L'avènement d'un Refus Global 2 dont mon collègue Philippe Couture voit les premiers signes dans le milieu du théâtre est un questionnement qui prend sérieusement forme du côté de la danse. Le chorégraphe Normand Marcy, instigateur de l'évènement Recommandation 63, a déjà rédigé un manifeste qu'il fait circuler dans le milieu artistique en quête de cosignataires.
En voici une version abrégée, et sans doute susceptible de subir des modifications, pour nourrir la réflexion sur l'engagement politique de l'artiste et sa prise de parole publique. Entre autres, j'en ajouterai ici les cosignataires à mesure qu'ils se présenteront.
Note : à partir d'aujourd'hui, ce blogue devient la plateforme d'échanges officielle sur le web pour les débats entourant Recommadation 63.
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Manifeste (version abrégée) / Reconnaissance et responsabilité sociales de l'artiste
Refus d'être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques et physiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rendu, de la reconnaissance due. […] Refus de se taire, […] refus de la gloire, des honneurs (le premier consenti): stigmates de la nuisance, de l'inconscience, de la servilité. Refus de servir, d'être utilisable pour de telles fins. Refus de toute intention, arme néfaste de la RAISON.
L'action intéressée reste attachée à son auteur, elle est mort-née.
Nous prenons allégrement l'entière responsabilité de demain.
Nos passions façonnent spontanément, imprévisiblement, nécessairement le futur.
Refus Global (extraits), Borduas, 1948
Par le Refus global, Paul-Émile Borduas fut le premier artiste québécois à rompre radicalement avec les forces au pouvoir d'une époque qu'on qualifie de «grande noirceur». Bien que ce texte ait été écrit en 1948, et que les idées qui y sont véhiculées aient servi de moteur à la révolution tranquille des années 60, il est navrant de constater que nous en sommes encore, aujourd'hui, à réclamer la même position, bien qu'un court espace de liberté et de progrès nous ait été permis durant près de vingt ans, le temps que le pouvoir change progressivement de visage.
L'engagement de l'artiste dans la société
Nous, artistes et citoyens, acceptons volontiers un dialogue concerté et éclairé avec les dirigeants, économistes, comptables, urbanistes, gestionnaires, etc., dans la mesure où cet échange s'effectue d'égal à égal et qu'il a pour objectif un véritable plan de développement* à long terme, intelligent, dont les bénéfices n'iront pas, une fois de plus, qu'à un petit groupe sélect d'individus, mais à l'ensemble de la société.
À ce compte, nous croyons que l'appui du secteur corporatif et privé peut être une solution envisageable, mais elle n'est pas LA solution au problème de financement. Le secteur public doit également revoir sa politique de partage des ressources, pour qu'un principe d'équité soit respecté. Le secteur public doit s'assurer que les organismes et artistes, qui reçoivent beaucoup plus que les autres, soient tenus de redonner à leur communauté.
Nous refusons d'entretenir une vision romantique de l'artiste, qui isole celui-ci du reste du monde et de ses responsabilités sociales. De la même manière, nous refusons que la culture ne soit la chasse gardée que d'une élite. Car «la culture n'est rien d'autre que le nous extensible à l'infini des humains», comme l'affirme Simon Brault (Le Facteur C, 2009, p.60). Une vision démocratique, qui implique la participation de tous les citoyens dans l'édification de notre culture.
Dans le même ordre d'idées, nous refusons d'appartenir à un «star système», organisé par une société du spectacle, qui emprisonne l'artiste dans une image, une illusion, qui contribue à l'éloigner de ses pairs et de la réalité, et qui le pousse à ne produire qu'en fonction des lois du marché et de l'idéologie mise en place par le pouvoir économique.
Nous refusons d'être des citoyens pusillanimes, appartenant à une société du divertissement et de la surconsommation, dont l'un des effets les plus pervers est, nous l'avons constaté jusqu'ici, de gaver et gâter l'individu jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un sujet docile et non pensant, dépourvu d'intérêt pour l'opinion publique, le sens critique, la différence et le changement. Nous ne participerons pas à cette entreprise de lobotomisation collective.
Nous n'acceptons pas, non plus, d'en être réduits à adopter une attitude arriviste et égoïste, pour obtenir les rares parts du gâteau octroyées par les bailleurs de fonds gouvernementaux et d'être progressivement transformés en gestionnaires d'entreprise culturelle, pour répondre aux exigences et aux critères des programmes de bourses et subventions de ce mêmes bailleurs de fonds.
