Gros coup de blues dans le milieu de la danse. L’offre de spectacles est plus que foisonnante mais les salles sont plus vides que jamais. Et pourtant, ce n’est pas la qualité qui manque. Avec la deuxième édition de Destination Danse, l’Agora a fait venir quatre chorégraphes français dignes du plus grand intérêt. Et si les soirs de premières étaient aussi animés qu’à l’habitude, la plupart des sièges étaient inoccupés dans les jours suivants. J’avoue que j’ai eu honte face à ces artistes d’appartenir à une communauté culturelle qui se targue de son dynamisme et qui semble pourtant dépourvue de toute curiosité pour ce qui vient d’ailleurs. Bien sûr, la pièce Press de Pierre Rigal a fait salle comble dans le petit espace habituellement occupé par Tangente. C’est un objet artistique hors du commun, intelligent et divertissant à la fois, facile à aimer. Il a fait des émules qui ont porté la bonne parole sur Facebook. Mais ce n’était pas selon moi la pièce la plus intéressante des quatre à l’affiche. Bien plus soignées et exigeantes que bon nombre des œuvres conçues à Montréal, Matter de Julie Nioche, Le Cri de Nacera Belaza et Abstraction et Gravité de Fabrice Lambert, suscitaient toutes la réflexion sur le présent et l’avenir de l’art chorégraphique.
Idem pour le soir où je suis allée voir Musica Nocturna de Catherine Lalonde qui se risque à mettre sa poésie en scène et en mouvement. Le public était clairsemé dans la petite salle de l’Usine C qui venait pourtant de vomir une salle pleine pour la reprise d’Is You Me de et avec Benoit Lachambre et Louise Lecavalier. Aucune chance face à deux monstres sacrés et une pièce qui a ravi le public du FTA en 2007. Mais là encore, je trouve que c’est une pièce facile à aimer (et ce n’est pas un reproche) mais que ce n’est pas la plus grande œuvre de ces deux artistes. Lalonde a sans doute souffert de leur succès tout autant que Lambert et Belaza. Que voulez-vous, le public de la danse n’est pas si gros que ça et il n’a ni le don d’ubiquité ni la bourse à Rothschild pour aller voir tous ces spectacles. L’offre était d’ailleurs si importante ces derniers temps que je n’ai pu placer aucun spectacle de Transatlantique Montréal dans mon agenda. On en revient à la constatation qu’une concertation des diffuseurs pourrait bien être profitable aux œuvres et aux artistes.
Les problèmes au journal La Presse font également partie des causes possible de la désaffection du public. Car mes collègues Aline Apostolska et Stéphanie Brody, pigistes de leur état, se sont vu écartées des pages du quotidien de la rue Saint-Jacques jusqu’à ce que le conflit entre la direction et le syndicat soit réglé. En place des trois ou quatre articles qu’elles se partageaient chaque semaine depuis plus de 10 ans, les voilà réduites à un article chacune un mois sur deux. Ridicule. Depuis la rentrée, la danse a bénéficié de deux autres couvertures par des journalistes salariées qui, aussi professionnelles soient-elles, n’ont pas l’œil avisé de mes deux collègues. Et j’avancerai même que parmi ces deux articles, celui sur Hofesh Shechter, programmé par Danse Danse, pourrait bien être une réponse à l’important investissement publicitaire que fait chaque année le diffuseur dans La Presse. On peut penser que j’ai l’esprit mal tourné mais il faut bien reconnaître que la marchandisation dont est victime l’information menace dangereusement les arts ces temps-ci.
D’ailleurs, la rentabilité potentielle des œuvres fait désormais partie des critères plus ou moins officiels pour l’attribution des subventions. C’est ainsi qu’une jeune chorégraphe talentueuse et exigeante comme Catherine Gaudet (que j’ai mentionnée comme une artiste à surveiller dans mon papier de rentrée) s’est vue refuser toutes ses subventions d’aide à la création ou à la tournée. Là voilà donc au Danemark avec L’invasion du vide qu’elle présentera à Tangente en novembre, réduite à payer les billets d’avion de son équipe avec le généreux cachet qu’elle avait réussi à obtenir. Pour la petite histoire, sachez qu’elle a été invitée à présenter cette œuvre parce qu’elle a gagné un prix à l'International Choreography Competition du centre chorégraphique Archauz. Son prix, c’était d’avoir un bon cachet pour venir présenter une nouvelle création. Et vous savez quoi ? Elle avait, à l’époque, reçu toutes les subventions possible pour aller se faire voir à l’étranger. Paraît que ça donne une bonne image du Canada quand ses artistes participent à des concours et qu’en plus, ils les remportent. Et pour le suivi de leur parcours ? Qu’ils aillent donc se faire voir !
