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Un cri du cœur bien réfléchi

Mon dernier billet a suscité diverses réactions, publiques ou privées, dont cette longue réflexion de Priscilla Guy, chorégraphe, interprète et fondatrice de la compagnie Mandoline Hybride. Elle y défend le droit et la fierté d'être une artiste, elle y lance un appel à la mobilisation pour faire valoir l'importance des arts auprès du grand public et des gouvernements, et elle en profite pour relayer un appel aux artistes lancé par Normand Marcy dans le cadre de l'évènement Recommandation 63 qui se déroulera prochainement à Tangente.

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Les réflexions de Fabienne sur la tendance plus que ferme qu'a notre gouvernement à financer le divertissement et le tourisme au détriment de l'art me rejoignent beaucoup. Il s'agit d'une façon insidieuse de faire de la culture canadienne une culture du divertissement en soutirant aux artistes leurs maigres moyens, alors que le milieu regorge de créateurs inventifs, provocateurs et internationalement reconnus (Cirque du Soleil, Lalala Human Steps, Les Grand Ballets Canadiens, O Vertigo, Robert Lepage, Marie Chouinard, etc., etc.).

Déménagée à Toronto depuis septembre pour une Maîtrise en chorégraphie, j'observe "la danse" de près et je trouve aussi que les enjeux financiers sont grands, que la compétition est forte et que le marketing prend beaucoup de place dans notre art. Je constate, ici à Toronto, des réalités très différentes de celles du Québec, mais une chose reste, qui m'agace fortement: l'artiste canadien, franco ou anglo, semble se confondre en excuses trop souvent quand vient le temps de se battre pour sa passion.

Il ne faut surtout pas sembler prétentieux lorsqu'on est un artiste au Canada. On y cultive la modestie avec beaucoup d'attention. Les Européens sont talentueux, les Américains sont téméraires, et nous, et bien on est juste désolé. Désolé de se consacrer à notre art, comme si c'était un acte égocentrique. Sur la place publique, on  répète à quel point on est PRIVILÉGIÉ, à quel point c'est une CHANCE de faire le métier que l'on fait. Certes, la vie d'artiste vient avec son lot de liberté et de bonheur, mais ce n'est quand même pas le rêve de tous de courir après des subventions et de travailler 7 jours sur 7. Mais en tant qu'artiste, on fait fi de toutes ces contraintes, parce qu'on est passionné par notre métier. Pour une raison que j'ignore, on semble pourtant vivre dans la crainte de paraître égocentrique, la crainte de ne pas redonner assez à notre communauté.

On tente de légitimer notre métier tout en le définissant comme un boulet pour la société. Mais qui nous a donc mis cette idée dans la tête?? On fait comme si le métier d'artiste c'est uniquement le rêve, la liberté d'expression, la passion qui s'exprime à chaque jour. Et bien qu'on soit assez passionné pour faire fleurir l'imaginaire des gens et leur offrir un peu de beauté dans ce monde pourri par le capitalisme, on dit être conscient de notre CHANCE d'être artiste et on est RECONNAISSANT. Comme si quelqu'un nous avait fait une faveur!

Moi, je dis non. Ce n'est pas un hasard, une faveur ou une chance d'être un artiste de nos jours: c'est un CHOIX. Et un choix qui vient avec une tonne de concessions et de conditions difficiles. Mais un choix que l'on fait parce que ça bouillonne en dedans et que l'on a des choses à partager. Et si on fait ce choix, il faut que ce soit parce qu'on croit en la nécessité d'une société riche, culturellement et artistiquement. Alors soyons FIERS, plutôt que faussement modestes. A-t-on jamais entendu un médecin remercier la société de lui permettre de vivre dans l'abondance matérielle parce qu'il sauve des vies? Non. Parce que sauver des vies fait partie de ce que notre société valorise. Comment se fait-il donc que, malgré tous nos succès internationaux, on n'arrive pas à convaincre nos gouvernements, pas plus que monsieur-madame-tout-le-monde de la valeur de l'art dans la société canadienne ou québécoise?

Il est vrai que notre histoire artistique/culturelle n'est pas aussi vieille que celle des pays d'Europe, et donc peut-être moins enracinée dans les valeurs et la façon de vivre des canadiens. Mais nous sommes tout de même prolifiques et talentueux, alors pourquoi, lorsque le financement aux artistes est coupé, les gens semblent d'accord, disant que "l'art c'est secondaire", "moins important", "pas une priorité"? Évidemment, et heureusement, ce n'est pas l'opinion de tous, mais tout comme vous, j'ai entendu des tonnes d'aberrations quand le gouvernement Harper a coupé les 48 millions en 2009. Sont passés au broyeur les programmes PromArt et Routes Commerciales, pour ne nommer que ceux-là, deux programmes de soutien destinés à promouvoir la culture canadienne et québécoise à l'étranger.