À ce compte, les besoins des jeunes artistes sont nécessairement différents de ceux de leurs prédécesseurs. Il est donc important que le système d'octroi des bourses tienne compte, d'une manière renouvelée, de cette réalité mouvante. En outre, la responsabilité revient aux jeunes artistes de nommer, décrire et faire connaître leur réalité, afin de s'assurer que ces changements s'opèrent en fonction de leurs besoins réels.
Nous sommes pour un partage de l'information et des ressources. Nous sommes pour la transformation perpétuelle du savoir, de la connaissance, des arts, de la culture. Nous sommes pour le changement, car il est la condition sine qua non de l'évolution, d'un avenir en mouvement qui assurera l'épanouissement physique, intellectuel et spirituel des citoyens, en les responsabilisant face à cette évolution.
Cette évolution ne surviendra que si nous acceptons collectivement d'y consacrer le temps, l'énergie et les moyens. Cette évolution surviendra si nous assumons qu'elle commence par l'éducation culturelle de nos jeunes citoyens; si nous assumons l'apport important des aînés dans le processus de transmission des savoirs et des habiletés; si nous assumons le fait que les artistes, au même titre que les scientifiques, par exemple, sont une pierre angulaire de cette évolution nécessaire.
Tel que l'exprime Carol Becker, dans son ouvrage Surpassing the Spectacle (2002), l'aisance et l'habileté qu'ont les artistes à composer avec le désordre, le chaos, la différence et la complexité, font d'eux des sujets importants dans l'évolution culturelle d'une société qui désirerait se prendre en main et sortir du piège du spectacle et de la surconsommation, entretenu par le pouvoir économique, afin de maintenir ses citoyens dans un état d'abondance factice qui les isolent les uns des autres et les éloignent d'un réel engagement et d'un réel discours politiques.
Je termine donc sur ces paroles de Guy Debord: «Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n'exprime finalement que son désir de dormir» (La société du spectacle, le film, 1973).
Réveillons-nous ensemble de ce cauchemar…
Signataire : Normand Marcy
Co-signataires : David Pressault, Ivana Milicevic, Aline Apostolska, Nicolas Cantin, Frédérick Gravel, Mathieu Campeau, Priscilla Guy, K.G. Guttman, Corinne Crane-Desmarais, Caroline Gravel et Dany Desjardins, Jean-Sébastien Lourdais…
* Le plan de développement dont nous parlons, ici, ne concerne en rien le Plan directeur en cours d'élaboration, dirigé par le RQD, suite aux Seconds états généraux de la danse. Nous sommes conscients du travail remarquable déjà effectué par le RQD, quant aux intérêts du milieu de la danse. Ce plan de développement, dont nous parlons, est un plan de société qui vise, à une échelle globale, l'ensemble des citoyens.
Nota bene : l'élaboration de ce manifeste est une initiative personnelle qui implique un groupe d'artistes en danse et non le milieu de la danse en général, la nuance est importante. Nous laissons le soin au RQD de parler au nom de l'ensemble du milieu de la danse. Un mandat qu'il accomplit déjà avec brio depuis bientôt 25 ans.
S’il est un manifeste qui cultive, depuis plus de 60 ans, la vision romantique de l’artiste, c’est bien Refus Global. Je ne comprends pas comment on peut associer les revendications des cosignataires de ce manifeste publié en 1948 à celles faites par les cosignataires de ce manifeste actuel sur « l’engagement de l’artiste dans la société ».
L’art d’avant-garde, revendiqué par Refus global, est d’abord et avant tout contestation et rupture. Contestation et rupture : sociale, politique, artistique et esthétique. C’est ce que nous apprenons dans n’importe quel cours de base en histoire de l’art. Je me répète avec une nuance, quasi didactique : l’art d’avant-garde est contestation sociale et rupture artistique. J’ai donc du mal à comprendre les revendications faites par ce manifeste, que nous recevons ici en version abrégée, et la référence que nous faisons à Refus global. Ne pourrions-nous pas avoir accès à la version complète du manifeste cité dans cet article?
De quel engagement les cosignataires parlent-ils? De quel mouvement social et esthétique veulent-ils se dissocier? Que veulent-ils affirmer? Quels sont les contestations et les revendications évoquées ici? Que de jeunes artistes n’ont pas l’attention et la reconnaissance dont ils ont besoin pour exister, pour créer dans des conditions semblables à ceux qui les ont précédés?
