Qu’est-ce qui est le plus authentique? Acheter des légumes produits en Chine chez IGA, du bio dans le marché local ou encore les faire pousser soi-même à la sueur de son front dans sa cour?
Si vous avez répondu que cultiver ses propres légumes est plus authentique que les acheter, vous n’êtes pas seul : nous sommes de plus en plus nombreux à avoir hâte de remplir nos Smartpots de semences bio ancestrales. La lecture du plus récent livre Je suis vrai : tomber dans le piège de l’authenticité du philosophe canadien Andrew Potter aura l’effet d’une douche froide sur ceux qui, comme moi, ont l’impression de faire le bien en jardinant. Cette recherche de la bonne façon de se nourrir aurait moins à voir avec la préservation de l’environnement qu’avec le désir d’une certaine image de soi qui passe par le rejet de la société de consommation. La recherche d’authenticité serait donc une recherche de statut social. Je suis vrai parce que je cultive mes propres légumes, et je suis encore plus vrai que mon voisin parce que je fais aussi mon pain.
Se perdre en essayant de se trouver
Le livre de Potter commence avec l’histoire de Florent Lemaçon, un ingénieur français qui se sentait aliéné par notre époque. Il ne voulait pas de l’éducation imposée par l’État, de la culture de consommation et de tout ce qu’il voyait autour de lui. Il a tout laissé pour faire le tour du monde en voilier avec sa femme et son fils. On lit son histoire et on dit « wow ». On partage avec lui l’impression que la culture ambiante nous aliène et qu’il faut aller chercher un sens ailleurs. On lit l’histoire et on se dit que c’est un homme courageux, un homme vrai. Lui a osé partir. Autour de nous, on a des dizaines d’histoires du genre, à la Eat, Pray, Love de gens qui se sont trouvés en allant voir ailleurs. Comme le monde ne répond pas à la question du sens de la vie, on cherche une réponse ailleurs, en soi. On veut être fidèle à qui on est, à ses émotions. La recherche de l’authentique constitue la plus grande quête spirituelle de notre temps.
Malgré les avertissements, Lemaçon s’est rendu dans le golfe d’Aden, près de la Somalie, où des pirates l’ont kidnappé. Il a suivi sa voix intérieure et n’a pas écouté les conseils qu’on lui donnait, comme si les pirates étaient moins dangereux que la culture de masse. Lemaçon est mort dans l’opération de sauvetage.
L’histoire de Lemaçon est un peu extrême, mais la plupart d’entre nous entretiennent cette idée que nous possédons une identité « authentique » au cœur de nous-mêmes et que la société nous en coupe. Plus on enlève des couches de société (en achetant directement du producteur, en faisant du yoga comme les anciens, en troquant les tout inclus pour des virées dans le désert), plus on a l’impression de devenir vrai.
Acheter, c’est exister
Mais plus concrètement, cette démarche vers le vrai se fait à travers les yeux des autres. On essaie de faire concorder la personne que les autres voient avec celle qu’on croit ou qu’on voudrait être, d’aligner l’extérieur avec l’intérieur. Et c’est par la consommation qu’on montre ce qu’on est. On ne consomme pas un bien, mais un mode de vie. Lululemon vend un mode de vie. Ricardo aussi. Il n’y a rien de mal à faire du yoga, à cuisiner, acheter local et jardiner. Par contre, il faut distinguer ce qui est bénéfique à notre santé ou à la société de ce qui sert seulement à nous valoriser égoïstement. Est-ce que les mégas installations de jardins urbains que Ricardo construit dans le cadre de son émission bénéficient à l’environnement où à l’égo des participants? Est-ce qu’on est un meilleur yogi quand on a fait du Bikram avec 200 $ de linge sur le dos?
Pour Potter, la recherche d’authenticité est donc avant tout une recherche de positionnement social. Les biens « authentiques » le sont précisément parce que tous ne peuvent pas les avoir. En étant en compétition les uns avec les autres pour savoir lequel est le plus authentique, on cherche à montrer notre goût raffiné et notre supériorité morale. Manger bio, c’est bien. Manger local, c’est mieux. Mon jardin urbain est plus gros que le tien, je suis une meilleure personne.
C’était mieux dans le temps
On cultive nos légumes, on fait des voyages qui nous montrent le vrai monde, on cherche à élire des politiciens qui parlent « vrai » et on veut être fidèles à nous-mêmes. La recherche d’authenticité est en quelque sorte une recherche d’un hier plus vrai. Sauf que la vie d’antan n’était pas plus authentique que celle d’aujourd’hui et n’a jamais été un conte de fées. Déjà en -400, Socrate était nostalgique d’un hier plus vrai : « les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, ils sont mal élevés, méprisent l’autorité, n’ont aucun respect pour leurs aînés et bavardent au lieu de travailler. » La belle vie!
Or, constate Potter, « si nous rêvons tous d’authenticité, comment se fait-il que le monde semble chaque jour plus “irréel” »? Ferions-nous fausse route en croyant nous extirper de ce monde superficiel? En cherchant à être vrai, on vide nos portefeuilles et on perd notre sens critique. Parce que l’authenticité n’existe pas, pas dans le sens qu’on lui donne pour donner un sens à nos vies. En cultivant nos jardins, on n’est pas plus authentiques que nos papas qui bavaient d’envie devant la Chervrolet Impala 1963. L’authenticité à laquelle on aspire les mains dans la terre n’a jamais existé. Les jardins urbains ne sont que le dernier truc à la mode. Assumons!
