Une lettre que j’avais écrite à Mon cher Jacques Bertrand en juin dernier…
Absurde absence
21 Juin 2014
Cher Jacques,
Je viens d’entendre un montage de tes signatures, avec ta voix si familière, à la dernière de la Tête Ailleurs. Ta voix toute jeune déterrée des enregistrements de tes années de radio en Alberta, ta voix moins jeune et enjouée à la barre de
Bonsoir l’Ambiance et de Macadam Tribus…
Du temps où je travaillais avec toi, je me souviens que tu aimais bien les dernières de saison. La perspective des grandes vacances, la possibilité de ne rien faire, de lire des livres, de boire un coup, de faire de la musique avec tes chums…Tu aimais bien la perspective de la lenteur égrainée doucement. Voilà l’été des Négresses vertes aurait pu être ton hymne national.
Mon père compare souvent la vie à une grande table de billard. Sans le savoir, on frappe sur une boule qui en frappe une autre, qui en frappe une autre et finit par nous amener dans le bon trou.
Dans ma game à moi tu as été un coup décisif. Et ce n’est pas si fréquent dans la vie d’associer quelqu’un à un tournant.
Un soir, alors que je travaillais à Windsor comme journaliste à la station régionale de Radio-Canada dans le sud-ouest de l’Ontario, j’ai reçu un message de la réalisatrice de Macadam Tribus. Le recherchiste avec qui tu travaillais depuis longtemps, François Blain, avait lu quelque-part qu’il y avait à Détroit une guerre de graffiteurs et elle me demandait si je pouvais m’y rendre pour vérifier l’histoire…
En 2002, Macadam Tribus était un show phare, formidable, déjanté…Y participer, wow, un honneur. Après ma journée de travail, j’ai donc traversé le fameux pont qui relie Windsor et Détroit et me suis dirigé au poste de police du centre-ville.
Depuis les émeutes raciales en 1968, Détroit est une ville presqu’exclusivement peuplée de noirs et l’arrivée d’une grande blonde au poste de police a fait rigoler tout le monde avant même que je n’ouvre la bouche. Quand j’ai expliqué la raison de ma présence, l’hilarité était à son comble…et on même appelé la chef.
-Une journaliste canadienne s’intéresse à l’histoire de Turtulmen…L’homme aux tortues…!!!!!
Bien sûr que tout le monde au poste de police du centre de Détroit connaissait cette histoire. La ville abandonnée, aux édifices déserts placardés, fournissait un canevas de rêve à tous les artistes de rues de haut calibre. On s’y rendait de partout pour faire des œuvres…
Et puis, un type (peut-être une fille, qui sait ?) s’est amusé à peindre sur les tableaux des autres des tortues, des grosses, des petites, des tortues qui mangent, des tortues qui font l’amourUne offensive, une attaque en bonne et due forme de tortues qui déchainaient des passions dans le monde du Street Art américain. Dans cette ville où le nombre de meurtres est digne du Far West, on en revenait pas qu’une journaliste canadienne fasse le déplacement pour ça.
-You wanna see the Turtles …Come along…
Tu veux voir les tortues, m’a dit la chef de police…Viens !
Nous sommes partis. Moi à l’arrière de la voiture de police. Nous avons vu des centaines de ces tortues peintes partout sur les édifices abandonnés. Et puis. Et puis, j’ai découvert le sens du mot stabbing ! Ça faisait peut-être trente minutes que nous étions dans la voiture quand la radio des policiers s’est animée.
-Stabbing at the corner of…
Je ne savais pas encore ce que signifiait le mot anglais stabbing…J’allais l’apprendre éminemment.
Quand nous sommes arrivés sur les lieux du crime, après un tour d’auto à 180 km/hrs, j’ai compris que ça voulait dire : poignardé !
Anyway, je vous passe les détails sur la scène sordide.
Je t’ai raconté tout cela en direct de Windsor, de mon appartement où j’attendais nerveusement d’entrer en ondes. Ce fut notre premier contact radio.
Un coup sur la boule de billard de la vie.
Après, j’ai participé à ton show souvent et puis, je suis rentré à Montréal et, pendant 5 ans, j’ai fait, chaque semaine, un reportage dans ton show. Macadam, on m’en parle encore, tellement souvent.
Le dernier reportage que j’ai signé au studio 24, celui que tu aimais tant et qui ressemblait à un chalet de ski, s’intitulait :
Le temps et rien d’autre. Ça fait six ans déjà. C’était le portrait d’un des derniers horlogers de Montréal. Il réfléchissait sur le temps qui passe. Sur la vie qui passe. Le temps et rien d’autre.
Parfois, on croit que certaines choses, certaines personnes, certaines relations sont immuables, mais le tic tac immuable compte. Tic Tac, tic tac…Implacable. Presque brutal.
J’avais quitté Macadam Tribus parce que toi et moi, on ne s’entendait plus, mais je croyais ta voix éternelle. Je t’écoutais comme on voit un ex pour un café et je croyais que tu serais toujours là, quelque-part dans la grille horaire de ma radio.