Bravo ce billet !
Oui, sonnons l’alarme : car ce qui menace aujourd’hui la danse est aux portes de tous les secteurs culturels…
Et double bravo pour le coup de gueule aux médias : si on ne commence pas par reconnaître les états de fait, notamment qu’il faut qu’un sujet traité dans un média soit rentable (soit en attirant des lecteurs, soit en attirant du placement publicitaire) on ne pourra jamais parler de l’impact de cette réalité sur le développement de la culture.
Et j’ajoute que c’est une drôle de stratégie de la part des médias qui, de ce fait, donnent de plus en plus de crédibilité aux blogueurs. En effet, ces derniers ne sont pas spécialistes dans les sujet qu’ils traitent et ont peu d’éthique… mais leur subjectivité admise est de plus en plus jugée comme un moindre mal en comparaison des liens cachés entre la rentabilité des médias et leur contenu.
Je vous lève mon chapeau…et souhaitons qu’un maximum de gens y réagisse !
Fabienne chère, je suis assez mal placée pour réagir à tes propos sur La Presse évdiemment… Je dirai simplement que je suis certaine, sans être lêche-cul, que je suis certaine que mes rédacs chef, notamment Yves de Repentigny avec qui je pense avoir de bons rapports professionnels depuis 2001, sont bien désolés de cet état de fait, réel, et qui a à voir non avec nous, ni avec la danse, mais vraiment avec les problèmes généraux qui touchent La Presse depuis un an déjà, et sur lesquels, les négos étant en cours, je ne peux pas commenter. Il reste évidemment que cela a un impact clair et puissant sur le milieu de la danse, parce que La Presse avait la plus grosse (je peux pas décemment dire la meilleure…) couverture en danse et que les diffuseurs y investissent toujours beaucoup, et pas seulement Danse Danse. Alors la seule chose à souhaiter est que ça s’arrange pour le journal, et donc, par répercussion, pour Stéphanie et moi. Je sais que 1 article par mois est «ridicule» comme tu dis, mais c’est quand même la preuve que le journal ne nous a pas envoyées nous faire voir ailleurs, ce qui a été fait pour d’autres critiques…
Sinon, oh que je suis d’accord avec tout ce que tu dis sur les salles vides, vides aussi, faut le dire, d’intérêt de la part d’un public peu curieux finalement de la montée de la jeune danse française, ou catalane l’année dernière, le spectacle de Nacera Belaza étant pour moi aussi un pur joyau par exemple. Celui de Catherine Lalonde offre une proposition artistique osée et pertinente, imparfaite certes mais c’est super dur de tenter d’incarner l’écriture en corps et en mouvement et ça doit être vu et suivi. Quant à Catherine Gaudet, on se demande qui prend les décisions et en fonction de quels critères… c’est sûr.
Bon voilà j’air l’air de t’envoyer des fleurs comme une sorte d’autocongratulation mais tant pis, il faut oser les coups de gueule, et en passant, bonne chance pour ta chronique danse à l’émission VOIR télé. Je regarderai. Mardi prochain je commence les Visages de la danse avec Jeanne Renaud, pionnière et mémoire de la danse contemporaine québécoise, et j’espère donc t’y voir, toi, mes collègues… et le public. En plus c’est gratuit.
Grand coup de gueule inspiré!
Bravo de soulever ces points au débat.
Le milieu culturel a beaucoup parlé des compressions dans les budgets alloués à la diffusion internationale. Non seulement nos grandes compagnies ont été affectées, on voit maintenant que pour des artistes de la relève comme Catherine Gaudet, qui triment dur pour faire connaître leur travail ici et à l’étranger, les enveloppes sont vides. Une autre triste histoire.
Bravo pour ce billet : j’admire la franchise!
Tout à fait d’accord avec vous. Pour « Abstraction et Gravité » de Fabrice Lambert, j’étais dans la petite salle de Tangente à peu près vide. Surpris et surtout gêné du peu de spectateurs. Je dois avouer que ce n’étais pas la première fois que j’avais cette sensation. J’ai l’habitude de dire à mes amis que lors d’un spectacle de danse, je vois parfois les danseurs et les danseuses sur la scène, parfois dans les estrades.
Ce n’est pas un art facile d’accès, sauf pour les spectacles dans les grandes salles ou avec des grands noms et le manque de visibilité des oeuvres plus « marginales » n’améliore pas la situation.
De mon côté, je veux faire mon humble contribution et je continuerai donc à acheter en priorité des billets en danse et à écrire sur ce que je vois sur ce site.