Que contestent-ils? De quoi veulent-ils se dégager? Des modes de financement public et privé de l’art? De l’incrustation des secteurs corporatifs et privés dans le domaine de la création? De l’impossibilité d’une jeune génération d’artistes d’être consacré par les institutions établies? De nombreuses questions me viennent à l’esprit.
Il me semble que ce manifeste, s’il en est un, critique un système auquel ces jeunes artistes ont du mal à accéder. Les cosignataires nous parlent d’un « star-système », qu’ils refusent, alors qu’à mon avis, ils cherchent tout simplement à y accéder. On cherche une certaine forme de reconnaissance politique et publique de l’artiste. Nous sommes bien loin de l’art, qu’il soit de divertissement ou d’avant-garde. Ils auraient peut-être intérêt à mieux s’informer sur les conditions et l’évolution du régime de l’art d’hier à aujourd’hui.
Le manifeste demande à ce que « le secteur public s’assure que les organismes et les artistes qui reçoivent beaucoup plus que les autres, soient tenus de redonner à leur communauté ». Mais, où se situent les cosignataires du manifeste? Qu’attendent-ils de leur communauté, des artistes qu’ils côtoient et fréquentent? Qu’attendent-ils des organismes et des artistes plus favorisés qu’eux? Que connaissent-ils de la réalité dans laquelle ces organismes évoluent? Certes, les besoins et les conditions ne sont pas les mêmes, j’imagine. Ce qu’on attend des Grand Ballets, des La La La Human Steps, des Marie Chouinard, et alteri, ne se compare pas à ce que nous pouvons attendre de jeunes artistes qui doivent encore manger leurs croûtes et faire leurs preuvres. Non? Certes, je suis partisan d’un système juste et équitable de répartition de la richesse, mais ces artistes ne roulent pas, non plus, sur l’or compte tenu de leurs besoins, de leurs exigences et de leur statut.
Il me semble que beaucoup d’efforts ont été consacrés pour donner place aux jeunes artistes de la relève depuis quelques années. La volonté politique est là et cela, au détriment de bien d’autres artistes et compagnies qui se situent quelque part dans un « entre-deux » générationnel.
Récemment était livré un rapport sur le statut de l’artiste par la Comission Lallier. Ce qu’on en retient, livré par les médias, c’est qu’il ne faut pas abolir la TVQ sur les produits culturels. Qu’en est-il du statut de l’artiste dans notre société? Qu’attendons-nous de lui? Quelle place voulons-nous lui donner? De quel statut pourait-il bénéficier? Les cosignataires du manifeste évoqué ici souhaite qu’il obtienne sa propre part du gâteau, comme un bon citoyen, n’eut égard au travail acharné et accompli par ses prédécesseurs? Par ses pairs?
Les cosignataires du manifeste, au nombre de deux pour l’instant, mais il y en aura davantage si je comprends bien, affirment, pour l’avoir constaté, que l »un des effets les plus pervers est, de gaver et gâter l’individu jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un sujet docile et non pensant, dépourvu d’intérêt pour l’opinion publique, le sens critique, la différence et le changement. » Ce constat me fait peur.
De quel individu parlons-nous? De moi? D’eux? Je me demande vraiment jusqu’à quel point l’ont-ils constaté. D’où provient-il? Comment l’ont-ils fait? De quoi parlent-ils? Pour ma part, fidèle adepte de la création artistique – ancienne, moderne, contemporaine et actuelle – je n’ai pas le même constat à propos de ce que je peux apprécier de l’art, institutionnel ou pas, qu’il émane de la relève ou non. Qu’il s’agisse d’arts plastiques, de musique, de théâtre, de danse, de littérature, de chanson, lorsque j’entre en contact avec la création, je ne demande qu’à être étonné, qu’on me transporte ailleurs : je ne demande qu’à ce qu’un artiste me donne à voir le monde… Qu’il me partage sa propre vision personnelle et intime du monde : ce qu’il perçoit de manière pragmatique, peut-être, mais somme tout symbolique dans sa représentation. Mais, je m’égare peut-être ici dans des considérations bassement esthétique.
