BloguesÉlise Desaulniers

À quoi sert la spiritualité ?

J’ai grandi dans la foi, avec les cours de catéchèse et les sacrements. J’ai même servi la messe et fait des chemins de croix. Mais comme la plupart des gens de ma génération, j’ai tout mis de côté.

Je ne suis pas seule : dans sa dernière présence à TED, le psychologue américain Jonathan Haidt a commencé sa présentation en demandant à l’auditoire qui était croyant. Quelques mains se sont levées discrètement. Pas étonnant, on est dans une conférence d’intellos libéraux. Il a ensuite demandé qui avait une spiritualité. À ce moment-là, il y avait presque autant de mains levées que de têtes. Même les intellos ont une spiritualité. Mais pourquoi sommes-nous ainsi ?

 

Stairway To Heaven

Qu’on soit dans la rue à manifester avec 200 000 autres personnes, en train de danser à deux heures du matin ou en train de faire « om » dans un cours de yoga, il y a quelques moments dans la vie où on s’oublie comme individu pour se fondre dans un groupe. On appelle cet état d’esprit l’autotranscendance, le sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand et de plus noble que soi. Dans ces moments, on est simplement bien, emballé et transporté.

Athées ou croyants, nous sommes tous susceptibles de vivre ces moments d’autotranscendance, comme si notre esprit contenait un escalier secret qui nous amène de notre vie quotidienne à quelque chose de sacré et de rassembleur. Sauf que la porte pour cet escalier ne s’ouvre que très rarement. Les religions du monde présentent différents moyens d’accéder à l’escalier : certaines proposent la méditation, d’autres, la danse, des chants ou des mouvements répétitifs. Elles ont toutes en commun l’idée qu’on doit s’unir à d’autres pour accéder à plus grand que soi. Cette idée de l’escalier de la vie matérielle vers le sacré rejoint la théorie d’Émile Durkheim selon laquelle l’homme a une double origine : l’une céleste, l’autre terrestre ; l’une naturelle, l’autre surnaturelle. Il appelait cet humain homo duplex.

 

Tous pour un

Mais si on revient au matériel, à quoi tout cela sert-il ? Pourquoi l’homme est-il en quête de spiritualité ? Jonathan Haidt nous propose une explication évolutionniste : pendant une longue période, nous avions intérêt à nous oublier comme individus pour nous fondre au groupe. En d’autres mots, la religion serait l’effet de l’adaptation biologique ; elle sert à unir les groupes pour aider les individus à se battre ensemble pour le même but. Les groupes qui ont développé une symbiose forte ont réussi à long terme à vaincre ceux qui étaient moins unis.

La religion ferait donc  partie de la nature humaine. Nous n’avons évidemment pas évolué pour joindre des grandes organisations religieuses, plutôt récentes, mais nous avons évolué pour voir du sacré autour de nous et pour nous joindre aux groupes qui se forment autour d’objets et d’idées sacrés. Même la politique est sacrée : il y a évidemment des intérêts personnels, mais ceux qui se joignent à des partis politiques le font souvent pour des idéaux moraux, pour imposer à la société ce qu’ils considèrent comme le bien en opposition au le mal.

 

L’impossibilité d’une île

À partir du moment où on voit la spiritualité comme une façon d’aider les groupes à s’unir et à compétitionner, on saisit l’importance qu’elle a encore aujourd’hui dans nos vies. On peut aussi mieux comprendre l’insatisfaction que plusieurs d’entre nous vivons face à la vie moderne où l’emphase est mise sur l’individu. On se réjouit de notre liberté, mais on se demande quand même à quoi tout ça sert, ce qu’on devrait faire de nos vies, ce qui manque. Ce qui manque, c’est le deuxième étage, au bout de l’escalier, la seconde partie de l’homo duplex que nous sommes. Là où on fait quelque chose de bon et de noble, où on fait partie de quelque chose de plus grand que nous. Pour reprendre une citation d’il y a 400 ans : « Aucun homme n’est une île, complet en soi-même ; chaque humain est une partie du continent, une partie du tout. »

 

La conférence de Jonathan Haidt peut être vue ici (avec sous-titres français).