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Refus Global, un nouveau manifeste

L'avènement d'un Refus Global 2 dont mon collègue Philippe Couture voit les premiers signes dans le milieu du théâtre est un questionnement qui prend sérieusement forme du côté de la danse. Le chorégraphe Normand Marcy, instigateur de l'évènement Recommandation 63, a déjà rédigé un manifeste qu'il fait circuler dans le milieu artistique en quête de cosignataires.

En voici une version abrégée, et sans doute susceptible de subir des modifications, pour nourrir la réflexion sur l'engagement politique de l'artiste et sa prise de parole publique. Entre autres, j'en ajouterai ici les cosignataires à mesure qu'ils se présenteront.

Note : à partir d'aujourd'hui, ce blogue devient la plateforme d'échanges officielle sur le web pour les débats entourant Recommadation 63.

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Manifeste (version abrégée) / Reconnaissance et responsabilité sociales de l'artiste

 

Refus d'être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques et physiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rendu, de la reconnaissance due. […] Refus de se taire, […] refus de la gloire, des honneurs (le premier consenti): stigmates de la nuisance, de l'inconscience, de la servilité. Refus de servir, d'être utilisable pour de telles fins. Refus de toute intention, arme néfaste de la RAISON.

L'action intéressée reste attachée à son auteur, elle est mort-née.

Nous prenons allégrement l'entière responsabilité de demain.

Nos passions façonnent spontanément, imprévisiblement, nécessairement le futur.

 

Refus Global (extraits), Borduas, 1948

 

Par le Refus global, Paul-Émile Borduas fut le premier artiste québécois à rompre radicalement avec les forces au pouvoir d'une époque qu'on qualifie de «grande noirceur». Bien que ce texte ait été écrit en 1948, et que les idées qui y sont véhiculées aient servi de moteur à la révolution tranquille des années 60, il est navrant de constater que nous en sommes encore, aujourd'hui, à réclamer la même position, bien qu'un court espace de liberté et de progrès nous ait été permis durant près de vingt ans, le temps que le pouvoir change progressivement de visage.

 

L'engagement de l'artiste dans la société

Nous, artistes et citoyens, acceptons volontiers un dialogue concerté et éclairé avec les dirigeants, économistes, comptables, urbanistes, gestionnaires, etc., dans la mesure où cet échange s'effectue d'égal à égal et qu'il a pour objectif un véritable plan de développement* à long terme, intelligent, dont les bénéfices n'iront pas, une fois de plus, qu'à un petit groupe sélect d'individus, mais à l'ensemble de la société.

 

À ce compte, nous croyons que l'appui du secteur corporatif et privé peut être une solution envisageable, mais elle n'est pas LA solution au problème de financement. Le secteur public doit également revoir sa politique de partage des ressources, pour qu'un principe d'équité soit respecté. Le secteur public doit s'assurer que les organismes et artistes, qui reçoivent beaucoup plus que les autres, soient tenus de redonner à leur communauté.

 

Nous refusons d'entretenir une vision romantique de l'artiste, qui isole celui-ci du reste du monde et de ses responsabilités sociales. De la même manière, nous refusons que la culture ne soit la chasse gardée que d'une élite. Car «la culture n'est rien d'autre que le nous extensible à l'infini des humains», comme l'affirme Simon Brault (Le Facteur C, 2009, p.60). Une vision démocratique, qui implique la participation de tous les citoyens dans l'édification de notre culture.

 

Dans le même ordre d'idées, nous refusons d'appartenir à un «star système», organisé par une société du spectacle, qui emprisonne l'artiste dans une image, une illusion, qui contribue à l'éloigner de ses pairs et de la réalité, et qui le pousse à ne produire qu'en fonction des lois du marché et de l'idéologie mise en place par le pouvoir économique.

 

Nous refusons d'être des citoyens pusillanimes, appartenant à une société du divertissement et de la surconsommation, dont l'un des effets les plus pervers est, nous l'avons constaté jusqu'ici, de gaver et gâter l'individu jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un sujet docile et non pensant, dépourvu d'intérêt pour l'opinion publique, le sens critique, la différence et le changement. Nous ne participerons pas à cette entreprise de lobotomisation collective.

 

Nous n'acceptons pas, non plus, d'en être réduits à adopter une attitude arriviste et égoïste, pour obtenir les rares parts du gâteau octroyées par les bailleurs de fonds gouvernementaux et d'être progressivement transformés en gestionnaires d'entreprise culturelle, pour répondre aux exigences et aux critères des programmes de bourses et subventions de ce mêmes bailleurs de fonds.

 

À ce compte, les besoins des jeunes artistes sont nécessairement différents de ceux de leurs prédécesseurs. Il est donc important que le système d'octroi des bourses tienne compte, d'une manière renouvelée, de cette réalité mouvante. En outre, la responsabilité revient aux jeunes artistes de nommer, décrire et faire connaître leur réalité, afin de s'assurer que ces changements s'opèrent en fonction de leurs besoins réels.

 

Nous sommes pour un partage de l'information et des ressources. Nous sommes pour la transformation perpétuelle du savoir, de la connaissance, des arts, de la culture. Nous sommes pour le changement, car il est la condition sine qua non de l'évolution, d'un avenir en mouvement qui assurera l'épanouissement physique, intellectuel et spirituel des citoyens, en les responsabilisant face à cette évolution.

 

Cette évolution ne surviendra que si nous acceptons collectivement d'y consacrer le temps, l'énergie et les moyens. Cette évolution surviendra si nous assumons qu'elle commence par l'éducation culturelle de nos jeunes citoyens; si nous assumons l'apport important des aînés dans le processus de transmission des savoirs et des habiletés; si nous assumons le fait que les artistes, au même titre que les scientifiques, par exemple, sont une pierre angulaire de cette évolution nécessaire.

 

Tel que l'exprime Carol Becker, dans son ouvrage Surpassing the Spectacle (2002), l'aisance et l'habileté qu'ont les artistes à composer avec le désordre, le chaos, la différence et la complexité, font d'eux des sujets importants dans l'évolution culturelle d'une société qui désirerait se prendre en main et sortir du piège du spectacle et de la surconsommation, entretenu par le pouvoir économique, afin de maintenir ses citoyens dans un état d'abondance factice qui les isolent les uns des autres et les éloignent d'un réel engagement et d'un réel discours politiques.

 

Je termine donc sur ces paroles de Guy Debord: «Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n'exprime finalement que son désir de dormir» (La société du spectacle, le film, 1973).

 

Réveillons-nous ensemble de ce cauchemar…

Signataire : Normand Marcy

Co-signataires : David Pressault, Ivana Milicevic, Aline Apostolska, Nicolas Cantin, Frédérick Gravel, Mathieu Campeau, Priscilla Guy, K.G. Guttman, Corinne Crane-Desmarais, Caroline Gravel et Dany Desjardins, Jean-Sébastien Lourdais…

 

* Le plan de développement dont nous parlons, ici, ne concerne en rien le Plan directeur en cours d'élaboration, dirigé par le RQD, suite aux Seconds états généraux de la danse. Nous sommes conscients du travail remarquable déjà effectué par le RQD, quant aux intérêts du milieu de la danse. Ce plan de développement, dont nous parlons, est un plan de société qui vise, à une échelle globale, l'ensemble des citoyens.

Nota bene : l'élaboration de ce manifeste est une initiative personnelle qui implique un groupe d'artistes en danse et non le milieu de la danse en général, la nuance est importante. Nous laissons le soin au RQD de parler au nom de l'ensemble du milieu de la danse. Un mandat qu'il accomplit déjà avec brio depuis bientôt 25 ans.