Nous sommes loin de la politique comme les cosignataires semblent nous le faire comprendre. Où en sommes-nous avec le monde contemporain des idées et des symboles? Cela peut paraître ringard, mais c’est ce que j’attends d’un artiste : qu’il me fasse voir et comprendre sa vision du monde. Qu’il la partage avec moi, avec NOUS. Je ne m’attends pas à ce qu’il me fasse part de ces aspirations à obtenir un meilleur financement et une meilleure reconnaissance par ses pairs et par les institutions qui nous gouvernent. Borduas, et ses amis, avaient des aspirations artistiques et esthétiques, pas capitalistes.
Dans un autre ordre d’idées, il me semble que beaucoup d’efforts ont été consacrés pour donner place aux jeunes artistes de la relève depuis quelques années. La volonté politique est là et cela, au détriment de bien d’autres artistes et compagnies qui se situent dans un vague « entre-deux » : entre les Dave St-Pierre (où les Normand Marcy et David Pressault) et les Grands Ballets, pour ne pas les nommer.
Récemment, commandé par le ministère de la culture, était livré un rapport sur le statut de l’artiste par l’ancien maire de Québec Jean-Paul Lallier. Ce qu’on en retient, par les médias, c’est qu’il ne faut pas abolir la TVQ sur les produits culturels. Qu’en est-il du statut de l’artiste dans notre société? Que voulons-nous et qu’attendons-nous d’un artiste? Qu’il obtienne sa part du gâteau, comme un bon citoyen, n’eut égard au travail acharné et accompli par ses prédécesseurs? Par l’histoire… et par ses pairs.
C’est la véritable question du statut de l’artiste dans notre société qui doit être questionnée aujourd’hui peu importe la place qu’il peut occuper par rapport à ses « aînés ».
Lorsque les artistes pourront revendiquer ce statut, et non pas le fait qu’ils ont du mal à accéder au financement qu’ils désirent obtenir, chacun pour soi, nous pourrons en reparler.
Pour l’instant, je leur suggère de faire leurs classes, de continuer à fouiller et à imaginer de nouvelles façons de me faire voir le monde. Et si ils souhaitent aller plus loin que Refus global, je leur conseille d’aller faire un tour du côté de ce qu’on a pu « imaginer » autour du groupe des Trente « A » vers 1963. Allons-y doucement et tranquillement…. On avancera dans le temps et dans l’histoire un peu plus tard.
Je termine donc sur ces paroles de Saint Jean de la Croix : « À l’obscur, et en assurance ». Cela les aidera, assurément.
J’aime beaucoup les affirmations d’un Normand Marcy. Et je ne suis pas étonné de la réaction d’un Martin Légaré.
Le premier utilise un »nous » qui nous renvoie à trop peu d’individus, à un idéal inachevé. Et le second attaque avec une conviction trop convaincante les assertions du premier.
S’il y a lieu pour l’artiste d’émettre un manifeste en 2010 c’est, à mon humble avis, pour sortir nos communautés (sociales et artistiques) de l’individualisme qui est aujourd’hui profondément et insidieusement enraciné en chacun de nous. À ce titre, ce manifeste devrait avant tout être un acte collectif et concerté, dont le dévoilement témoignerait d’emblée de la valeur et de la nécessité de son contenu.
Ce tremblement de terre qui fera table-rase des idées reçues est probablement à notre porte. Reste à voir si nous aurons la sagesse et la patience de déployer tout son potentiel.
Il me fera plaisir d’y participer, pour peu que les forces tendent à se concerter. Et je ne pourrais dire si je prend ici la parole du citoyen ou de l’homme engagé auprès des artistes. Je ne puis opposer ces deux protagonistes.
Martin vous parler de tout autre chose ou semblez vouloir le faire mais je refuse (c’est le cas de le dire) d’entrer dans une polémique qui serait ici stérile car si vous réduisez le besoin flagrant et vitalement nécessaire exprimé par Normann Marcy de susciter un débat dans la société sur la place, le rôle et l’engagement de l’artiste à un « désir d’accéder au show biz » alors tout s’arrête-là. De quel show-biz parlez-vous, il n’en est pas question du tout dans le manifeste ci-joint ? Ce dont il est question se résume à mon avis ainsi : jusqu’où va-t-on accepter les réductions économiques qui induisent malheureusement des réductions de la proposition artistique, de l’audace de créer et de proposer des formes nouvelles ? L’artiste doit-il se la boucler et se plier (la plupart du temps en disant merci en plus !) ou bien s’affirmer comme citoyen avec une parole citoyenne engagée, critique et nourricière ? Si vous trouvez que tout va bien dans une société artistiquement répétitrice et endormie, alors… soit.
