Interrogée en conférence de presse sur ses critères de choix pour la programmation danse du Festival des Arts de Saint-Sauveur (FASS), Anik Bissonnette, la directrice artistique de l'évènement, a déclaré que la danse classique était beaucoup plus accessible que la danse contemporaine. J'ai trouvé l'argument vaguement partisan, vu que la dame est une ex-danseuse étoile des Grands Ballets Canadiens de Montréal. Et puis j'y ai repensé et j'ai dû reconnaître qu'elle n'a pas tout à fait tort, même si toutes sortes de créations contemporaines sont aussi très accessibles.
Dans ma réflexion sur le sujet, je me suis rappelé que je suis moi-même entrée dans la danse par la porte du classique. J'avais sept ou huit ans et je bavais tellement d'envie devant les tutus de mes cousines que ma tante m'avait inscrite à leur cours. Je crois bien qu'à ce moment-là, la danseuse classique était pour moi une figure symbolique de la féminité et de la classe. La danseuse de flamenco de ma culture paternelle en était une autre, plus animale, plus lointaine et, d'une certaine façon, plus intimidante. Inutile de vous dire que mes références ont changé.
Quelles qu'en soient les couleurs, la danse m'ouvrait alors un espace infini de rêves à accomplir : enfant sensible issue d'un milieu modeste, j'y voyais le lieu où les inégalités sociales pouvaient être gommées et où l'indicible pouvait être exprimé. Et je me souviens de mon premier cours comme d'un rituel d'initiation où le sentiment d'être privilégiée se mêlait à la fierté de posséder enfin ces collants chaire qui faisaient de si belles jambes, ce justaucorps bleu que le petit volant de voile transparent rendait spectaculaire et ces demi-pointes roses qui prenaient figure de bottes de sept lieues.
Au fil des ans, j'admirais dans mes cours une élève talentueuse qui exécutait des adages et enchaînait plusieurs fouettés sur pointes avec le plus grand naturel, mais je m'interrogeais sur la nécessité de torturer ainsi le corps et je préférais la vitalité et l'allégresse des danses de caractère à la rigueur du classique et à ses sourires forcés. Cependant, comme pour toute jeune provinciale française des années 70 nourrie de culture populaire, en dehors des comédies musicales et des chorégraphies des émissions de variétés, ma seule fenêtre ouverte sur la danse était celle du classique. J'ai dû attendre l'adolescence pour découvrir le néoclassique amélioré de Maurice Béjart et prendre des cours de modern jazz. Et c'est pendant mes études universitaires qu'a eu lieu la rencontre avec la danse contemporaine (qui n'est pas la danse moderne). Ça a été le coup de foudre.
Je vivais alors à Montpellier où j'ai assisté à la naissance de son célèbre festival de danse tandis que la danse contemporaine fleurissait dans toutes les grandes villes de France sous l'impulsion de politiques culturelles structurantes qui font rêver bien des artistes de par le monde. Dans cette cité méditerranéenne où Dominique Bagouet venait de se voir attribuer l'un des premiers centres chorégraphiques nationaux, j'ai vécu une fabuleuse initiation grâce à un ami éclairagiste qui me pourvoyait en invitations pour tous les spectacles. Carolyn Carlson (photo Laurent Philippe), Carlotta Ikeda, Jean-Claude Gallotta, Régine Chopinot, Merce Cunningham, Philippe Decouflé et le Nederland Dans Theatre font partie de ceux qui ont marqué ma mémoire.
Le hasard a voulu que je n'aie pas l'occasion de voir de ballet classique en scène dans cette période-là. Mon intérêt baissait d'ailleurs rapidement devant les retransmissions télévisée qui en étaient faites à l'époque. Et aujourd'hui, quand la conscience professionnelle me pousse à aller en voir un spectacle, je m'y ennuie généralement, même si j'y trouve un intérêt historique et anthropologique. Les territoires de la danse sont tellement riches de diversité que je me désole à l'idée que certains spectateurs ne s'offriront jamais la chance d'aller voir ce qui se fait en danse contemporaine.
En programmant Hélène Langevin, Naomi Stikeman et BJM_Danse avec des chorégraphies de Crystal Pite et Azure Barton, le FASS donne l'occasion de s'y frotter sans risque d'être dérouté. Ceux qui voudraient s'y essayer sans payer peuvent aller voir en plein air la proposition faite par la danseuse Francine Liboiron, le musicien Philippe Laloux et leurs invités ou tout simplement profiter du mois d'août pour passer quelques soirées au Théâtre de Verdure du parc Lafontaine. Si vous y allez, vous m'en donnerez des nouvelles.