BloguesÉlise Desaulniers

Exploitez un travailleur et économisez 60 cennes

Chez Juliette et Chocolat, on oublie qu’on est sur une rue St-Laurent délabrée où la moitié des espaces commerciaux sont à louer. Le plus souvent, il faut faire la queue pour avoir une place : toutes les tables sont occupées et on trouve des Canada Goose sur le dossier de la majorité des chaises.

Mais ce n’est pas la popularité du café qui me surprend. Ce sont les prix. Chez Juliette et Chocolat, on doit payer 0,60 $ pour avoir du café équitable. Come on! Sur une tasse d’espresso à 2,40 $, ça représente un extra de 25 % pour boire du café produit dans le respect des travailleurs. La très grande majorité des clients ne doit pas se rendre jusqu’aux petits caractères du menu et prendre la peine d’exiger du serveur que son café soit équitable.

 

L’option par défaut

Et si c’était le contraire qui était proposé? Et si l’espresso était offert à 3 $ (admettons que le café équitable coûte effectivement plus cher[1]) et qu’en petits caractères il soit écrit : « café inéquitable : soustrayez 0,60 $ ». Rares sont ceux qui feraient l’effort d’exiger leur rabais en disant « tant pis pour les travailleurs colombiens ». Les clients du Juliette et Chocolat ne sont pas des sans cœur et des égoïstes. Ils sont victimes de biais cognitifs : on choisit souvent sans réfléchir, l’inertie est plus attirante que l’action et le choix proposé par défaut est perçu comme le meilleur.

L’exemple suivant est assez éloquent : quand on est invité à diner dans une conférence, le repas par défaut est un repas carné. Le serveur demande néanmoins à chaque participant s’il souhaite un repas végétarien et rares sont les personnes qui en font la demande. Mais que se passerait-il si les choix étaient inversés ? Les organisateurs d’une conférence ont fait l’expérience : ils ont fait du plat végétarien l’option par défaut. Résultat : 80 % du public de la conférence a opté pour les légumes. Non pas parce qu’il y avait beaucoup de végétariens dans la foule, mais parce que le choix a été présenté différemment[2].

C’est exactement la situation du Juliette et Chocolat. Si le choix par défaut était le café équitable, la très grande majorité des clients choisirait cette option. Juliette, voulez-vous réimprimer vos menus?

 

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Je vois tout de  même des limites à l’efficacité du commerce équitable. J’en parlais ici.

À lire, sur sur les biais cognitifs et sur l’idée d’option par défaut : le blog Nudge de Cass Sustein et Richard Taylor et celui du spécialiste en économie comportementale Dan Ariely.


[1] Je ne connais pas les prix du café en gros, mais à titre d’exemple, en épicerie, les cafés Van Houtte équitables et non-équitables sont vendus au même prix.
[2] Tiré de « L’étude des comportements peut-elle permettre de changer ».