâté à la viande alors que sa déclinaison aristocratique, comme la tourte parmesane datant du Moyen-Âge, comporte des strates et des ingrédients rares», note-t-il.
La version moderne de la cipaille, qui se retrouve principalement dans le Bas-du-Fleuve, en Gaspésie et sur la Côte-Nord, est donc l’héritière de cette variante riche de par son volume, la rareté de ses ingrédients et le moment où on la mange. La tourtière en est une version plus simple.
La fin de la tourtière?
Mais cette évolution risque de s’arrêter dans un futur proche. «Ce plat est tellement codifié, explique-t-il. Si on utilise autre chose que du porc ou du bœuf, ce n’est plus une tourtière.» Ainsi, il considère que le pâté au saumon ou au poulet mériterait de s’appeler tourtière.
Il tire donc la sonnette d’alarme: sans possibilité d’évolution, la tourtière risque de disparaître, comme c’est le cas en France. Mais ce ne sera pas à cause de lui car cet hiver, il réinvente sa version et quitte à déplaire aux Saguenéens, elle sera à plusieurs étages et nappée de foie gras. Y
L’incroyable odyssée de la tourtière
de Jean-Pierre Lemasson
Éd. Amérik Média, 2011, 163 p.
Je viens de terminer deux pâtés au poulet. Recette originale de ma mère. Du poulet( ben kin!), des oignons, de la carotte hachée menue et des pois verts frais écossés de leur enveloppe. Le tout dans un bouillon maison parfumé à l’ail, au curry doux, et au thym.
J’ai eu de la misère avec la pâte. C’est pas de la faute du rouleau à pâte…disons que je suis plutôt impatient avec la farine blanchie!
J’ai fait cuir au four. C’est « soutenant », comme dirait ma mère qui chantait des tounes de La Bolduc en nous faisant ses tourtières. Ça donnait de l’allant à nos appétits d’enfant et c’est pour ça qu’on était joyeux autour de la table familiale à Noël. Moi, le foie gras dans la tourtière, j’en ai rien à cirer. C’est pas de chez-nous ce truc-là. Je suis pas contre quand même. C’est un raffinement qui nous détourne de la vraie nature de notre tourtière, faite des maigres ressources à la disposition de nos parents autrefois, mais parfumées à l’amour chantant d’une génération qui a mis un génie considérable à quitter la campagne pour la ville, après la guerre 39-45.
Il y a un peu de mémoire de ma mère bienheureuse dans mes pâtés, et tous les raffinements que je pourrais y mettre y seraient d’un fort mauvais goût. Et en les faisant, je ne l’entendrais plus chanter, aujourd’hui…