Le nom de Refus Global 2 est peut-être mal trouvé mais pourtant, il stipule bien un REFUS, un NON au laminage par le bas économique qui induit forcément un laminage par le bas artistique et donc aussi, forcément, politique puisque tout acte artistique est politique. En effet c’est le statut de l’artiste et de sa solidarité au sein de sa communauté qui est ici questionnée, vos propos m’échappent.
À votre phrase j’oppose donc celle-ci : « Vas plus loin que le regard de tes yeux » divise d’Alexandra David-Néel issu de l’Écclésiaste. Or cela, assurément, ne peux se faire dans l’obscurité, laquelle régne déjà…
Je me pose de nombreuses questions par rapport aux constats évoqués dans le manifeste qui nous est livré par ce billet de Fabienne Cabado. Loin de moi l’idée d’entrer dans une polémique stérile alors que je ne fais que poser des questions.
J’apprécie la réponse d’Aline Apostolska, même si j’y trouve une certaine forme d’arrogance et d’émotivité. J’apprécie davantage celle d’un David Lavoie, beaucoup plus ouvert au dialogue, à la réflexion et à la concertation. Aussi, je me questionne sur sa compréhension de mon commentaire alors qu’elle me cite avec des mots que je n’ai pas employé et des idées que je n’ai pas évoquées. Je me trompe peut-être, mais j’aime la réflexion que cela suscite chez moi.
À mon humble avis, il me semble que l’on pose dans un fourre-tout quasi inclusif la culture, l’économie de marché, le politique, le système marchand et institutionnel de l’art, l’éducation artistique, le social et l’engagement de l’artiste dans notre société. On ose même dans tout ça juxtaposer Simon Brault, Guy Debord et Carol Becker. Franchement! D’où proviennent ces raccourcis épistémologiques et idéologiques? Où se trouve le projet esthétique et la place de l’artiste dans la société d’aujourd’hui?
Je veux bien essayer de comprendre, mais j’ai du mal à voir clair dans ce qu’on « refuse » en bribes ici. D’autant plus que le manifeste proposé est « susceptible de subir des modifications ». Pourquoi madame Cabado l’a-t-elle livré ici dans une forme inachevée et incomplète? Pour susciter le débat? Ou, tout simplement, pour faire la promotion d’une manifestation artistique qui aura lieu sous peu? Comme je le mentionnais, je souhaite avoir accès à une version complète du manifeste. Pour l’instant, je ne suis que le simple spectateur de quelque chose qui n’existe pas dans sa forme finale et entière. J’aurais peut-être aimé davantage un billet d’humeur ou de réflexion par rapport à ce qu’on refuse et conteste.
Bien personnellement, je ne vois pas comment ce manifeste peut apporter des idées nouvelles sur les modes de production, les conditions de la création actuelle en art et la reconnaissance et la responsabilité sociales de l’artiste. Il me semble davantage exprimer des constats que les signataires souhaiteraient transporter ailleurs que dans une tradition idéale et romantique de l’art. Permettez-moi de m’interroger.
Pour en finir avec Refus Global, j’aimerais relever que le radicalisme de la pensée automatiste véhiculée par Paul-Émile Borduas, comme le démontre de manière convaincante Marie Carani dans « Le no(m)n de Borduas comme mémoire », tire sa force d’une réflexion complexe où s’imbriquent épistémologie et esthétique, utopie et changement, rupture des certitudes et mise en cause de l’avenir. C’est ce qui aura permis à Borduas et aux automatistes de redéfinir la fonction sociale même de l’art ainsi que celle de l’artiste créateur dans la société.
Avec « Reconnaissance et responsabilité sociales de l’artiste », je n’ai pas l’impression de me retrouver dans le radicalisme des modes de pensée établis. Je me retrouve davantage le spectateur d’une forme de contestation des modes de production artistique et d’évaluation esthétique, lesquels ne semblent pas correspondre aux attentes des signataires de ce manifeste.
M. Légaré,
Je vous remercie pour ce précieux temps que vous avez pris afin de répondre à l’abrégé du manifeste (en chantier, je le souligne) que nous avons mis en ligne, pour qu’une réflexion s’édifie quant aux notions de reconnaissance et responsabilité sociales de l’artiste. Car sans réponse il n’y a pas de vrai débat d’idées.
