Les Affinités Électives : Porcelaine et Politique
Devant l’immensité du fleuve St-Laurent s’étend une large plaine verdoyante surplombée d’un imposant manoir. Au son du trio de cordes qui fait siffler ses archets avec grâce, le public fait progressivement son entrée au Domaine Cataraqui. Avant de passer au salon, les invités s’attardent auprès du major d’homme pour le service du thé et petites bouchées. Délicate porcelaine à la main, l’assistance s’installe finalement dans la salle principale, où le plafond vertigineux s’accorde avec le luxuriant jardin intérieur pour encadrer le personnage d’Alice.
Loin du pays des merveilles, Alice est une bourgeoise d’une charmante lucidité. Dans son fauteuil, sur un piédestal faisant face à l’assistance, elle introduit ses convives à sa nouvelle acquisition : une sombre sculpture dont la qualité artistique est remise en doute. « J’aime plus les musée que je n’aime l’art », déclare l’élégante dame, d’entrée de jeu. En effet, on ne parlera pas d’art très longtemps. Les lumières ouvertes, les yeux dans les yeux, Alice justifie sa prise de position sur les comportements sociaux, la guerre et la politique. Ses opinions, souvent drastiques et troublantes pour le public, sont néanmoins servies avec un sourire et une douceur désarmante tout au long du monologue, dans un discours où le vrai et le faux se mêlent constamment.
Les affinités électives met en scène Paule Savard dans un solo mémorable, qu’elle tient à bout de bras pendant les quelques 45 minutes du spectacle. Habilement, la comédienne réussit à nous entraîner chez Alice et à incarner un côté obscure de la bourgeoisie peu souvent dépeint dans la dramaturgie moderne. S’il est cependant difficile de s’identifier au personnage et à sa classe sociale, soulignons l’excellent travail de traduction de Joëlle Bond, qui réussit tout de même à l’humaniser avec subtilité. C’est un équilibre fragile que celui avec lequel joue Michel Nadeau et son équipe.
Le décor enchanteur du Domaine Cataraqui compte pour beaucoup dans l’efficacité de la représentation : un tel texte n’aurait certainement pas la même portée dans une salle. Aussi, cet enrobage sucré aurait-il gagné à se prolonger tout au long de la représentation, de sorte que le concept immersif de l’hôte et de ses invités soit poussé au maximum. Des tables sur lesquelles poser nos tasses, un major d’homme (David Grenier) plus présent pour les invités, bref, un salon respectant moins les conventions théâtrales, qui briserait l’éternelle tradition des spectateurs en rangs d’oignons.
La mise en scène reste, somme toute, intéressante, pour un texte et un concept pertinent. Une courte pièce bien choisie par le Théâtre Niveau Parking, qui laisse flotter plusieurs questions morales dans l’esprit des spectateurs, à l’issu d’une rencontre qui se termine brusquement, sans pour autant nous laisser sur notre faim.