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Nathan et Jacques, les fatalistes

En assistant à Nathan, la dernière pièce d’Emmanuel Schwartz présentée au FTA samedi soir, j’ai retrouvé un plaisir rare et libérateur, découvert à son meilleur à la lecture de Jacques le fataliste. L’écriture de Schwartz, foisonnante et débridée, n’est pas celle de Diderot, mais l’auto-dérision et la raillerie y sont forts bien amenés et valsent habilement entre le sérieux et la satire, comme chez l’arrière-cousin français.
Nathan, un grand brûlé cherchant à écrire sa généalogie, dirige les personnages par la force de son cerveau, mais se fait constamment interrompre par les membres de son clan qui viennent briser son grand récit à mesure qu’il essaie de se construire. Bavard, philosophe et obnubilé par sa lignée maudite (cette fatalité qu’il cherche à déjouer), Nathan fait penser à ce bon vieux Jacques sans cesse interrompu par son maître. Ici, c’est la famille de Nathan qui casse sans cesse l’élan du narrateur, aux prises avec un goût immodéré pour le récit épique, la tragédie et les envolées grandioses. Tout à tour, les personnages interviennent et refusent de participer à la reconsitution de leur histoire réécrite par leur frère qui se prend pour Dieu et les fait royalement chier. Ça provoque des confrontations violentes, beaucoup de situations comiques et de quoi se souvenir comment la famille fait décidemment un beau champ de bataille.

À coups de digressions et de décrochages, Schwartz libère son verbe ample, prend les poses des grands mythes et fait appel à la numérologie pour comprendre le sens de la filiation, tout en remettent en question les principes mêmes du récit, venant questionner les fondements de l’histoire, la grande comme la petite. Parfois un peu éparpillée parce qu’exubérante et touffue, osant des écarts parfois franchement éloignés du centre de l’histoire, Nathan charme par son audace, celle d’un auteur qui préfère les extrêmes à la nuance et cherche à comprendre l’élan prolixe du théâtre en le ramenant sans cesse en face de ses excès, démolissant et rebâtissant l’édifice d’un art et d’un homme, mégalomanes et fragiles.

La mise en scène, simple, permet à la parole de se déployer dans toute sa puissance, mais c’est surtout le jeu des excellents comédiens qui donne à cette fresque humaine et monstrueuse toute son amplitude. Schwartz dirige bien ses acteurs. Quelque chose d’euphorique et d’assumé qui fait bon à voir : Étienne Pilon et Ève Pressault sont flamboyants, mais tout le reste de la distribution est solide : Larissa Corriveau, Francis La Haye, Dominique Leclerc, Alexis Lefebvre, Jean Marchand, Marie-France Marcotte, Bernard Meney, Mani Soleymanlou, Guillaume Tellier et Fanny Weilbrenner. Du beau boulot, avec du souffle, une écriture inspirée qui assume ses enflures et un sens aigue de la dérision qui m’a fait rire et valser comme avec le bon vieux Diderot.