Toutefois, mon rôle sera de défendre la position émise à l’intérieur de cet abrégé, ne vous en déplaise, sans déborder sur des questions de TVQ ou autres, qui sont sans rapport direct avec ce qui y est énoncé.
Notre discours s’inscrit dans la même ligne de pensée que le Refus Global lorsqu’on parle d’un droit au changement et d’un principe de responsabilisation : les plus fondamentaux, selon moi. Or, nous vivons dans une société du spectaculaire, du divertissement et de la surconsommation, qui n’entretient qu’une image superficielle de l’artiste et du monde. Pour s’en rendre compte d’une manière plus éclairée, il n’y a qu’à consulter des documentaires (ou essais cinématographiques) tels La Société du spectacle, réalisé par Guy Debord (1973) ou, encore, La fabrication du consentement. Noam Chomski et les médias (ONF, 1992). Si cela ne suffit pas, il est toujours possible de plonger dans le remarquable ouvrage de Michael La Chance, La culture Atlantide (2003). Et ce ne sont que quelques exemples.
Dans ce dernier, Michael La Chance y exprime ceci : «L’art est devenu un carré de sable où chacun fait ses pâtés sans déranger personne». Dans un tel contexte, pouvons-nous encore parler de rupture ? Je ne crois pas. Peut-on alors parler de subversion? Des tentatives ont été faites en ce sens, par certains artistes, mais les figures de la subversion ne se retrouvent pas nécessairement là où on les croit.
Nous sommes dans une période où la réaction commune est l’indifférence et l’attitude prescrite est le «chacun pour soi», M. La Chance l’illustre bien dans son ouvrage. Pour attirer l’attention et susciter l’intérêt, certains artistes utilisent ce que j’appelle des «effets spéciaux»: scènes provocantes, nudité parfois discutable, violence, etc. Mais cela reste en vain, car en utilisant ces stratégies, ces mêmes artistes tombent à deux pieds dans le piège du spectaculaire et donnent exactement aux spectateurs de ce type de société ce qu’ils attendent. Évidemment, cela vend des billets, alors du côté de ceux qui encaissent, on est heureux. Dans cet ordre d’idées, ces formes qui se disent subversives ne portent donc en elles aucune subversion.
Voilà pourquoi d’autres stratégies doivent être misent en place. Des stratégies qui s’inscrivent, oui, dans la ligne de pensée du Refus Global, en ce sens que nous refusons, tout comme les signataires de ce manifeste, de servir uniquement comme bouffon de service d’une société qui oriente sa politique culturelle en fonction d’intérêts plutôt limités. Toutefois, nous dépassons cette référence, certes, dans les modalités d’action que nous mettons déjà en place. Le «statement» ne se retrouve donc plus là où vous le cherchez (c’est à dire, dans une nouvelle proposition esthétique qui s’inscrit en rupture à une autre), mais plutôt dans d’autres modalités d’actions, de travail, de pratiques.
En suivant le lien mis à la disposition des lecteurs, vous auriez pu constater que l’événement Recommandation 63, qui se situe en amont de notre réflexion et de la rédaction d’un manifeste, propose des actions et des solutions concrètes. En outre, cet exercice aurait déjà servi à répondre à plusieurs des questions que vous posez.
La toute première solution que nous proposons est un partage des ressources, pour donner un exemple de ce qui pourrait être appliqué d’une manière générale. Une solution qui règlerait probablement un large pourcentage des problèmes que nous éprouvons présentement et qui permettrait d’injecter l’argent là où il le faut : i.e. dans le salaire des artistes. Il n’est nullement question, dans tout cela, de piquer l’argent de ceux qui en possèdent plus. Il s’agit simplement de responsabiliser les plus pauvres, comme les plus nantis, face à leurs responsabilités sociales. Car toute reconnaissance s’accompagne d’une responsabilité et tout changement commence par soi-même. Si vous lisez bien, il est écrit très clairement dans l’abrégé du manifeste : «La responsabilité revient aux jeunes artistes de nommer, décrire et faire connaître leur réalité, afin de s’assurer que ces changements s’opèrent en fonction de leurs besoins réels». Nous sommes donc très conscients de nos lacunes.