Il faudra que vous goûtiez mes tomates, très chère, je ne sas pas si c’est l’ego que j’y mets, mais elle sont délicieuses. 🙂
Outre le goût, Je jardine pour retrouver la lenteur d’un rythme plus propre à la vie, par la contemplation que le végétal propose, aussi pour montrer à mon fils le temps nécessaire à produire de la nourriture, enseignement intéressant pour un enfant qui grandit en ville, avec comme seul spectacle maraîcher habituel, un comptoir de légumes. Il y a aussi toute la symbolique associée au geste de plonger ses mains dans la terre pour lui demander sa pitance, forme de prière, en quelque sorte, et qui est nourrissant d’un point de vue émotif et philosophique.
Par contre, le point de vue d’Andrew Potter, lui, est enfant d’un cynisme bien contemporain, justement… Il confond tout, d’une certaine manière: l’humain est toujours à la recherche de modernité, et la modernité change de forme. Aussi, le potager, anciennement répandu, puis presque disparu, revient pour des raisons différentes: de la simple survie alimentaire, il prolifère maintenant sous la forme d’un lien à son alimentation disparu brièvement, mais utile pourtant à l’équilibre psychique, qui carbure aux symboliques, on le sait —en ce sens, le jardinage est devenu une modernité thérapeuthique—, mais aussi à travers une recherche du goût qui se perd dans le légume des hypermarchés.
Merci d’avoir posté ce texte, c’était un plaisir d’y répondre et de partager ma vision du potager. J’imagine qu’elle ne représente pas obligatoirement celle qui tisse la nouvelle tendance, mais bon…
Au plaisir,
Yvon
La recherche de l’«authenticité» (je mets entre guillemets parce qu’elle n’est qu’un signifiant sophistique qui cherche l’assentiment dans le discours) est un des avatar les plus puissants du capitalisme consumériste contemporain. Dans ce petit texte, Lipovetsky pose particulièrement bien le problème, à mon sens:
«La société d’hyperconsommation est paradoxale : tandis que triomphent le culte du nouveau et la logique généralisée de la mode (image, spectacle, séduction médiatique, jeux et loisirs), on voit se développer, à rebours de cette espèce de frivolité structurelle, tout un imaginaire social de l’authentique. On en constate chaque jour les effets : c’est la quête des « racines » et la prolifération des musées et des écomusées (pas une petite ville qui n’ait son écomusée, comme ce musée de la Crêpe de Bretagne). C’est le culte du patrimoine, avec ses quartiers réhabilités, ses immeubles ravalés, ses hangars reconvertis ; sans parler du succès des brocantes, un des loisirs les plus prisés des Français. C’est, aussi, la mode du vintage. La logique de l’authentique innerve de nombreux secteurs, y compris alimentaires avec ses appellations d’origine protégée qui assurent le consommateur de l’authenticité des produits.
On n’en finirait pas, à vrai dire, de recenser toutes les manifestations de cette soif d’authenticité. Il faudrait parler également du développement touristique des voyages dans des contrées « sauvages » ou de l’intrusion du « parler vrai » dans le politique, ainsi que du succès des discours et référenciels identitaires. Le retour du religieux y participe, en ce qu’il fait signe aux « vraies » valeurs contre la société frelatée, gouvernée par l’éphémère, le superficiel et l’artifice. L’immémorial contre l’impermanence : les deux mouvements, bien sûr, se nourrissent, la poussée du frivole favorisant celle de l’authentique.
Cet imaginaire naît de l’anxiété liée à la modernisation effrénée de nos sociétés, à l’escalade technico-scientifique, aux nouveaux périls pesant sur la planète. Il traduit une nostalgie du passé qu’on idéalise, d’un temps qui ne se dévorait pas lui-même, mais où l’on savait mieux vivre. une illusion, sans doute, qui s’accompagne d’un regard critique sur notre univers insipide, stéréotypé, où sont éradiqués la sociabilité et les sens et où règne en revanche la dictature du marché et des marques. L’authentique compense par sa chaleur, ce défaut de racines et d’humanité. C’est un imaginaire protecteur qui évoque un monde à l’abri de ces désastres.
Cette soif d’authenticité traduit-elle une pensée rétrograde, une revitalisation de l’esprit de tradition ? Nullement : elle correspond à l’épuisement de l’idéal du bien-être tel qu’il s’est construit au cours des Trente Glorieuses en même temps qu’une nouvelle exigence de mieux-être à l’heure où la voiture, la télé, la salle de bains sont diffusées dans toutes les couches sociales. L’authentique n’est pas l’autre de l’hypermodernité : il n’est que l’une de ses faces, l’une des manifestations du nouveau visage du bien-être, le bien-être émotionnel chargé d’attentes sensitives et de résonances culturelles et psychologiques. Un bien-être au carré, non plus simplement fonctionnel, mais mémoriel et écologique, qualitatif et esthétique au service de l’affirmation de l’individualité. Ironie des choses : le culte de l’authentique qui remonte à Rousseau, et qui a nourri la contre-culture, via Heidegger, s’est développé dans les années 1960-1970 contre le bourgeoisisme et les conventions « oppressives ». Nous n’en sommes plus là : délesté de toute portée protestataire, le culte de l’authenticité apparaît comme la nouvelle manière de rêver et d’acheter de l’Homo consumericus contemporain.»
Gilles Lipovetsky
«La fièvre de l’authentique» in : Jérôme Garcin, Nouvelles mythologies, Seuil, 2007 p. 107.
Cynisme délirant. Vous avez lu un article, vous vous y êtes reconnue, alors à vous d’assumer sans nous projeter vos propres insécurités devant votre quête d’« authenticité ».
J’aimerais obtenir les coordonnées de la Mme qui loue des chèvres aux USA.
Nom du commerce:
Endroit ville & état :
Nom de la Mme :
Merci,
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