« Musique, aile de la danse » aie-je en tête en commentant, Fabienne. Oui, comme vous j’ai constaté, parfois mentionné dans un commentaire, l’espace peu fréquenté dans lequel se meuvent nos astres de la danse.
Il faut dire, pour la défense du public absent, que ces spectacles-perséides ont une durée éphémère surprenante. Avant que la rumeur ne parvienne au public restreint qui les fréquente, il faudrait qu’ils puissent capter l’attention : faire parler d’eux. Pourtant, je doute qu’il faille procéder au bouche à bouche afin de ranimer la ferveur du public.
Je pense plutôt que la danse souffre d’un regain de popularité malgré les trous noirs dans les salles. On offre désormais plus de spectacles. Cependant, la méconnaissance des spectateurs serait-elle en cause? Avant que d’assister à des spectacles à la structure chorégraphique audacieuse, un néophyte n’opterait-il pas pour une danse au langage syllabique : une danse qui balbutie plutôt qu’elle n’élabore un concept ardu? S’il est aisé de comprendre Dave St-Pierre ou l’irrévérencieux Jan Fabre, il l’est moins de parcourir l’univers inventif de Sasha Waltz.
Bref, si Braque a conçu le cubisme et s’est fait accoler par l’Histoire l’étiquette de fou, ne subsite plus pourtant chez Picasso la maladresse de l’invention mais bien l’objet. C’est le lot des « innoventeurs » que d’être incompris : un météorite qui se détruit à force de découvrir le monde qui l’entoure.
Donc, j’espère que nos inventeurs sans spectateurs ne deviendront pas les balayeurs de cette salle que je foulerai ce soir et ce, même si j’essuie mes semelles. Je l’espère.
Bonjour Fabienne,
Merci pour ton article.
Toutefois, malgré l’offre de spectacles foisonnante en ce début de saison culturelle et aussi, malgré le peu de couverture médiatique sur la danse, ce dont je déplore et qui est vraiment regrettable pour notre milieu et le soutien à notre discipline, je tiens à apporter les faits suivants.
Je réalise que pour Transatlantique Montréal, nous sommes déjà arrivés à la troisième semaine du festival et c’est presque l’heure du bilan. Nous avons agréablement constaté que notre public a été au rendez-vous encore cette année et plus que jamais lors de cette 7e édition : Nos salles ont été souvent complètes, sinon au moins à moitié pleines. Il en résulte que nous avons su fidéliser un public et qu’il a même plus que doublé cette année!
Pourquoi?
– Car nous sommes présents dans différents quartiers de Montréal.
– Nous allons vers les citoyens des arrondissements. Nous les approchons dans leur quartier au détour de leur quotidien, autant sur la place publique que dans des lieux différents et inédits où l’on ne présente jamais ou peu la danse : Nous avons offerts, entre autres, des performances sur les trottoirs et les rues Ontario et Saint-Denis, dans les parcs de Verdun face au fleuve Saint-Laurent, dans un jardin sur le toit de la Maison de la culture Côte-des-Neiges, ayant vue sur le Mont-Royal, et aussi présenté des expositions sur la danse dans les vitrines de l’ONF sur la rue Saint-Denis et dans tout l’édifice de la Cinérobothèque de l’ONF ; enfin, nous avons aussi présenté des films sur la danse dans la salle de projection de la Cinérobothèque).
– Nous présentons des œuvres originales et accessibles pour le grand public.
– Dans l’esprit de notre mandat de démocratisation de la culture, nos spectacles sont souvent gratuits ou à prix accessibles.
– Au fil des années, Transatlantique s’est construit une place singulière, spécifique et incontournable auprès de plusieurs citoyens de Montréal.
– Nous présentons des chorégraphes et des artistes locaux ou étrangers que l’on ne peut voir autrement à Montréal.
– Nous présentons différentes formes de danse. Nous présentons de nouveaux savoirs et de nouvelles approches chorégraphiques provenant autant d’artistes de la relève que de chorégraphes matures. Le tout, de manière simple et conviviale qui attire la curiosité des citoyens.
– Enfin, nos volets films et expositions sur la danse constituent un complément ou un lien à la programmation des artistes en représentations sur scène.
Est-ce le secret du succès ? Je crois qu’il y contribue grandement! Nous savons toutefois qu’il reste encoure beaucoup à faire pour démocratiser la culture à Montréal et pour rejoindre encore plus Monsieur et Madame tout le monde ainsi qu’un plus grand public. La culture, on le sait tous, est importante pour chacun afin qu’il grandisse et s’ouvre à sa propre humanité.