Dans une société qui prône l’individualisme, l’enrichissement des uns au profit des autres et la déresponsabilisation (tout le monde a des droits, mais personne n’est responsable), l’idée d’un partage et d’une responsabilisation est presque délinquante et marginale : voilà peut-être où se trouve, aujourd’hui, la vraie subversion.
L’événement Recommandation 63 met également de l’avant la concertation, le dialogue, le compagnonnage, la recherche artistique, la réflexion et j’en passe… à travers diverses activités : tables rondes impliquant divers intervenants (artistes, formateurs, travailleurs culturels, journalistes et critiques), présentations publiques avec médiation, performances dans des lieux publics, résidences d’exploration partagées, témoignages vidéo d’artistes. Tout cela, dans le but de nommer, décrire et faire exister cette pratique, ainsi que notre réalité, aux yeux des gouvernements et de l’ensemble de la société. Un réflexe que nous avons trop peu, je vous le concède, mais qui gagnerait à être huilé davantage, si nous voulons nous donner un milieu culturel qui ne s’adresse pas principalement qu’au portefeuille des spectateurs.
Une autre section de ce manifeste (en chantier, je le souligne encore!) sera mis en ligne sous peu, pour qu’un dialogue et une réflexion collective se poursuive. Je fais donc directement appel à l’intelligence et au degré de culture que vous manifestez visiblement (et qui ouvrent sur des pistes intéressantes) pour que vos prochains commentaires nous amènent plus loin que ce qui m’apparaît jusqu’ici comme une correction dont on comprend très peu, par moments, l’excès ou le débordement.
Mes salutations respectueuses,
Normand Marcy
Rapidement. Sans entrer dans le débat parce que l’état de mes neurones à cette heure tardive d’une fin de semaine trop chargée ne me le permet pas. Juste pour expliquer pourquoi j’ai posté cette introduction au Manifeste que rédige Normand Marcy. Et d’abord, un mea culpa pour avoir titré mon billet avec le mot Refus global. Même si Normand Marcy en utilise des extraits dans son introduction, même s’il s’en dit inspiré, même si Aline Apostolska souligne qu’il y a effectivement refus, je n’aurais pas dû rebondir sur le titre du billet de Philippe Couture. J’aurais dû faire preuve de plus circonspection plutôt que de céder à un réflexe éditorial. Je retiens la leçon et espère bien ne pas me retrouvée clouée au pilori pour cela.
Ma motivation de départ: ouvrir ce blogue aux échanges qui se préparent dans le cadre de Recommandation 63, évènement conçu et mis en oeuvre par Normand Marcy et qui, soit dit en passant, a besoin de tribunes bien plus que de promotion; la manifestation étant clairement de nature politique. Or donc, ma volonté de départ est de faire de ce blogue le lieu d’échanges que j’ai toujours eu envie qu’il soit, sans en être nécessairement moi-même la voix dominante.
Quand Normand m’a proposé de publier cette introduction au manifeste qu’il a commencé a rédigé, j’ai suggéré d’en extraire certaines idées et de poser des questions pour lancer les débats, effectivement. Il a insisté, un peu. J’ai dit oui. Pourquoi pas. Le fait est que ça suscite des réactions et qu’elles sont, de tous bords, chargée d’une tension qui prouve que le débat est nécessaire. Et aussi qu’il serait fort utile de mettre un certain nombre de choses à plat pour qu’il soit constructif.
Il y a une suite à ce manifeste. Comme David Lavoie, je suis d’avis qu’il devrait être le fruit d’une réflexion collective. Ce que Normand Marcy écrit en ce moment est un essai qui met les premiers mots sur une réalité que bien des artistes n’ont même pas encore formulée dans leur esprit. Parce qu’ils sont pris à jouer les gestionnaires quasiment à plein temps pour mettre un peu de beurre dans leurs épinards.
Alors oui, la réflexion doit se creuser et dépasser les intérêts personnels et générationnels pour que les artistes puissent se dégager du joug de l’idéologie marchande et des politiques qui la serve, et que l’art puisse pleinement remplir sa fonction.
Pour ce que je connais du milieu de la danse au Québec, je ne pense pas me tromper en affirmant qu’il y a du pain sur la planche. Alors quand un Marcy donne à sa communauté d’appartenance les trois semaines de résidence qui lui étaient offertes pour stimuler la recherche fondamentale et les débats sur de possibles solutions pour sortir la danse du marasme dans lequel elle se trouve; quand il se fend d’un manifeste, si incomplet, maladroit ou discutable soit-il, je pense que l’on peut saluer l’initiative et y participer en étant le plus constructif possible.