J'ai rencontré cet automne l'artiste pionnière Françoise Sullivan, alors que je travaillais pour l'Université York. J'ai eu l'occasion de l'assister pendant une semaine à remonter ses créations des années 1940 avec les jeunes danseurs du Baccalauréat. En discutant avec elle, j'ai été un peu triste: cette grande dame de 85 ans me rappelait combien c'était dur dans les années 1950 d'être artiste, parce que le peuple québécois était un peuple ouvrier et que l'artiste n'était pas considéré comme ‘‘utile''. D'où la rédaction du Refus Global et cette fièvre des signataires qui voulaient se défaire du carcan académique et proclamer l'art comme élément essentiel d'une société riche et en santé.

Madame Sullivan évoquait aussi ce sentiment d'infériorité canadien qu'elle avait perçu à l'époque: pas assez bons pour les Européens, pas assez grandioses pour les Américains, etc. Avec du recul, elle était fière et contente de voir qu'aujourd'hui, c'était possible de voyager et de présenter son art partout dans le monde en tant que Canadien. Difficile pour moi, cependant, d'être rassurée par ces paroles, sachant que c'est précisément les programmes de tournée qui ont été coupés en premier lieu au cours des dernières années. Ces politiques cavalières en disent long sur les idéologies promues par le gouvernement Harper. Il semble plutôt qu'on retourne en arrière, sabrant les programmes qui ont fait rayonner notre talent partout dans le monde.

Je réalise donc que, quoique les choses aient évolué depuis l'époque Duplessis, on a encore du retard à rattraper. Au Québec, et au Canada en général. Certes, l'art n'est plus aussi tabou et aussi censuré qu'il y a 50 ans au Canada. L'art est "accepté". Mais est-il "encouragé"? Il me semble que trois acteurs principaux entrent en jeu dans cette équation: le gouvernement, le public et les artistes. D'une part donc, les politiques du gouvernement Harper sont loin de valoriser une société riche artistiquement. Ce sont plutôt des politiques rébarbatives qui sont tranquillement mises en place. D'autre part, au niveau de l'opinion publique, il faut bien admettre que l'art n'est pas une priorité pour le citoyen moyen du Québec ou du Canada. Alors, il nous reste les artistes.

Je pense que parmi tous les facteurs qui pourraient influencer positivement un changement de perspective sur l'art contemporain de chez nous, l'attitude des artistes en est un des plus importants. Faisons donc la différence entre FIERTÉ et PRÉTENTION. La fierté est nécessaire au développement de notre discipline et à l'engouement de notre population pour ce que l'on fait/produit. Soyons plus PRÉSENTS, fiers et engagés quand vient le temps de prendre la parole. Pour avoir travaillé au Regroupement québécois de la danse (RQD) pendant quelques mois, je sais combien il peut être ardu de mobiliser les membres pour des actions politiques…

Arrêtons de remercier le ciel pour être des artistes; on l'a choisi parce qu'on y croit, et c'est ce sentiment-là qu'il faut partager. On n'a peut-être pas autant d'emprise qu'on le voudrait sur les décisions gouvernementales, mais on a la liberté de se faire entendre plus souvent et plus fort, de créer et entretenir un enthousiasme collectif pour l'art contemporain et la danse. Et ça, c'est déjà un début… Contrairement à Fabienne, je n'ai pas encore 10 ans de métier dans le corps, loin de là. Mais j'aimerais bien, dans 10 ans, pouvoir parler au passé de l'époque où l'on devait légitimer notre métier auprès de la société, au Québec, au Canada. Et vous?

J'en profite pour vous transmettre l'information sur un évènement fort intéressant: un appel aux artistes auquel on devrait, selon moi, tous répondre!

 —-APPEL AUX ARTISTES EN DANSE—-

Cet événement encourage la recherche en art, l'intelligence collective, le partage des ressources, le discours sur la danse et le mentorat trans-générationnel.

RECOMMANDATION 63

(suite aux Seconds États généraux de la danse professionnelle du Québec)

«Reconnaître que les suites des Seconds États généraux constituent une responsabilité partagée par tous les acteurs du secteur de la danse qui prendront, en fonction de leur capacité d'intervention, les mesures pour que ces suites prennent forme.»

Aux artistes désirant manifester leur point de vue sur la reconnaissance et la responsabilité de l'artiste en danse, dans la société, nous vous invitons à soumettre un court clip vidéo (environ 1 à 2 minutes) que nous passerons en boucle (avec les autres documents recueillis) dans le hall d'entrée de l'Agora de la danse, pendant les trois semaines de l'événement.

Ces témoignages s'ajouteront à la documentation, amassée au court de l'événement, qui servira à constituer un dossier que nous enverrons aux instances concernées.

Exemple: si vous n'avez pas d'idée originale, vous pouvez simplement vous filmer devant un mur blanc et prononcer votre «statement», votre prise de position, votre point de vue, vos idées, vos questions, vos pistes de solutions, etc. C'est le propos qui compte… pas le crémage!

Critères:
– Propos pertinent (en français et/ou en anglais);
– Une à deux minutes maximum.

Pour toute info: [email protected]

Les documents, en fichiers Quick Time (.mov) gravés sur CD, seront recueillis dans les bureaux de Tangente, situés au 840 Cherrier, Montréal (métro Sherbrooke), avant le 19 mars.