Dimanche 6 octobre, 7:00am, terrasse de l’hôtel Colina, quartier du Vedado, La Havane.
J’écris heureux mais gêné sur un clavier qui coûterait vingt-cinq mois de salaire à l’homme qui m’amène mon troisième café. J’écris heureux mais gêné à deux rues de chez Yoani Sànchez, la blogueuse dissidente, la journaliste sur écoute, qui doit redoubler d’imagination pour faire voyager chacun de ses mots, tandis que le régime la surveille. J’écris heureux mais gêné parce que j’ai, ce matin, un sentiment de liberté tel que mes doigts tremblent de joie confuse.
Désintoxication. La Havane est mon chalet, mon répit, mon pays sans magasin. Pause sur le progrès et ses enseignes aliénantes, pause sur la montre, pause sur l’efficacité. Porter la chemise et la barbe de la veille, ralentir dans le bordel bruyant et les échappements noirs de l’autobus en retard, aimer follement le chaos, changer de dictature. Joie indécente du gavé de passage, obscénité d’un homme libre au milieu du jamais facile: Yoani serait furieuse. Mais un autre matin, j’irai lui dire.
J’irai lui dire que je comprends de quoi elle veut se libérer, et libérer les siens. Je lui dirai que je les vois, les absurdités du régime qu’elle dénonce, que je les entends, les silences imposés, et qu’elle me révolte, cette détention en pauvreté. Mais j’irai aussi lui dire que ce qui l’attend, cet autre monde auquel elle aspire, le monde d’après Fidel, j’irai lui dire que ce monde-là sera tout aussi absurde et oppressant.
Demain, l’argent qui manque tant aujourd’hui, accompagnera la liberté. Demain, le Malecòn, si beau chaque soir plein de ses amoureux désoeuvrés se videra, vaincu par toutes les abondances, par tous les divertissements. Demain, les rêves de liberté ne seront plus que des rêves d’accumulation. Demain, une nouvelle propagande. Plus de révolution à chérir, mais des nouvelles illusions, des marques à adorer, des crédits à étouffer, des carrières à embrasser.
Demain moins de musique et moins de rêves, mais d’autres peines, d’autres pauvretés.
Bravo…….
Entre la quasi-indigence et le matérialisme débridé, il y a tout de même une grande palette de tons, Monsieur Savignac…
Je comprends votre critique de la dictature que nous vivons, celle de l’abondance, de la vitesse et de l’efficacité, où le rêve se traduit bien souvent en objectifs de rendement.
Je partage votre désir/plaisir de vous en délester, quoique temporairement, pour goûter à quelque chose qui semble plus simple, plus poétique, plus vrai; et le sentiment de liberté que ce changement apporte m’est aussi tangible.
Cependant c’est en effet gênant de mettre sur un pied d’égalité une dictature dont on peut se reposer à une autre qu’on ne peut mettre de côté aussi facilement.
Vous avez raison, l’une offre la possibilité de répit, l’autre pas. Je ne crois pas les avoir mis en parallèle cependant, en tout cas ce n’était pas mon intention. Mais s’il est vrai que nous jouissons d’une forme de liberté qu’on souhaite aux Cubains, nous subissons aussi une oppression qui altère notre liberté. Merci pour votre commentaire très juste.