Certaines des questions de Martin Légaré sont des plus pertinentes et méritent d’être discutées. Mais je me permettrai de jouer les modératrices et de lui demander, ainsi qu’à chacun d’entre nous, de vider le plus possible ses propos d’une agressivité qui n’est pas plus utile que convaincante.
Pour la suite des choses, il serait possible de publier de nouveaux extraits du manifeste mais cela pourrait vite devenir laborieux et nous priver de la participation de personnes moins à l’aise avec les longs discours. Je suggère donc qu’une question seulement soit abordée par billet.
Avoir le courage? l’arrogance? l’ouverture?… de publier un manifeste sous une forme réduite et non-finale, c’est ouvrir la porte au dialogue et démontrer un intérêt pour les idées qui pourraient l’enrichir. Je doute fort que Normand Marcy ait manqué d’inspiration pour sa rédaction et en soit réduit à publier un texte incomplet. Je doute fort aussi qu’il s’agisse d’un acte de paresse ou d’un manque de professionnalisme. De mon point de vue, il s’agit non seulement d’une belle façon d’attirer l’attention et de piquer la curiosité des lecteurs pour un évènement qui s’annonce, mais aussi d’une grande preuve d’ouverture au dialogue, à la discussion et au débat, éléments nécessaire au changement. L’auteur connaît trop bien les potentiels effets d’une telle publication pour qu’elle soit arbitraire.
S’il est une chose dont on ne peut se passer pour arriver à générer et entretenir l’enthousiasme pour la culture et l’art, c’est bien le dialogue. Semble-t-il qu’il soit déjà enclenché ici-même dans ce blogue, ce qui augure bien pour la suite des choses. Les questions évoquées par Monsieur Légaré sont fort pertinentes et la verve avec laquelle Madame Apostolska lui répond m’enchantent au plus haut point. Beaucoup de questions vont surgir dans la tête des lecteurs suite à cette première mouture et certes, il sera important de les considérer. Beaucoup de curiosité et de fierté en émane aussi, ce qui galvanisera les acteurs concernés.
Je suis d’avis que la publication de quelque chose de consciemment incomplet ou en chantier est un acte de grande humilité et de générosité. Il en va de même pour les présentations de projets artistiques en cours : on offre au public des bribes de ce que sera le produit final, on leur donne accès aux premières pistes de réflexion et on prend en considération leurs réactions. Dans le milieu du spectacle, (surtout avec cette culture du divertissement qui nous assaille) il est plutôt mal vu de présenter au public quelque chose d’incomplet; on vend du rêve, de l’éblouissement, du rocambolesque et du « parfait ».
Cependant, l’art se loge souvent là où il n’y a peut-être pas d’artifices, mais plutôt une pensée bien développée. Les revendications de Recommandation63 au sujet de la recherche fondamentale en danse touchent entre autres à cette idée. La production d’œuvres artistique est une chose; la recherche fondamentale en est une autre qui, pour sa part, ne mène pas toujours à la production d’un spectacle. Je considère qu’il est important de faire cette distinction et d’inclure le public dans ce processus de recherche et de création, afin d’en démystifier les mécanismes et de rendre le médium accessible à un public plus large. Offrir une première version d’un manifeste qui se veut à la fois fort, inclusif et en perméable me semble tout à fait logique et pertinent.
J’ai trop souvent remarqué que les évènements en danse contemporaine regroupent en grande partie les acteurs de la danse eux-mêmes (travailleurs culturels, interprètes, chorégraphes, etc.). Nous partageons les bons coups et les défaites les uns des autres; nous nous nourrissons les uns les autres de nos expériences respectives. Mais au final, personnellement, ce n’est pas pour ma communauté artistique que je crée; je crée pour dialoguer avec une société plus large que celle de la danse contemporaine.
Avec son projet Recommandation63, Normand Marcy désire redéfinir la contribution et le rôle de l’artiste par rapport à la société plus large dont il ou elle fait partie. C’est cette idée, d’abord et avant tout, qui m’intéresse dans ce projet de manifeste. Je souhaite donc pour ce nouveau manifeste qu’il engage le dialogue non seulement entre les artistes eux-mêmes, mais aussi avec un auditoire plus large. Je souhaite des « portes ouvertes » et un dialogue ouvert, en tant que co-signataire.