Présent. Parce que quand on a aimé quelqu’un, l’absence est un non-sens.
Salut Jacques. Tu vas nous manquer. Profite bien de la lenteur…
Emilie.
Quelle belle lettre du fond du coeur.
Meme du Bi Ci j’ai eu la grande chance de connecter avec Jacques et bien sur avec toi, grace aux Internets.
Merci d’avoir pris le temps d’écrire ces mots en juin et de nous les faire connaitre aujourd’hui.
Ils nous a tous marqué et nous a fait vivre de bonnes heures si incroyables que je ne saurais par quoi commencer. La Zizique, les chroniques et sa complicité avec les chroniqueurs, Monsieur le Professionnel Lemieux, le Meilleur?? Tout, tout semblait d’une facilité incroyable.
Merci Jacques.
Des pensés pour tes proches.
Vous passez vite sur la rupture et c’est votre affaire. Quoique dans le cas de Jacques Bertrand, je devine que la ou les ruptures dans sa vie récente ont eu un rôle énorme dans sa disparition, quelle soit volontaire (suicide) ou pas.
Je n’ai pas compris pourquoi il était absent de son émission, La tête ailleurs, depuis février. De semaine en semaine, Stéphane Garneau le remplaçait sans savoir s’il serait présent la semaine suivante. Il disait à ses auditeurs le dimanche peu avant 19h, «à bientôt» dans le sens de à la semaine prochaine, peut-être.
De quoi souffrait M. Bertrand de février à juin 2014 ? On ne l’a jamais su tout comme on ne connaît pas la cause de sa mort.
Très très beau texte, Émilie.
Mario
Honni Radio-Canada avec l’interruption de cette si belle Émission «La tête ailleurs» et par le fait même le départ d’un si grand. Beau travail …
Je suis très touchée par cette lettre « d’amour ». Merci et adieu Jacques. Moi aussi, je vous ai tant aimé.
Très cher Jacques!
Comme beaucoup d’auditeurs de RC, ta voix unique par son timbre mais surtout par son intelligence et sa vivacité restera gravée dans nos mémoires!
Merci pour toutes les heures de pur plaisir passées à t’écouter!
Sincères condoléances aux proches, nous partageons votre peine.
Je voudrais juste dire…
J’ai passé des tonnes d’heures à écouter Jacques Bertrand à la radio,
Parce que c’était un plaisir, parce ce que, peut être, je me sentais intelligente,
J’ai simplement cette impression d’un chef d’orchestre qui manie le micro avec humour, raffinement et tellement d’humour et d’intelligence.
Je m’ennuie de lui depuis sa première absence au printemps dernier…
Je vais devoir me résigner : plus jamais je ne l’entendrai…
C’est triste.
Je voudrais savoir : il existe, au delà, une radio avec Chantal Jolis, René Mailhot, Jacques Bertrand et, éventuellement, Languirand?
Si oui, ben, ça devrait pas être trop plate… au contraire!
Je suis un homme de radio et particulièrement de Radio- Can que j’écoute
depuis 40 ans. Je pourrais presqu’en écrire l’histoire. Il y a les têtes d’affiche
Les Le Bigot, Homier Roy , Bazzo et autres. ceux de l’ombre: jacques Beaulieu
Elisabeth Gagnon, Andre Rhéaume et j’en passe,
Puis les defonceurs ceux de Bande à part
Macadam Tribu A la semaine prochaine et
Toi Jacques BERTRAND qui m’a si souvent accompagne
et qui créait un lien entre nous les écouteurs
Et ecouteuses de radio. Un grand salut à ton
Départ au moment ou Radio Canada agonise’
Admirable. Les mots justes pour le dire. Je n’étais qu’un auditeur assidu d’un animateur à la voix envoûtante et éclairée.
Pierre R Chantelois
Quel animateur!
Jacques Bertrand, par son humour, savait nous divertir tout en nous instruisant de ses réflexions et de la justesse de ses propos. Il était tout simplement brillant. Quand je me déplace en auto j’aime écouter Radio-Canada et sur la route quand Macadam tribus était à l’antenne j’étais très content, heureux de l’entendre partager ainsi avec moi ce qu’il aimant ce qu’il avait découvert d’une façon aussi vivante. J’étais avec lui dans ma tête et quel belle façon d’apprendre l’actualité.
Sa devait déranger drôlement certaines personnes trop lâche pour admettre que sa dérange. Toujours est-il que lors d’une grande vague de coupure de budget à R-C, Macadam Tribus disparu. Je me souviens qu’à l’époque il y avait eu aussi une vague de protestation pour protéger cette émission qui malheureusement n’a pas réussi à éroder le mur de l’indifférence placé au dessus de nos têtes.
Avec « La tête ailleurs » nous l’avons retrouvé et là perdu pour de bon.
Merci Jacques pour ton grand cœur, pour ta façon de nous aimer et de communiquer avec nous avec autant de passion et bonne route!