Rafik Hubert Sabbagh
Directeur général et artistique
Festival Transatlantique Montréal / Quartiers Danses
http://www.transatlantiquemontreal.com
Pour prolonger la discussion suite à vos réactions…
Je suis bien d’accord avec Benoit Labbé pour dénoncer le désengagement des médias qui n’assument plus suffisamment leur rôle en traitant de sujets d’intérêt public (comme les arts) qui ne sont pas suffisamment sexy ou vendeurs. Cela dit, je pense que les diffuseurs et les relationnistes rentrent aussi trop souvent dans cette game-là. Combien de fois m’a-t-on soumis un sujet en essayant d’utiliser comme levier l’encart publicitaire acheté dans la publication où j’écrivais ? Combien de fois s’est-on adressé à moi comme si j’étais un agent de promotion plutôt qu’une journaliste ?
Je crois aussi qu’au-delà des médias, le milieu de la danse et les pouvoirs publics doivent s’allier pour créer des occasions d’informer le public et de l’aider à façonner son goût pour la danse contemporaine qui, comme le souligne Alain Fortaich, n’est pas un art facile d’accès. À ce titre, je salue bien bas les productions plus faciles à aimer qui donnent le goût au néophytes de retourner voir de la danse contemporaine. Il cite en exemple Sasha Waltz, moins facile d’accès que Dave St-Pierre ou Jan Fabre (quoi que ce dernier peut être parfois fort indigeste). J’ai eu l’occaion d’accompagner des adolescents dans un parcours culturel au dernier FTA et le simple fait de leur avoir donné quelques clés avant le show leur a permis de l’apprécier. Comme quoi il ne faut pas grand chose…
Je crois aussi qu’il faut parler de la responsabilité du spectateur, qui se positionne bien trop souvent comme un consommateur qui s’attend à une satisfaction garantie sous prétexte qu’il a payé son billet. À lui de s’informer avant les spectacles pour faire des choix plus éclairés. À lui de prendre le risque de ne pas aimer en allant voir toutes sortes de propositions pour éduquer son goût et forger son esprit critique comme vous le faites, mesieurs Fortaich et St-Amour.
Enfin, Aline, j’entends bien ce que tu dis pour défendre La Presse mais on vous a tout de même envoyé vous faire voir ailleurs, même si c’est temporairement et même si c’est sur la pression du syndicat. Les syndicats, on le sait bien, sont aussi plus préoccupés par des considérations d’ordre économiques que par le bien public (ou celui des pigistes…)
Et oui, je viendrai entendre tes entretiens dans le cadre des Visages de la danse dont je reparlerai prochainement ici.
Intéressant point de vue, Rafik, que je n’avais pas vu au moment de publier ma première réponse.
Tu ne dis pas si les entretiens avec le public et les présentations avant les spectacles ont, selon toi, contribué à fidéliser certains spectateurs…
Je pense que dans les raisons de tes salles relativement bien remplies, il y a non seulement la gratuité des entrées, la jauge des salles et l’accessibilité de la plupart des spectacles que tu présentes, il y aussi un public fidèle aux maisons de la culture et, cette année, sans doute aussi un public spécifique à la communauté canado-africaine (avec 3 ou 4 spectacles dans l’ensemble de ta programmation).
Disons quand même que le jour où je suis venue voir une projection à l’ONF, les spectateurs non liés à l’évènement se comptait sur les doigts d’une main…
Bonjour Fabienne,
Effectivement, j’avais oublié de mentionner pour les projections de films à l’ONF que la plage horaire était mauvaise à 13h cette année, l’an dernier, c’était mieux à 18h. Mais les disponibilités de la salle de projection de l’ONF lors de Transatlantique se limitaient à cela !
J’espère que nous avons reçu plus de public aux projections de films de Québec en collaboration avec La Rotonde Centre Chorégraphique de Québec (Il faudra que je me renseigne avec Steve Huot) .Nous avons offerts quelques jours de projections de films sur la danse au Bar le Cercle du quartier Saint-Roch, lors de ses 5 à 7 ( heures du cocktail. )
Par contre je sais que le 19 septembre dernier, nos projections de films au Dance Centre de Vancouver ont attirés 180 personnes.
Merci aussi Fabienne de mentionner tout notre travail en médiation culturelle : Effectivement il y a eu 10 rencontres entre artistes et publics, ce qui nous permet d’expliquer l’approche artistique des chorégraphes invités et de permettre une rencontre- échange entre le public et les artistes de manière informelle.
Bien cordialement
Rafik Hubert Sabbagh
Directeur général et artistique
Transatlantique Montréal
Quartiers Danses
http://www.transatlantiquemontreal.com