BloguesÉlise Desaulniers

Abattage rituel : se pose-t-on les bonnes questions ?

Depuis quelques semaines, j’observe le débat sur les rites d’abattage halal faire rage en France comme je remarque la sortie des films dans lesquels joue Arielle Dombasle : en espérant que ça ne traverse pas l’océan. Mais pas de chance, l’opposition péquiste a amené la question sur le tapis hier. L’abattage des animaux de consommation selon les rites religieux «heurterait de plein fouet» les valeurs québécoises.

André Simard, porte-parole de l’opposition en matière d’agriculture, s’inquiète du phénomène de l’abattage rituel — halal ou casher — qui semblerait prendre de l’ampleur au Québec. «Cet abattage implique un rituel, le sectionnement de la gorge et le saignement de l’animal encore vivant [conscient]. Comme vétérinaire, je peux vous dire que ce type d’abattage ne correspond pas, selon moi, aux valeurs du Québec». Il oppose l’abattage rituel à « l’abattage laïque » qui prévoit l’insensibilisation de l’animal — généralement par électrocution — avant la mise à mort. Le problème, pour André Simard, c’est que le consommateur ne sait pas comment les animaux qu’il consomme ont été abattus : il pourrait manger halal sans le savoir.

 

Le bien-être ne commence pas à l’abattoir

Le consommateur ne sait peut-être pas comment son bœuf ou son poulet a été tué, mais il ne sait pas non plus comment sa viande a été élevée. L’animal ne devient pas soudainement conscient et sensible quinze minutes avant d’être tué. Si abattre un animal encore conscient heurte les valeurs québécoises, notre loi qui permet de transporter les porcs ou les poulets pendant 36 heures sans eau, nourriture ou protection contre le froid serait aussi problématique. On peut aussi demander en quoi le fait de garder des truies dans des cages de gestation toute leur vie ou d’entasser les poules pondeuses dans des minuscules cages correspond à nos valeurs. Et même l’abattage « laïque » défendu par André Simard connaît des ratés importants : rappelons-nous simplement cette terrible scène filmée l’an dernier dans un abattoir de Saint-André-Avellin où près de la moitié des chevaux n’étaient pas rendus inconscients au premier coup.

L’an dernier, la Humane Society a décerné au Québec le prix de la pire province en matière de protection des animaux et depuis, pratiquement rien n’a été fait. Le Livre Vert sur une politique bioalimentaire publié par le gouvernement l’an dernier ne mentionne le bien-être animal qu’une seule fois – comme façon d’amener les entreprises à se distinguer. Et malheureusement, personne n’a dit que continuer d’utiliser les animaux comme de simples moyens de s’enrichir était contraire à nos valeurs.

 

La religion n’excuse rien

Pour revenir au cœur du problème, si on choisit de manger de la viande, elle doit à tout le moins provenir d’animaux qui ont eu une vie décente et qui ont été tués de la façon la moins souffrante possible. Je suis d’accord avec le philosophe Peter Singer pour dire que saigner un animal encore conscient n’est pas la meilleure façon de le tuer. Puisque la viande n’est pas une nécessité pour personne, l’interdiction de pratiques rituelles ne pourrait violer le droit de pratiquer une religion. Si quelqu’un refuse de consommer de viande abattue d’une certaine façon, cette personne peut choisir de ne pas manger de viande, comme je le fais depuis plusieurs années déjà.

Une amie a bien résumé ma pensée : « j’entends parler du débat halal et je me sens comme une non-fumeuse qui écoute des fumeurs s’obstiner sur « sans filtre » ou « avec filtre ». ». Le cœur du problème n’est pas dans la façon de tuer les animaux, il doit être dans notre façon de les élever et même dans la nécessité de les tuer. Manger de la viande n’est pas nécessaire, et c’est particulièrement vrai dans les pays développés comme le nôtre où un régime carné est un luxe. Il y a eu au cours des derniers siècles énormément de progrès dans notre attitude envers les animaux et malheureusement, les pratiques religieuses et les lois n’ont pas suivi.

Gandhi disait qu’on peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités…